L’Iran, pays fantôme dans trente ans ?
Un rapport officiel sur les problèmes environnementaux du pays le prédit. Pour Matthieu Brun, spécialiste des enjeux agricoles et alimentaires, c’est la région entière qui est menacée.
Une bombe à retardement menace l’Iran. Les relations internationales et les tensions interconfessionnelles n’y sont pour rien. Le péril est plus silencieux. Tempêtes de sel, lacs qui disparaissent, réservoirs d’eau potable à sec : Isa Kalantari, un conseiller du président Rohani, pointe un risque d’« effondrement » du pays d’ici à trente ans. Concrètement, si rien n’est fait à cette échéance, les terres arables – qui couvrent un quart de la surface du pays – auront totalement laissé place au désert. Le rapport, établi par cet agronome de formation et détaillé par RFI, est formel : cet Etat de 75 millions d’habitants pourrait devenir un pays fantôme. Pour ça, nul besoin de nucléaire. Les lacs Orumiyeh (ou Urmia) et Hamoun, les deux plus grands du pays, ne sont déjà plus qu’un souvenir. Et selon la Banque mondiale, le coût des dégradations environnementales ampute chaque année le PIB de 7,1%. L’auteur du rapport évoque une solution : l’exode. Apocalyptique, le scénario iranien est révélateur des dynamiques à l’œuvre dans la région. Matthieu Brun, spécialiste des enjeux agricoles et alimentaires en Afrique du Nord et au Moyen-Orient au sein de l’Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales ), nous livre son diagnostic.
Terra eco : Du Maroc à l’Iran, la Banque mondiale parle d’un « stress environnemental » élevé. Cette région est-elle historiquement vulnérable ?
Matthieu Brun : Revenons quelques millénaires en arrière. A l’époque, on parlait de « Croissant fertile » et Hérodote disait de l’Egypte qu’elle était « un don du Nil ». Le contraste avec la situation actuelle est saisissant. Aujourd’hui, l’ensemble de la région compte 95% de terres arides. Le Caire, ville géante, a grignoté les terres agricoles du Delta du Nil. Sous la pression démographique, l’explosion des villes, les quelques zones fertiles restantes s’artificialisent. La mer Morte recule. Entre inondations, sécheresses et salinisation, l’eau est le fléau de la région. En Jordanie, certains jours, les robinets sont à sec. La zone est particulièrement frappée par les catastrophes naturelles. Au niveau mondial, leur nombre a doublé depuis les années 1980. En Afrique du Nord et au Moyen-Orient, il a triplé.
Quelle est la responsabilité de l’homme dans cette dégradation ?
Elle est difficile à quantifier. Il y a, d’une part, les tendances longues, les transformations géologiques pour lesquelles l’homme n’est pas en cause. D’autre part, le changement climatique, qui se manifeste par l’accélération de la désertification. A cela s’ajoute l’impact direct des activités humaines. Au Liban, par exemple, le bois reste le mode de chauffage le plus économique. En temps de crise, la population déracine les arbustes qui aèrent les sols. L’eau de pluie ne s’infiltre plus, ce qui provoque des inondations. En Iran, ce sont des pompages trop importants et la construction de gros barrages qui ont eut raison du lac Orumiyeh. Le fond du problème, c’est que, dans la région, la distribution d’eau est basée sur une politique de l’offre. L’eau, c’est le fait du prince, les Etats en fournissent à prix bas. Cela fait partie du pacte social. En passant à une politique de la demande, c’est-à-dire en augmentant les prix, les gouvernements s’exposeraient à de fortes protestations. Mais ce statu quo entraîne un gaspillage massif. Au lieu d’arroser au goutte à goutte, les paysans inondent les terres, ils noient les sols et épuisent les réservoirs d’eau naturels. Dans la région, onze pays consomment en un an plus d’eau qu’ils n’en possèdent.
Les pratiques agricoles sont donc en cause ?
En grande partie oui. La stratégie agricole adoptée à la fin des années 1980 a laissé des séquelles. A l’époque, du Maroc au Liban, on a fait le choix de produire des fruits et des légumes de contre-saison : des fraises, des pastèques, des agrumes voués à l’exportation. L’argent de ces récoltes devait ensuite servir à nourrir la population. Sauf que ces cultures intensives étaient trop gourmandes en eau. Prenons la péninsule Arabique : il y a encore quelques décennies, c’était un véritable château d’eau, mais d’eau non renouvelable. Or, en cultivant du blé en plein désert, l’Arabie Saoudite a massivement vidé ce stock. Aujourd’hui, les pays sont dépendants des importations en eau et de leurs usines de désalinisation, énergivores et polluantes. Au Qatar, on dit que si ces installations sont bombardées, le pays meurt de chaud en deux jours. De nombreux programmes menés par la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture), tentent de corriger le tir. Mais changer de système prend du temps.
Quelles sont les modèles alternatifs qui émergent ?
C’est très disparate. En Jordanie, un programme a été lancé en 2000 pour réutiliser les eaux grises, c’est-à-dire les eaux ménagères peu polluées. En parallèle, l’agriculture urbaine se développe. D’autres misent sur les grands projets. C’est le cas de l’Egypte, qui n’a pas renoncé au projet Tochka, connu aussi sous le nom de New Valley, lancé par (l’ancien président, ndlr) Moubarak. Ce projet pharaonique consiste à ouvrir un canal pour recréer de toutes pièces une deuxième zone fertile à l’image de la vallée du Nil. La population sera incitée à s’y installer pour désengorger le Caire. Sauf que ce canal doit être alimenté par le bassin du Nil, et prendra donc de l’eau à l’Ethiopie, ce qui sera source de conflits. Des pays riches, comme le Qatar, misent, quant à eux, sur l’agriculture haute technologie, les systèmes d’aquaponie. En parallèle, il y a certaines aberrations. A Doha, on risque une amende si sa voiture n’est pas propre. Les gens lavent donc leurs 4×4 à grandes eaux presque tous les jours !
Les politiques ne sont donc pas assez volontaires ?
Non, je ne vois pas un pays qui mène des politiques à la hauteur de l’enjeu. Le contexte socio-politique n’aide pas. Dans tous ces pays, il y a un gros problème de gestion du foncier, mais quand la situation est explosive, les gouvernement préfèrent construire des logements plutôt que sanctuariser des terres agricoles. L’inertie est la même lors des sommets internationaux. A Copenhague, l’Iran, pourtant gros émetteur de gaz à effet de serre, n’a signé aucun engagement contraignant. Une convention sur la désertification a bien lieu tous les deux ans, mais les vrais problèmes y sont rarement abordés.