Histoire et culture : François-Xavier Verschave et La Mafiafrique

C’est un sujet fort peu évoqué dans les grands médias, donc assez peu connu du grand public. Certes, l’on sait bien que la France a avec le continent africain des relations « spéciales ». Mais si nous sommes les premiers à pointer du doigt les magouilles et influences internationales ciblées de la CIA il serait utile que nous balayions également devant notre porte, et le tas d’immondices est impressionnant.  En lisant et écoutant ce que décrivait François-Xavier Vershave sur la France Afrique, nous comprenons mieux pourquoi le continent Africain, si riche, n’arrive pas vraiment à décoller et à se développer, ici, précisément dans les Etats sous influence française, mais gageons que nous ne sommes pas les seuls à agir ainsi… Ceci vous en conviendrez  n’est  pas sans rapport avec l’émigration économique. Voici donc une explication du phénomène que vous ne pouvez pas ignorer.  Édifiant et scandaleux !

Pour commencer, un article court publié sur la base des ses travaux :

A relire : Mafiafrique, toujours actuel

Par Francois-Xavier Verschave ( extraits De la Françafrique à la mafiafrique -3 décembre 2003

La Françafrique, c’est comme un iceberg. Vous avez la face du dessus, la partie émergée de l’iceberg : la France meilleure amie de l’Afrique, patrie des droits de l’Homme; et puis, en fait, vous avez 90% de la relation qui est immergée : l’ensemble des mécanismes de maintien de la domination française en Afrique avec des alliés africains.
On voit ici l’application d’un monde sans lois, d’un monde sans règles, plein de détournements financiers, de criminalité politique, de polices tortionnaires ou de soutiens à des guerres civiles. Autrement dit des fonctionnements de solidarité entre un certain nombre de français et d’Africains qui se sont organisés en réseaux pour tenir ces pays politiquement (par la dictature), militairement (avec les mercenaires), et à travers un certain nombre de circuits financiers pompant l’argent des matières premières, l’argent de la dette, l’argent de l’aide publique au développement. Des réseaux faisant en sorte que ces peuples d’Afrique aient encore pire qu’un dictateur, un dictateur « légitimé démocratiquement ». En effet ces réseaux ont passé leur temps à faire « valider » par les urnes l’inverse de la volonté du peuple, quitte à dégoûter les gens de la démocratie.

  Énumérons rapidement certains de ces réseaux:

Il y a ce qu’on appelle les réseaux politico-affairistes; le plus important d’entre eux, c’était le réseau Foccart, créé sous De Gaulle; disons que c’était le réseau gaulliste. Et puis il y eut les réseaux néogaullistes – principalement le réseau Pasqua -, le réseau Giscard, le réseau Mitterrand, le réseau Madelin, le réseau Rocard, etc…
Ensuite, il y a quelques très grandes entreprises qui jouent un rôle dominant là où elles se trouvent. Il y a Elf, bien entendu, qui faisait la politique de la France au Gabon, au Cameroun, au Congo-Brazzaville, au Nigéria, en Angola, etc… Il y a Bouygues, qui contrôle les services publics en Côte d’Ivoire, qui a hérité d’une grande partie, des subventions d’investissements de l’aide publique au développement. Il y a Bolloré, qui a le monopole des transports et de la logistique sur la bonne partie de l’Afrique. Il y a Castel, qui contrôle les boissons, etc…
Et puis il y a les militaires. La plupart des hauts dignitaires de l’armée française ont fait leurs classes en Afrique où ils ont eu des carrières accélérées, deux ou trois fois plus rapides, avec des soldes faramineux. L’armée française tient beaucoup à l’Afrique; elle fait encore la politique de la France au Tchad ou à Djibouti. La plupart des généraux africains francophones, y compris les généraux-présidents, sont ses « frères d’armes ».
Vous avez encore les différents services secrets, qui se disputent entre eux et qui ont chacun un rôle dans la Françafrique. Vous avez la DGSE, le principal service secret vers l’étranger, qui contrôlait de près chacun des « gouverneurs à la peau noire ». Vous en avez un autre, qu’il est beaucoup plus surprenant de rencontrer en Afrique, la DST (Direction de la sécurité du territoire). En principe, elle ne devrait que s’occuper de l’intérieur de la France. Mais elle s’occupe aussi de l’extérieur pour diverses raisons; d’abord parce qu’il s’agirait de protéger la France, des dangers de l’immigration. Ensuite la DST, qui est une police politique, fait de la coopération avec l’ensemble des polices politiques de toutes les dictatures du monde. Donc, elle devient copine avec toutes les « sécurités intérieures » des pires dictatures. Et du coup, la DST se retrouve impliquée dans beaucoup de pays, comme le Gabon, le Burkina, l’Algérie, l’Angola, etc…
J’ai oublié de dire que, bien entendu, les réseaux françafricains sont devenus les mêmes au Maghreb qu’en Afrique noire, avec exatement les mêmes mécanismes en Algérie, en Tunisie et au Maroc que ceux que je vous ai décrits jusqu’à présent.
Après la DGSE et la DST, il y a la Direction du renseignement militaire, poisson-pilote de l’armée, qui fait la propagande de la France lors des conflits en Afrique, et puis l’ancienne Sécurité militaire, qu’on appelle maintenant DPSD, qui, entre autres, contrôle les mercenaires et les trafics d’armes.
Il faut rajouter un certain nombre de réseaux d’initiés : une obédience franc-maçonne dévoyée, la Grande Loge nationale française (GLNF), fort à droite, à laquelle appartiennent tous les dictateurs franco-africains, une forte proportion des responsables des services secrets, des généraux français et africains, les dirigeants de grands médias comme TF1, une partie du lobby nucléaire et pétrolier, etc… Vous avez des sectes très présentes en Afrique et liées à la Françafrique, comme les Rose-Croix ou même le mandarom
Il y a encore le Trésor, du ministère des Finances, l’ administration française la plus puissante : elle applique à l’Afrique les politiques de la Banque mondiale.

