Fracturation hydraulique : Au Dakota du Nord, les vaches perdent leur queue

A lire absolument pour comprendre les vrais enjeux de la fracturation hydraulique.

C’est indéniable, depuis que du pétrole est exploité par fracturation hydraulique en Dakota du Nord, ce petit état agricole américain à le taux de chômage le plus bas de tous les US. Les voyez-vous les dollars clignoter façon jackpot dans les pupilles de nos élus français ?

Mais cette manne a un prix, et la facture est très lourde. Lorsque les puits seront vides dans 20 ans, il ne restera qu’un champ de ruine complètement pollué. (Il sera intéressant également de suivre la courbe des cancers et autre maladies  dans cette région). Déjà, si l’on en croit l’article du Monde Diplomatique ci-dessous, les dégâts sont énormes. L’État ferme les yeux et n’a même pas trouvé les 4 sous nécessaires pour diligenter une enquête gênante ceci expliquant sans doute cela.

Et c’est ça que nous amène le TAFTA, il est bon de le rappeler au passage.

Souvenez-vous en , le TAFTA place les multinationales au-dessus de la justice ordinaire et leur permet de faire condamner les États à verser des dédommagements aux frais des contribuables  si leurs lois s’opposent à leur rentabilité  ! (A revoir,  ci-dessous, le Tafta en 4’18 (1))

Au Dakota du Nord, les vaches perdent leur queue

L’exploitation du gaz et du pétrole de schiste aux Etats-Unis provoque d’importants dégâts environnementaux. Dans le Dakota du Nord, les autorités détournent le regard.

par Maxime Robin (Archive 2013)

La ferme de Mme Jacki Schilke est la seule habitation à trente-cinq kilomètres à la ronde. Cette agricultrice des environs de Williston a toujours refusé que les compagnies forent son terrain, mais plusieurs infrastructures pétrolières jouxtent ses pâtures.

Depuis 2011, certaines de ses vaches sont atteintes d’un mal étrange : elles maigrissent, et parfois perdent leur queue. Elle fait donc appel aux autorités du Dakota du Nord pour expertiser son terrain. Dépêchés sur place, les inspecteurs ne trouvent rien d’anormal.

Mme Schilke contacte alors un expert indépendant de Detroit, qui, dans un échantillon d’air prélevé au-dessus de la ferme, décèle plusieurs substances : benzène, méthane, chloroforme, butane, propane, toluène et xylène — tous communément associés à l’extraction d’hydrocarbures par fracturation hydraulique, ou fracking.Dans son puits sont aussi détectées d’importantes quantités de sulfates, chrome et strontium. Des liaisons neurotoxiques sont découvertes dans son cerveau, et, dans son sang, des traces de plusieurs métaux lourds. En tout, elle a perdu cinq vaches, deux chiens, plusieurs poules et une partie de sa santé.

Plusieurs témoignages semblables au sien mettent en lumière la difficulté du Dakota du Nord à protéger sa terre, alors qu’un boom pétrolier n’en finit pas d’ébaudir les médias. Depuis 2011, en effet, les mêmes images tournent en boucle : les derricks parsemant la vaste prairie, les immenses files de camions, les camps de travailleurs logés à la hâte dans des caravanes, etc. Le coût environnemental de cette ruée reste en revanche un mystère.

Le gouvernement local ne connaît pas la quantité de pétrole et de produits chimiques répandus à la surface de la prairie fortuitement ou par négligence, et les rapports d’accident industriel, que les entreprises remplissent elles-mêmes, sont souvent falsifiés.

A tout cela une raison : ce petit Etat agraire, dont la capitale politique, Bismarck, n’excède pas soixante mille habitants, est un paradis politique et judiciaire pour les compagnies pétrolières.

Le débat sur la pollution des sols liée à la fracturation hydraulique repose sur un malentendu de départ, entretenu par les exploitants et les autorités régulatrices.

Les gisements du Dakota du Nord se situent en effet à environ trois kilomètres sous terre. Selon le discours officiel, les multiples couches géologiques qui séparent le schiste profond de la nappe phréatique empêchent toute contamination des nappes et des sols. Sauf que la pollution vient d’ailleurs.

Pour Anthony Ingraffea, professeur en ingénierie à l’université Cornell, qui a contribué à perfectionner la technique pour la société Schlumberger avant de militer pour son interdiction, « la pollution environnementale ne provient pas de la fracturation elle-même, mais de ce qui se passe avant et après », notamment lors du transport et du stockage des énormes quantités de déchets chimiques générées par l’industrie.

