Tranche de vie : Fréjus, ville laboratoire du FN

J’ai croisé ce matin une habitante de Fréjus en visite dans la région que j’ai rencontrée devant un étal de légumes au marché du mardi matin. Je l’ai entendu dire d’un air coupable à la maraichère :  « Que voulez-vous, plutôt que de voter FN, j’ai voté Estrosi ».  Je n’ai pas pu m’en empêcher : Estrosi ? Le maire de Nice ?  Oui, m’a t’elle répondu, vous comprenez, j’habite Fréjus, et le FN c’est la dictature. Et là, comprenant qu’elle avait une oreille attentive, elle m’a vidé son cœur :

« Pour vous donner un exemple, Je m’occupe d’une association totalement a-politique et comme chaque année nous voulions louer une salle pour notre manifestation annuelle. Refus de la Mairie :  pour le motif que l’un des membres est identifié comme anti-FN. Cette personne ne fait même pas partie de l’assoc, elle y vient comme invité m’explique-t-elleJ’ai donc écrit au maire pour protester. Finalement, l’association a pu louer la salle à condition que la personne en question ne participe pas à la fête. Pas très contente, j’ai raconté cette histoire sur Facebook. Je me suis tellement fait injurier que j’ai fermé mon compte. De toutes façons, si on est pas FN on obtient les choses qu’avec beaucoup de difficultés.  Beaucoup de gens sont mal à l’aise. Il y a des policiers partout et dans les réunions populaires il y a des drôles de personnages qui rodent tout en noir avec le crâne rasé, genre néo-nazis.  Ça me fout les jetons.

Surtout, a-t-elle conclu, si aucun aucun des deux ne vous plait au second tour, ne votez pas Le Pen. Elle a l’air sympa comme ça, mais derrière elle, il y a une meute de loups.

Voilà, c’est tout chaud de ce matin. Je n’ai donné aucun détails précis exprès. Si le contexte qu’elle décrit est exact, inutile de lui amener des ennuis. Bien sûr, ce n’est qu’un témoignage, mais….

En rentrant, intriguée par ce que cette personne m’avait dit, J’ai fait une petite recherche sur le net et suis tombée sur l’article qui suit qui corrobore son discours. Lisez-le, il est édifiant. 

Fréjus, un laboratoire du Front national

De Sylvain Desjardin correspondant pour Radio Canada

Plus que trois semaines avant le premier tour de l’élection présidentielle en France. Selon tous les sondages, Marine Le Pen, chef du Front national, se maintient en tête du peloton avec Emmanuel Macron, le candidat du centre. Le parti d’extrême droite compte sur un soutien indéfectible dans le sud du pays où certaines municipalités sont dirigées par un maire FN. La plus emblématique de ces villes françaises est Fréjus.

Pas banale, la vie au conseil municipal de Fréjus. Les séances publiques sont très animées, pour ne pas dire carrément survoltées. L’atmosphère y est tendue, les insultes fusent. À chaque fois qu’ils en ont l’occasion, les élus de l’opposition dénoncent ce qu’ils considèrent comme du favoritisme en faveur des partisans du Front national dans l’attribution de contrats publics et l’intolérance de la majorité envers ses opposants.

Le Front national dispose de 33 sièges sur 45 au conseil depuis l’élection de 2014. Avec ses 55 000 habitants, Fréjus est la plus importante des 14 mairies FN de France.

Françoise Cauwel, élue de l’opposition de droite depuis plus de 15 ans, aujourd’hui farouche opposante au maire David Rachline, dénonce régulièrement des abus de pouvoir présumés de la part de l’équipe du Front national. Et elle en paie le prix.

Harcèlement

« En juin dernier, j’ai été injuriée par le maire en plein conseil. Il m’a dit : « Occupe-toi de tes fesses! Tu serais prête à te mettre une plume dans le cul! » » Françoise Cauwel raconte que la situation a dégénéré, ce soir-là. « Une adjointe du maire en a rajouté et s’est mise à hurler : « Ferme ta gueule! » Donc, j’ai porté plainte devant la justice parce que je considérais que c’étaient tous mes électeurs qui étaient aussi insultés. »

La conseillère municipale Françoise Cauwel fait aussi l’objet de harcèlement et d’intimidation de la part des partisans du maire Rachline qui envahissent la salle du conseil, certains soirs. Françoise Cauwel est maintenant accompagnée de gardes du corps, quand elle se rend aux séances du conseil.

Nous avons pu mesurer les méthodes du Front national à la fin du conseil municipal du 27 mars dernier. Pendant que le maire venait à la rencontre des citoyens, un de ses sbires nous empêchait d’approcher, allant même jusqu’à nous bousculer pour nous empêcher de prendre une photo. Une situation que plusieurs journalistes français ont subie avant nous, certains se sont fait expulser manu militari par des fiers-à-bras, lors de certaines réunions électorales de Marine Le Pen, ailleurs en France.

Les associations de citoyens de Fréjus qui s’opposent aux décisions de l’administration municipale sont privées de subventions ou encore chassées de leurs locaux, selon Jean-Paul Radigois, président du Comité des intérêts généraux de Fréjus-Plage, un organisme qui a reçu un avis d’éviction de son local de réunion.

Partout où il y a de l’opposition, ceux qui ne sont pas d’accord avec eux, ils disent que nous sommes manipulés par des partis politiques.

