Les gens sont dans la m…de et il n’y a pas de réponse suffisante

C’est la crise. Chaque semaine, pour ne pas dire chaque jour les médias nous annoncent qui, une fermeture d’entreprise, qui un rachat avec « dégraissage » à la clef.

Ce terme cynique de dégraissage exprime bien la pensée d’un capitalisme sans scrupule. Le gras, c’est ce que l’on jette à la poubelle, et c’est bien ce qui arrive lorsque l’on se retrouve sur le tapis. A la fin des droits, lorsque l’on a pas de possibilité de soutien dans son entourage, que peut-on faire pour continuer à se loger décemment avec un rsa dans une grande ville ?

On se retrouve entassé dans des squats, on vit à 2 dans 15m2, ou on descend en enfer, à la rue, parfois seul, parfois avec femmes et enfants

C’est déjà le cas pour  141 500 personnes et 30 000 enfants

Que fait la France pour ses enfants ? Est-ce normal de laisser ce problème dans les mains d’associations caritatives, débordées par les demandes ?

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Les chômeurs d’aujourd’hui seront les mal-logés de demain. C’est ce que craint la Fondation Abbé Pierre qui publie ce 31 janvier son rapport annuel sur le mal-logement. La France compte déjà 3,5 millions d’habitants précaires et connaît une hausse importante de sans-abris. Qu’adviendra-t-il demain avec 5,5 millions de personnes inscrites au Pôle emploi ? Si plusieurs mesures législatives récemment proposées par le ministère du Logement semblent aller dans le bon sens, les réponses rapides à l’urgence sociale font défaut, pendant que les expulsions locatives augmentent. Comme sur le chômage, le gouvernement semble incapable d’agir à la mesure de l’enjeu.

La France compte, en 2014, 3,5 millions de mal-logés, selon le 19ème rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre. C’est, à première vue, 100 000 de moins qu’en 2013. Sauf qu’il ne s’agit que d’un trompe-l’œil. « L’inversion de la courbe » du mal-logement, a l’instar de celle du chômage, n’a manifestement pas eu lieu. Cette diminution s’explique essentiellement par la décision de la Fondation de ne plus inclure dans son calcul les locataires de logements meublés [1]. Pour le reste, les chiffres du mal-logement 2014, actés par des statistiques publiques, sont quasiment les mêmes qu’en 2013. Et pour cause, la Fondation est tributaire des données nationales, et cela fait belle lurette que la plupart n’ont pas été réactualisées.

50% de sans abris en plus en une décennie

« Alors que pour l’emploi, on a des chiffres tous les mois, voire toutes les semaines, concernant le logement, il faut parfois attendre 6 ans et plus, pour avoir des éléments de comparaison », alerte Christophe Robert, délégué général adjoint de la Fondation, qui plaide pour un changement de tempo. Autant dire que les premiers résultats de l’enquête Logement 2013 de l’Insee sont attendus avec impatience, puisqu’ils viendront mettre à jour des données datant de 2006, voire même de 2002. La douche risque d’être froide, si l’évolution du mal-logement suit la tendance de l’enquête sur les sans domicile [2], sortie l’été dernier. Recensant 141 500 personnes à la rue, dont 30 000 enfants, elle a fait état d’une augmentation de 50 % du nombre de sans abris depuis 2001, date de la précédente enquête qui leur était dédiée.

Pour la Fondation Abbé Pierre (FAP), qui évalue à dix millions les personnes aujourd’hui confrontées à la crise du logement, il est évident que le problème ne fait que s’amplifier. Et cela n’a rien d’une estimation au doigt mouillé. Nombre d’indicateurs, convoqués dans ce rapport, lui permettent d’objectiver cette dégradation. A commencer par la crise de l’emploi qui, dans le genre, fait un excellent baromètre. « Derrière une situation de mal-logement, on retrouve souvent ce problème en filigrane », avance Patrick Doutreligne, son délégué général. « Sur notre plate-forme téléphonique des expulsions locatives, les sollicitations liées à une perte d’emploi ou un changement de situation professionnelle ont augmenté. C’était 44 % des motifs d’appels en 2010, c’est 54 % en 2013 ».