Exploiter un seul puits de pétrole par hydrofracturation au Dakota du Nord nécessite en moyenne vingt millions de litres d’eau, deux cent trente-cinq tonnes de sable et un million deux cent mille litres d’additifs chimiques pour augmenter la viscosité de l’eau. Après injection à haute pression de ce cocktail, surnommé slickwater, pour fracturer la roche, un déchet liquide, composé entre autres d’hydrocarbures, de métaux lourds radioactifs extraits de la croûte terrestre et d’aquifères salins emprisonnés sous le schiste, rejaillit à la surface en même temps que le pétrole.

Les Etats-Unis produisent chaque jour deux milliards et demi de barils de ce déchet baptisé « saumure ». Une partie de la saumure est réutilisée pour refracturer la roche, mais son stockage et son recyclage balbutient encore. « On s’en servait aussi pour saler les routes l’hiver, avant que le Dakota du Nord ne l’interdise », indique M. Joe Martin, un chauffeur routier venu travailler pour rembourser les traites de sa maison de West Fargo.

La solution la plus courante consiste à réinjecter le liquide dans le sol à travers des « puits d’injection » où ils demeureront indéfiniment. Sur les routes défoncées du Dakota du Nord, le trafic est dense et les accidents nombreux. Payé au baril de liquide transporté, M. Martin roule entre douze et quatorze heures par jour. Il déplore que certains de ses collègues « dégazent » leur chargement toxique le long des voies, « plutôt que d’attendre leur tour plusieurs heures, en file indienne, devant les puits d’injection pour y enfouir les déchets ».

Deux personnes pour inspecter douze mille puits

Au Dakota du Nord, deux institutions contrôlent les puits, les déchets et la qualité de l’air : le ministère de la santé et le bureau du pétrole et du gaz (Oil & Gas Division). Elles interviennent a posteriori en cas de fuite et laissent aux compagnies le soin de notifier tout problème — dans les vingt-quatre heures, dit la loi —, en vertu d’une sorte de contrat de confiance. Selon les données du département de la santé du Dakota du Nord, ces cinq dernières années, trois mille quatre cent soixante-quatre fuites ont été rapportées aux inspecteurs, soit près de deux accidents par jour. Un chiffre probablement sous-évalué, car une entreprise n’a aucun intérêt à déclarer une fuite.

Depuis 2010, le ministère de la santé a infligé moins de cinquante amendes. Et, vu la faible densité de population du bassin du Bakken (trois habitants au kilomètre carré), les chances pour qu’un citoyen soit témoin d’une fuite sont minimes.

Combien sont passées inaperçues ? Cinquante ? Mille ? Le ministère reconnaît son ignorance. Ses inspecteurs se déplacent très rarement pour surveiller les douze mille puits de pétrole, les conteneurs, pipelines, camions-citernes et le millier de puits d’injection. « Nous avons deux personnes sur le terrain… Cela peut aller jusqu’à dix. Nous avons aussi des inspecteurs de décharges qui contrôlent la qualité de l’air, avance M. David Glatt, chef du service environnement du ministère de la santé du Dakota du Nord, sans préciser leur nombre. Nous sommes une petite agence, et l’action a lieu loin de Bismarck. Rien que trouver une chambre d’hôtel dans l’aire d’exploitation constitue un gros défi pour nous. » En effet, une place de parking pour garer un camping-car au cœur du boom, dans un village comme Watford City, se négocie à 1 200 dollars par mois, soit l’équivalent d’un petit studio à Manhattan. Les meublés coûtent si cher que dormir dans une caravane est devenu la norme.

En cas de fuite, les compagnies doivent indiquer dans leur rapport le volume de liquide perdu ; mais les inspecteurs reconnaissent que les chiffres communiqués sont souvent inexacts, voire fantaisistes.

Dans plus de quarante cas, en 2012, les entreprises, ignorant la quantité de pétrole ou de saumure déversée dans la nature, ont simplement inscrit « zéro ». Une enquête du site d’information participatif ProPublica affirme d’ailleurs que des fuites gigantesques passent inaperçues. « En juillet [2011], la compagnie Petro Harvester a rapporté une fuite de quarante mètres cubes de saumure. Les inspecteurs sur place ont constaté que l’incident était beaucoup plus sérieux : dix hectares de terre rendus stériles par huit millions de litres de saumure — la plus grosse fuite jamais vue au Dakota du Nord. Le rapport officiel est pourtant resté inchangé (1). » Le propriétaire du territoire désormais stérile n’a reçu aucune compensation de la compagnie.

