Culture : Histoire de couteaux

Le couteau dans la poche

Par Jean-Baptiste Noé. (1)

Coûteau Opinel (Crédits : The Marmot, licence CC-BY 2.0), via Flickr.

Dans la France paysanne et rurale, tous les hommes avaient leur couteau. L’objet marquait, pour les enfants, le passage à l’âge adulte. Le couteau sert à tout. À table, bien sûr. On l’ouvre, et on le dispose à côté de l’assiette. Sur la table, seuls sont présents les autres couverts : fourchette et cuillère. On a le couteau dans la poche. Un couteau que l’on prend soin de bien aiguiser. Sur la pierre d’affûtage, avec un peu d’huile, en passant à plusieurs reprises le fil pour le rendre bien profilé et bien droit. Le couteau doit trancher de façon nette. Aujourd’hui on hésite à le sortir quand on est invité. Cela risquerait de mal passer, alors même qu’un Laguiole en corne, ou un Thiers en bois de buis sont particulièrement élégants. Au restaurant, le couteau est presque obligatoire. La plupart des bistrots et des restaurants ont en effet la tendance fâcheuse à servir des couteaux à lames dentées pour la viande. Ces couteaux ne conviennent absolument pas. Ils ne coupent pas la viande, ils la déchirent. C’est maltraiter une pièce de grande qualité et de grande valeur. Alors, même quand on est faubourg Saint-Honoré, il ne faut pas hésiter à sortir son couteau. Le manche est façonné par la main de son propriétaire. Avec le temps on voit qu’il prend des formes différentes. Le couteau, ustensile indispensable du paysan pourrait devenir l’apanage des urbains chics.

Mais les avanies sécuritaires jouent contre lui. Quand on prend l’avion, on ne peut plus le garder en cabine. Voilà l’homme qui doit laisser au seuil du portique un élément essentiel de ses attributions. Dans les musées, parfois même dans les magasins, les portiques de protection sonnent à la moindre présence du fer. Là aussi, le couteau n’a plus le droit de cité. Les couteliers de Thiers mesurent-ils à quel point ces dispositifs sont discriminants à leur égard ? Certes, on peut tuer avec un couteau corse, ils sont même fabriqués pour cela, mais les fameux vendetta ne servent plus qu’à honorer les imaginaires ; cela fait bien longtemps que les bandits ont abandonné leur couteau et opté pour les armes à feu. L’abandon du couteau nous coupe de nos racines terrestres, et nous laisse croire, à tort, que nous vivons dans un monde pacifique et pacifié.

Le couteau coupe tout : viandes, légumes, desserts. Tout, sauf le pain, qui se rompt. L’origine de cette coutume remonte peut-être à la Cène, quand l’Évangile nous dit que le Christ prend le pain et le rompt pour l’offrir à ses disciples. On peut supposer que si lui-même a rompu le pain, c’est que cette tradition se trouvait déjà dans la liturgie juive. On coupera éventuellement la baguette pour faire des morceaux pour le petit-déjeuner, mais jamais le pain posé sur la table.

couteau hollande rené le honzecLe couteau que nous connaissons aujourd’hui date essentiellement du XIXe siècle. Il est le fruit d’un double phénomène : l’amélioration de la qualité de l’acier, grâce aux progrès de la sidérurgie ; l’approfondissement de la culture régionale, sous l’effet du décloisonnement du territoire. C’est comme cela qu’est né le couteau Laguiole, fabriqué essentiellement à Thiers, dans le Puy de Dôme. Thiers a aussi son modèle de couteau, plus massif et plus trapu, bien qu’élancé. Mais on trouve aussi des modèles de couteau en Alsace, dans le Berry, dans le Rouergue, en Corse (le vendetta), dans le Jura. Si la forme du manche et de la lame diffèrent, la taille est toujours à peu près similaire. C’est le couteau de poche, que l’on plie et déplie au moment des repas, et que l’on porte toujours sur soi. Le couteau n’est pas immuable. En Aveyron, à Laguiole, on a ajouté un poinçon pour permettre de percer la panse des vaches quand celles-ci sont sujettes à la météorisation. Vers les années 1900, le couteau s’est muni d’un tire-bouchon, afin de s’adapter au travail des bougnats. Leur venue à Paris a permis de propager le port du couteau au sein de la capitale. Si le couteau de poche a quelque peu disparu, les beaux couteaux de table sont toujours présents. Ils sont une belle alternative aux couteaux en argent, plus onéreux.

À côté de ces couteaux qui sont de beaux objets, il y a le tout terrain et omniprésent Opinel. Fondé par Joseph Opinel en 1890, il est désormais muni d’une bague de sécurité et d’une lame en acier inoxydable. La fameuse main couronnée est celle de la maison de Savoie, rappelant les origines de la marque. L’Opinel ne coûte pas cher, ce qui permet de l’offrir aux enfants sans grande crainte qu’ils le perdent. C’est le couteau à mettre dans son sac pour les pique-niques et les colonies de vacances, le couteau des scouts et des gens distraits qui ont peur de le perdre. C’est une belle réussite française que cette marque Opinel, qui parvient à se moderniser et à étoffer sa gamme, et à conquérir des marchés étrangers. Le couteau demeure indispensable, en cuisine, sur la table, dans la poche.

Sur le web

(1) Jean-Baptiste Noé est historien et écrivain. Il est rédacteur pour la revue de géopolitique Conflits et chroniqueur à l’Opinion.

Transmis par Jean-Michel

Si vous désirez acquérir ou offrir un couteau, très à la mode en cette période survivaliste, voici deux adresses : l’une de produits plutôt français, et l’autre de produits japonais et américains. Les prix m’ont paru abordables et le choix énorme. Bien sûr, il ne s’agit pas d’une publicité mais d’une indication !

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