Après deux ans de chômage, arrive le mal-logement

Emploi, donc revenu, et logement sont fortement liés. Une interaction qui inquiète, au regard des 5,5 millions de personnes qui pointent à Pôle Emploi fin 2013, soit 2 millions de plus qu’en 2008. Le chômage est bien sûr un facteur de précarisation, mais la généralisation de l’emploi précaire, CDD en-tête, avec 83 % des recrutements au 1er trimestre 2013 [3], l’est aussi. « Les fragilités se cumulent avec de nombreuses personnes qui s’enfoncent ou risquent de rapidement s’enfoncer si on ne met pas en place des filets de protection. »

Situations emblématiques de ce cumul, les jeunes, particulièrement préposés à « l’emploi en miette » comme aux loyers les plus chers. « Ce sont souvent les petits logements, soumis à un fort turn-over qui font l’objet d’une augmentation à la relocation », indique Patrick Doutreligne. Si beaucoup sont contraints de rester plus longtemps chez leurs parents, tous ne bénéficient pas d’une solidarité familiale. En témoigne leur surreprésentation dans les structures d’hébergement d’urgence, avec un quart des bénéficiaires âgés de moins de 25 ans. Déjà préoccupante, la situation risque d’empirer, puisque les effets de la crise de l’emploi se manifestent à retardement sur le front du logement. « On a des témoignages de CCAS [Centres communaux d’action sociale, ndlr] qui voient les gens arriver deux ans après la fermeture de l’usine, quand il n’y a plus d’allocations chômage et qu’ils n’arrivent plus à payer le loyer », prévient le délégué général.

Le loyer accapare les revenus

Il n’y a pas que le marché du travail. Le logement lui-même accentue les effets de la crise économique en grevant toujours plus le budget des ménages. Les loyers ont augmenté de 55 % entre 2000 et 2013, soit le double de l’évolution des ressources ! Un locataire sur cinq consacre aujourd’hui plus de 40 % de son revenu à son logement. Quant aux prix de vente, ils ont doublé en dix ans. Et pour parfaire le tableau, la précarité énergétique progresse avec 3,8 millions de ménages qui dépensent plus de 10 % de leur budget pour se chauffer et s’éclairer. Les marges de manœuvre financières des familles se sont donc inévitablement réduites, jusqu’à engendrer des situations de privation. Une étude du Crédoc sur les dommages collatéraux de la crise du logement [4] confirme les sacrifices réalisés : 44 % des ménages supportant de lourdes charges de logement déclarent limiter leur frais d’alimentation et 19 % renoncent à des soins médicaux ! « Cela devient un mode de vie, analyse Patrick Doutreligne. On gère son budget comme on peut. On compte, chaque jour, chaque euro, on diffère ces paiements. Et quand ça ne passe pas, c’est l’impayé, qui à terme peut provoquer l’expulsion locative. »

Dans ce contexte particulièrement tendu, qu’apporte la politique du logement mise en œuvre par Cécile Duflot ? Le bilan de cette deuxième année de mandat est nuancé pour la FAP. « Le logement est une priorité pour ce gouvernement », admet Patrick Doutreligne, qui salue l’adoption de nouvelles mesures structurelles. « Il y a de réelles avancées, il faut le reconnaître », renchérit Christophe Robert. « L’encadrement des loyers, c’est courageux. Le système adopté n’est pas le plus efficient, ce n’est pas celui qui va entraîner une baisse des loyers, mais il va au moins permettre de limiter la hausse. »