La mission de la seconde autorité régulatrice, le bureau du pétrole et du gaz, relève de l’injonction paradoxale : protéger le public et développer l’industrie. Désigné par M. Jack Dalrymple, gouverneur républicain de l’Etat depuis 2010, son président, M. Lynn Helms, travaillait auparavant pour l’industrie pétrolière.

Ce farouche défenseur de la fracturation hydraulique dirigeait jusqu’en avril 2013, avec l’ancienne gouverneure de l’Alaska Sarah Palin, l’une des stars du Tea Party, l’Interstate Oil and Gas Compact Commission (IOGCC), le lobby des Etats producteurs d’hydrocarbures. « C’est au renard que l’on a confié les clés du poulailler », raille M. Dave Thompson, avocat et militant écologiste à Grand Forks. Le Dakota du Nord détient les pleins pouvoirs en matière de régulation et défend farouchement ses prérogatives face à une éventuelle reprise de contrôle de Washington par l’intermédiaire de l’Agence de protection environnementale (Environmental Protection Agency, EPA).

Le paysage du Dakota du Nord a bien changé en six ans. Les rendements des puits exploités par Continental en 2007 se sont vite révélés exceptionnels. Aujourd’hui, on en extrait chaque jour plus de six cent mille barils de brut. En 2012, l’Etat a dépassé l’Alaska et la Californie pour devenir le deuxième producteur de pétrole, derrière le Texas. Les hommes affluent de tous les Etats-Unis pour travailler ici, au milieu de nulle part, dans des conditions difficiles, et toucher des salaires exceptionnels, à partir de 10 000 dollars par mois environ pour un laveur de camion. Le Dakota du Nord manque de bras et affiche le taux de chômage le plus faible du pays (environ 3 %). « Il y a cinq ans, nous n’étions connus que pour nos tempêtes de neige ; aujourd’hui, le Wall Street Journal me demande quelle est la recette magique du Dakota du Nord », jubile M. Dalrymple.

Si l’on en croit l’histoire de Mme Schilke, ladite recette n’a guère profité à l’environnement. Difficile de savoir si ses animaux ont été contaminés par voie respiratoire ou par ingestion, ou les deux. Il est possible, selon le professeur Ingraffea, qu’un puits autour des pâturages soit fissuré, laissant échapper du pétrole ou de la saumure dans la nappe phréatique et contaminant son eau.

« Les puits de fracturation sont soumis à une énorme pression, explique-t-il. Leur qualité se dégrade d’année en année. Plus un puits vieillit, plus il fuit. Un puits vieux de trente ans a 60 % de chances de fuir, et ils fuient au bout d’un an si la compagnie utilise un ciment de mauvaise qualité. » Quant aux puits d’injection, ils ne sont ni surveillés ni entretenus. « Personne ne met le nez dedans, lance le scientifique. Qui va investir dans l’entretien de décharges qui ne rapportent rien, alors qu’un boom qui rapporte des milliards se produit au même endroit ? »

Les vaches malades de Williston — ville-symbole du boom, dont le taux de chômage, inférieur à 1%, est le plus faible des Etats-Unis — ont bénéficié d’une vaste couverture médiatique, suscitant un débat sur les dangers potentiels de la fracturation pour l’agriculture. Pour autant, Washington n’a encore débloqué aucuns fonds pour une étude sérieuse sur le sujet.

Mme Schilke est l’une des rares agricultrices du Dakota du Nord à s’exprimer publiquement. D’autres agriculteurs refusent de s’identifier et de désigner l’entreprise avec laquelle ils sont en conflit, soit parce que leur litige n’est pas encore réglé, soit parce qu’ils ont signé une clause de confidentialité leur interdisant d’évoquer leur affaire avec la presse ou avec des scientifiques indépendants.

Une pétition invalidée pour vice de forme

Certains, enfin, possèdent leur sous-sol : ils le louent aux compagnies et reçoivent chaque mois des indemnités par baril extrait, appelées royalties. « Ils redoutent que les compagnies pétrolières leur rendent la vie impossible s’ils mordent la main qui les nourrit », glisse M. Derrick Braaten, avocat à Bismarck, qui conseille une quarantaine de fermiers dans des procès contre les compagnies pétrolières. Les témoignages qu’il a compilés révèlent une constante : les agriculteurs considèrent les autorités comme un adversaire, au même titre que les industriels.

