FORÊTS : Une ressource planétaire inestimable en danger
Édito : « Forêt, un trésor inépuisable ? »
Parler de forêt, c’est interroger notre imaginaire peuplé d’immensités d’arbres, de faune diversifiée où animaux, oiseaux et insectes pullulent. Patrimoine d’exception, la forêt ancestrale, mystérieuse et sauvage fascine, effraie mais hélas, attire aussi la convoitise.
Lieu d’exil, de refuge, de spiritualité, de terrain de chasse, de cueillette et de prélèvements, de jeux, elle nourrit l’inspiration, sujet de nombreux mythes, contes, nouvelles pour émouvoir et émerveiller (Le petit chaperon rouge, l’Homme qui plantait des arbres), et de films (Il était une Forêt), véhiculant des messages écologiques, humains, voire politiques.
À l’époque gallo-romaine, le terme “foresta“ désignait des espaces restés sauvages, alors que les romains nommaient la forêt “silva“. On parlait aussi de la Gaule chevelue… Nous retrouvons là les racines de notre vocabulaire et de certains a priori comme l’expression “homme
des bois“.
Nous la classons en forêt primaire, forêt naturelle ou vierge et en forêt secondaire ou plantée, fortement façonnée par l’homme. La forêt primaire (Amérique du Sud, Afrique et Indonésie pour l’essentiel), épargnée par l’intervention humaine pendant des millénaires est actuellement en très forte régression, et risque même de disparaître dans les prochaines décennies, alerte le botaniste Francis Hallé (1).
Source d’enjeux économiques et stratégiques colossaux, elle subit les assauts de puissantes entreprises, aboutissant à de profonds changements de l’occupation des sols pour exploiter le bois, implanter des monocultures de palmiers à huile, de soja ici, d’hévéa et de café ailleurs, chassant et anéantissant habitats et communautés humaines.
En France aussi, nous ne sommes pas à l’abri de ces enjeux démesurés. Comme d’autres pans de l’économie, la forêt est victime de l’industrialisation. Dans de nombreux territoires (Massif Central, Morvan…), l’implantation de la forêt a accompagné l’exode rural du XXe siècle qui a accru la dislocation du système agro-pastoral. Ainsi, la forêt a conquis les zones agricoles et les pâturages délaissés moins accessibles à la mécanisation, ainsi que les territoires ayant souffert de la disparition des jeunes paysans victimes de l’hécatombe de la guerre de
14 -18. À partir de 1946, le Fonds Forestier National a encouragé les reboisements artificiels, presque exclusivement des résineux, par l’octroi de prêts et de subventions aux propriétaires des terrains. Des châtaigneraies (arbre à pain) et des chênaies (plantées à l’époque de Colbert pour la construction de bateaux) ont alors disparu. Cette concurrence effrénée a poussé certaines communes à établir des zonages afin de réduire l’envahissement ou le mitage du territoire. Espérons que la nouvelle réglementation “forêt durable“ ne se résume pas à des déclarations d’intention !
La forêt remplit des fonctions essentielles. Réservoir de biodiversité et d’habitats, de ressources énergétiques, alimentaires, phytopharmaceutiques, de protection contre certains risques naturels dont l’érosion des sols, elle protège les captages d’eau et entretient la qualité de l’air. Elle possède des fonctions économiques conséquentes grâce aux revenus de la vente du bois avec des prélèvements et des bénéfices parfois même illégaux…
Toutefois, l’emploi décline avec l’accroissement de la mécanisation et de la productivité. Les produits forestiers, bois de chauffage, bois pour les industries, bois d’œuvre, excitent souvent la convoitise des entreprises éprises de projets pharaoniques (scierie géante du Morvan, chaufferie de Gardanne,…), sans compter les premières expérimentations non confinées d’arbres OGM, peupliers essentiellement (France et Canada) qui font craindre des pollutions génétiques.
La forêt n’échappe pas à la folie des hommes. En réaction, l’idée pertinente de Convention Mondiale pour la Forêt est restée sans suite.
Malgré tout, il est maintenant communément admis, souvent après des catastrophes, que sa gestion doit prendre davantage en compte les écosystèmes forestiers. L’idée de “forêt jardinée“ fait son chemin et même si nous aimerions qu’elle soit plus présente, elle a toute sa place dans nos pratiques de l’agro-écologie paysanne.
(1) F. Hallé
Plaidoyer pour l’arbre (Actes Sud, 2005) – Prix « Homme et botanique »
La Vie des arbres. (Bayard, 2011)
Du bon usage des arbres. (Actes Sud, 2011)
Un jardin après la pluie (Armand-Colin, 2013)
Films: Le radeau des Cimes, documentaire de F.Hallé et A.Devez – Il était une Forêt, film de Luc Jacquet
SOURCE : Edito de la revue Nature et Progrès par Eliane Anglaret
Présidente de Nature et Progrès
http://www.natureetprogres.org/revue_nature_progres/revue_nature_et_progres.html