Mais tout ça va encore plus loin… Pour comprendre prenons l’exemple de l’Angola :

Dans ce pays il y a d’énormes gisements pétroliers, et là il faut se partager le gâteau. On fait ce qu’on appelle des consortiums, c’est à dire des camemberts. Dans un gisement classique, vous avez 42,5% pour TotalElf, et 42,5% pour une firme américaine ou britannique. Là, vous vous apercevez que le discours anti américain de la Françafrique c’est vraiment du pipeau, parce que dès qu’il s’agit de choses sérieuses, on se réconcilie. Mais le plus intéressant, ce sont les 15% restants. Dans ces 15% vous avez par exemple 10% pour une firme qui s’appelle Falcon Oil. Falcon Oil, c’est monsieur Falcone. Ce vendeur d’armes, qui n’est pas plus pétrolier que vous et moi, a fondé une firme pétrolière. Où ça ? Aux Etats-Unis. Et ce proche de Pasqua, le pourfendeur des Américains, a aussi été le premier contributeur de la campagne de Bush, à égalité avec le PDG d’Enron. Donc, 10% du gisement pour un vendeur d’armes. Et 5% pour une firme de mercenaires… Vous voyez ainsi que dans l’exploitation des plus grands gisements de la planète sont inscrits, quasi génétiquement, la fourniture de 15% de biens et service de guerre: des armes et des mercenaires. Et vous vous étonnez après ça que la quasi-totalité des pays pétroliers africains soient plus ou moins constamment en guerre civile ? Il n’y a pourtant pas de quoi s’étonner : les armes et le pétrole, ça va en permanence ensemble.
Alors là, on va passer à la mondialisation. Pourquoi les armes et le pétrole sont-ils pratiquement le même commerce ? Pourquoi les principaux acteurs de l’affaire Elf – les Sirven, Marchiani, Tarallo, Lethier – sont-ils autant dans les armes que dans le pétrole ? Pourquoi l’affaire Elf a d’abord été une affaire de ventes d’armes à Taiwan ? Tout simplement parce que le pétrole et les armes sont les secteurs de la plus grande corruption, avec des pourcentages de commissions allant de 20 à 30 ou 50%, et que cette corruption, forcément, doit passer par les paradis fiscaux. Dès lors forcément, commercer des armes et du pétrole, cela revient à maîtriser les flux financiers et les circuits bancaires dans les paradis fiscaux… »
Image à la Une : ibid

 

Je vous propose comme deuxième approche cette critique d’Alain Deneault dans la revue Cairn  le propos est un peu long, mais je vous le recommande. (Article de 2006)

Deneault Alain, « François-Xavier Verschave et la mafiafrique », Mouvements, 5/2005 (no 42), p. 119-124.

URL : http://www.cairn.info/revue-mouvements-2005-5-page-119.htm
DOI : 10.3917/mouv.042.0119

Enfin, je vous signale que vous pouvez télécharger les écrits de François Xavier Vershave en faisant un recherche simple sur le net, vous trouverez des liens vers des versions en pdf de ses livres.

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