En 2011, des fermiers du comté de Bottineau ont pris des photographies aériennes de fuites manifestes et de conteneurs à déchets toxiques défoncés. Chaque fait a été rapporté aux autorités. Pourtant, aucune action n’a été entreprise contre le pollueur, la société Sagebrush Resources. Au contraire, « les inspecteurs ont transmis à Sagebrush les courriels reçus », et les agriculteurs ont été poursuivis en justice pour « invasion de propriété privée », détaille M. Braaten. Au bout d’un an et demi de procédure, la compagnie a été condamnée par un juge de Bismarck. Elle a fait appel, et l’affaire est toujours en cours.

Dès le départ, le petit Dakota du Nord était mal armé pour ce développement frénétique. Politiquement, il souffre de faiblesses structurelles. Une enquête publiée en janvier 2013 le classe quarante-troisième sur cinquante en matière de corruption (2). Il a même reçu la pire note possible — un « F », pour fail, c’est-à-dire échec total — pour ce qui concerne le financement politique. « Les candidats [aux élections] ne sont pas tenus de déclarer comment ils dépensent l’argent de leurs bailleurs de fonds, et les déclarations sur leurs montants sont très vagues », pointe notamment le rapport.

A Bismarck, le Sénat ne se réunit en assemblée plénière qu’une fois tous les deux ans. Une fréquence autrefois suffisante pour un Etat rural ; mais le boom actuel nécessite une réactivité politique hors normes. La minorité démocrate a donc demandé l’an dernier une session spéciale pour imposer une régulation plus sévère aux compagnies. Une proposition invalidée par le gouverneur Dalrymple. « Beaucoup pensent que les politiques se préoccupent davantage du bien-être des entreprises que de celui des habitants », dit M. Ryan Taylor, ancien sénateur démocrate, agriculteur à Killdeer. Lui-même a tenté de se faire élire gouverneur aux élections de novembre 2012 en s’engageant à refuser les donations de compagnies pétrolières pour éviter les conflits d’intérêts. Face à M. Dalrymple, il a été battu de quarante points. Aux élections présidentielles, l’Etat n’a jamais voté démocrate depuis 1964.

Le gouverneur du Dakota du Nord jouit d’un pouvoir sans équivalent dans le reste du pays : en tant que président de l’Industrial Commission, il délivre les permis de forer. A la fois régulateur et bénéficiaire de donations de la part de l’industrie, il se retrouve fréquemment en situation de conflit d’intérêts.

Entre fin 2011 et juin 2012, M. Dalrymple a ainsi reçu 81 600 dollars de dons de la part de plusieurs compagnies pétrolières solidement implantées, comme Hess, Conoco ou Continental. Un mois plus tard, il approuvait un permis de forage controversé dans le comté de Dunn, au profit de ces mêmes entreprises. Une concession à l’étendue exceptionnelle de cent vingt-cinq kilomètres carrés empiétant sur le Little Missouri State Park, propriété de l’Etat. Cent soixante-dix habitants du comté ont alors remis une pétition à un juge local pour convoquer le gouverneur devant une chambre d’accusation et l’inculper de corruption (3). Mais le juge du comté a invalidé la pétition pour vice de forme…

Les spécialistes estiment que le boom pourrait durer vingt ans, et que seule une chute durable du cours mondial du brut, sous la barre des 60 dollars le baril (en juillet 2013, le cours était proche du double), pourrait y mettre fin. Le Dakota du Nord est loin d’avoir achevé sa révolution pétrolière. Une nouvelle technique se généralise, dite des « forages multipad » : une dizaine de puits partant d’un seul point de surface, appelé pad, et fracturant la roche en parallèle sur plusieurs kilomètres. Un changement d’échelle significatif en matière de volume produit. Avec ce procédé encore plus efficace, le principal souci pour les compagnies devient le transport hors site de ces quantités énormes d’hydrocarbures.

Elles réclament donc davantage de pipelines. « Cette nouvelle technique, regrette Ingraffea, requiert plus de déforestation, d’eau, de chimie, de pipelines, de destruction de champs… »

Maxime Robin

(1) LE TAFAT EXPLIQUE EN 4’18

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