Des « logements sociaux » trop chers pour les pauvres

La Fondation se réjouit aussi de l’ambition affichée par le gouvernement de favoriser la construction de 500 000 logements par an, dont 150 000 sociaux. Mais sur le terrain, le compte n’y est pas. La FAP a recensé en 2013 un peu plus de 330 000 mises en chantiers et 117 000 agréments, côté logements sociaux, dont plus d’un tiers en PLS (prêt locatif social). Une formule qualifiée de « Canada dry » par Patrick Doutreligne, car ils sont en réalité trop chers pour la plupart des demandeurs de logement social, au nombre de 1 735 000 au 1er septembre 2013. « C’est bien d’avoir des objectifs ambitieux. Mais s’ils ne sont jamais atteints, ça fait perdre de la crédibilité à la parole publique », estime le délégué général, qui doute d’une meilleure performance en 2014. Un effort pourrait être fait, par exemple, pour inciter les propriétaires à relouer un appartement du parc privé dans le cadre d’un conventionnement en logement social, en échange de garanties des pouvoirs publics. Entre 1,5 et 2 millions de logements changent de locataires chaque année. Si 5% de ces relocations étaient requalifiées en logement social, entre 75 000 et 100 000 logements par an pourraient devenir accessibles à des ménages à petits revenus.

Évaluer la pertinence de l’action gouvernementale reste compliqué. Il est beaucoup trop tôt pour analyser les futurs effets de la loi Alur (« pour l’accès au logement et un urbanisme rénové »), en passe d’être adoptée. Reste celle relative au logement social, votée il y a un an [5], qui prévoit la mise à disposition de terrains publics pour favoriser la construction de logements sociaux. « Nous en sommes aux prémisses. Cinq ou six terrains ont été cédés. A chaque fois, le président de la République et des ministres se déplacent. Cela signifie que c’est important, mais aussi qu’il n’y en a pas beaucoup », note Patrick Doutreligne.

L’urgence sociale aux abonnés absents

De nouvelles lois, c’est bien. Répondre à l’urgence des besoins sociaux, c’est mieux. Et là, ce n’est pas terrible. « Les gens sont dans la merde. Leur situation économique est en train de péricliter. Et la réponse donnée, elle n’est pas bonne, elle n’est pas rapide, elle n’est pas suffisante », assène Patrick Doutreligne. Il y a bien un « plan quinquennal de lutte contre la pauvreté », articulant plusieurs dimensions de la lutte contre l’exclusion, « mais on ne peut pas attendre trois ou quatre ans pour que cela produise d’éventuels résultats ! » Le plan d’urgence que la Fondation attendait de ce gouvernement ne semble toujours pas d’actualité. « On pense notamment à tous ces ménages qui ont attendu six mois pour être prioritaires et qui ont encore attendu six mois pour se voir proposer un logement, dont ils n’ont jamais vu la couleur. Les situations aujourd’hui sont toujours bloquées. »

L’année 2014 sera-t-elle celle des expulsions locatives ? Bien sûr, il y a la garantie universelle des loyers, l’extension de la trêve hivernale et des avancées en matière de prévention. Mais Christophe Robert « n’a pas l’impression que la trêve est mise à profit pour aller au-devant des ménages menacés, travailler avec eux pour comprendre, reloger, accompagner et chercher des solutions d’échelonnement de la dette ».« S’il n’y a pas de moyens supplémentaires pour pouvoir mener le travail de prévention, et une volonté forte de l’État pour dire qu’il faut éviter ces catastrophes sociales, ces avancées législatives ne permettront pas d’inverser la courbe de la hausse des expulsions que l’on connaît maintenant depuis une dizaine d’année », gronde-t-il.

La « mobilisation générale pour le logement » semble très partielle. Et mieux vaut ne pas être déjà à la rue. Car l’hébergement d’urgence est lui aussi en crise : « Les trois quarts des personnes qui appellent le 115 ne se voient pas proposer de solutions. » Quant aux familles qui angoissent de ne pas pouvoir acquitter leur loyer, elles ne sont pas vraiment aidées. Si le RSA augmentera un peu pendant cinq ans, les aides personnelles au logement (APL), qui concernent six millions de ménages, ne seront plus indexées sur l’indice de référence des loyers. Celui-ci progressera sans que les APL ne suivent. « Ce qu’on va donner d’un côté, on le récupère de l’autre. Ce n’est pas acceptable, c’est injuste. » « Le logement, c’est comme l’emploi, c’est un effort de tous les jours, conclut Christophe Robert. Tous les jours, il faut mobiliser tout le monde, porter ces objectifs et les faire vivre. Sans quoi on n’arrivera pas à attaquer le noyau dur de cette crise du logement. »

Linda Maziz pour Bastamag

 

 

 

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