Jean-Paul Radigois

« On a bien le droit de juger! », réplique le maire. « Toutes ces associations ne sont pas pertinentes. Il y a par exemple, des centres sociaux qui coûtent cher et dont on ne voyait pas toujours les résultats. On a mis fin à leurs subventions. Je sais que mes adversaires sont de piètres administrateurs, alors j’essaie de faire mieux! »

David Rachline, sénateur et maire de Fréjus, directeur de la campagne à la présidence de Marine Le Pen.
David Rachline, sénateur et maire de Fréjus, directeur de la campagne à la présidence de Marine Le Pen. Photo : Getty Images/FRANCK PENNANT

 

David Rachline, 29 ans, sénateur, plus jeune maire de France, et directeur de la campagne pour la présidence de Marine Le Pen, a été élu à Fréjus avec 44 % des voix, il y a trois ans. L’administration précédente avait sérieusement endetté la ville et provoqué beaucoup d’insatisfaction. Le jeune Fréjussien s’est fait élire en promettant de faire le grand ménage. Ce qu’il a fait.

« Avec 150 millions d’euros de dettes, la ville était presque en banqueroute, au bord de la tutelle », dit David Rachline. « On a désendetté la ville de 20 millions déjà, sans augmenter les taxes. On l’a fait par le non-remplacement de fonctionnaires à la retraite, par la baisse des subventions versées aux associations, et la vente de terrains non stratégiques. »

« La gestion de la dette par l’équipe de Rachline est impeccable », précise le directeur du bureau de Fréjus du quotidien Var-Matin et journaliste, Éric Farel. Mais là s’arrêtent les compliments. Il y a selon lui, une nébuleuse de petites compagnies qui profitent des contrats publics.

Encore plus alarmant, ces sociétés sont dirigées par des personnes peu recommandables, dit-il. « Toutes ces sociétés sont tenues par des gens de l’extrême droite dure. Des anciens néonazis. On peut s’interroger : « Pourquoi fait-on systématiquement appel à ces gens-là? » Et David Rachline a fréquenté tous ces personnages ambigus. »

Mesures de sécurité

Autre élément central de la victoire électorale du maire FN David Rachline : la sécurité.

Depuis son arrivée à la mairie, le Front national a augmenté le nombre de policiers et les a dotés de nouveaux équipements, de nouvelles armes et de nouveaux véhicules. Résultat : le nombre de cambriolages a baissé de plus de 25 %, selon le maire adjoint, responsable de la sécurité, Patrick Renard. On a surtout réduit les « incivilités » sur la voie publique.

Les policiers Pierre Gracchiolo et Stéphane Cattagny, responsables du comité Citoyens vigilants.
Les policiers Pierre Gracchiolo et Stéphane Cattagny, responsables du comité Citoyens vigilants. Photo : Radio-Canada/Sylvain Desjardins

 

L’augmentation des mesures de sécurité est particulièrement appréciée des très nombreux habitants plus âgés de Fréjus, comme Guylaine Fallay, 75 ans, membre d’un comité de « Citoyens vigilants », tous formés à la prévention des cambriolages. Ils sont, pour la plupart, des partisans convaincus du maire Rachline et du Front national.

« Avant, il arrivait que des jeunes gens nous bousculent au marché. Ça n’arrive plus parce qu’il y a plus de policiers dans les rues », explique madame Fallay. « C’est un exemple à suivre pour toute la France. Et c’est sûr que je vais voter pour Marine Le Pen. C’est plus possible de continuer comme ça. Les immigrés qui arrivent ici, ils doivent rester chez eux. Ils ne savent pas faire le travail en Europe. Il vaut mieux les laisser chez eux. Comme nous, on est chez nous. »

Il n’est pas rare d’entendre des commentaires anti-arabes dans le centre de Fréjus. Surtout les jours de marché. « Plus on a d’Arabes, moins on a de travail », nous dit une marchande de poteries. « C’est que les vols et la drogue avec ces gens-là. Il faut leur enlever la double nationalité! »

L’atmosphère est devenue par ailleurs intenable pour ceux qui osent s’afficher anti-FN. C’est ce que dit Cathy Grolleau, qui tient une boutique de bijoux et de souvenirs près de la place de la mairie.

J’ai perdu des clients parce que je suis anti-FN et je ne le cache pas.

Cathy Grolleau
Cathy Grolleau, propriétaire de la boutique de souvenirs Mine de rien, au centre de Fréjus.
Cathy Grolleau, propriétaire de la boutique de souvenirs Mine de rien, au centre de Fréjus. Photo : Radio-Canada/Sylvain Desjardins

 

 

 

« Mais j’ai aussi perdu des clients parce que la ville est étiquetée FN. Je perds des deux côtés ». Cette commerçante songe maintenant à fermer sa boutique. « J’ai des amis à qui je ne parle plus », ajoute-t-elle, dépitée. « Des racistes. J’ai honte. Le climat est devenu détestable. »

Le FN, l’essayer, c’est l’adopter!

David Rachline

Le directeur de la campagne nationale de Marine Le Pen est convaincu que l’exemple de Fréjus est porteur d’espoir pour la campagne présidentielle actuelle. « La réalité, c’est que Marine Le Pen a fait du Front national un véritable mouvement de gouvernement qui a su montrer qu’au niveau local, il était capable de bien gérer, bien sûr! »

Le directeur local du journal Var Matin, Éric Farel confirme que « Fréjus est emblématique pour le FN. Depuis trois ans, c’est vraiment devenu un laboratoire pour le reste du pays… »

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