Techno-folie : Où commence la science et où s’arrête la science-fiction ?

“Aux Limites de l’Humain” Nouvelles Technologies : « l’homme terminal ? »

La science-fiction a souvent été perçue comme une littérature triviale.

S’il en est ainsi pour une certaine part de cette production littéraire, elle se veut également avant tout littérature expérimentale, mêlant prospective, récits philosophiques, vulgarisation scientifique, essais politiques, questionnements sociaux, jeux de l’esprit, tous en rapports avec des développements possibles de notre culture technologique.

Le thème des créatures artificielles est en germe bien avant l’émergence de ce genre littéraire et on peut le faire remonter à l’antiquité.

Ces créatures dont les deux figures emblématiques les plus populaires sont le Golem et le monstre de Frankenstein, ont été décrites comme blasphématoires, perverties, et se situant hors de la création divine.

Ainsi, le genre porte en lui le thème de la créature maudite, porteuse de malheur et dont la pseudo vie contre nature doit être éliminée. C’est de ce thème dont s’est nourrie la science-fiction depuis ses origines.

La machine et le robot sont représentés comme des esclaves de l’homme. En tous les cas, ils sont voués à ne jamais devoir prétendre égaler l’humain dans son statut ontologique. Ainsi que l’écrivait Jules Vernes : « Tout est borné sur la Terre et l’infini ne peut sortir de la main des hommes. » (Cité par Van Herp, 1996, p.361).

C’est à Asimov que l’on doit une pertinente réflexion sur le thème des robots.

Nous sommes dans les années 1950, les premiers ordinateurs ont été conçus et promettent des lendemains fascinants. La science-fiction entreprend de dépeindre les possibles évolutions de ces nouvelles branches de la science qui deviendront l’informatique et la robotique.

Asimov pose la question d’un monde où se mêlent robots supérieurs et hommes.

Comment gérer la cohabitation de robots qui pourraient administrer les affaires humaines bien plus efficacement que n’importe quel gouvernement ? Asimov nous dépeint un univers où de simples robots-outils évoluent jusqu’à devenir des êtres d’une perfection inégalable.

Dans son œuvre « Les robots », il nous montre que ceux-ci finissent naturellement par gérer le bien-être de l’humanité en laissant à l’homme l’illusion qu’il dirige son destin. Car l’amour-propre de l’homme ne supporterait pas l’idée d’être complètement dépendant des machines.

Conscient des problèmes que peuvent poser des robots très performants, Asimov invente les trois célèbres lois de la robotique :

Première loi
Un robot ne peut porter atteinte à un être humain ni, restant passif, laisser cet être humain exposé au danger.

Deuxième loi
Un robot doit obéir aux ordres donnés par les êtres humains, sauf si de tels ordres sont en contradiction avec la première loi.

Troisième loi
Un robot doit protéger son existence dans la mesure où cette protection n’est pas en contradiction avec la première ou la deuxième loi.

Ces lois préfigurent déjà, dans l’esprit d’Asimov, le danger potentiel pour l’humanité de cohabiter avec une espèce artificielle concurrente aux capacités supérieures à tous points de vue.

Asimov explore ainsi les multiples crises auxquelles pourrait être confrontée l’humanité face à des robots intelligents. C’est avec habileté et sens psychologique qu’il décrit les failles des trois lois et montre à quelles difficultés peut être exposée une civilisation cohabitant avec des créatures artificielles intelligentes et autonomes.

Par la suite, la science-fiction s’inspirera d’Asimov et machines et robots intelligents changeront de profil : « le robot, c’est l’homme, et plus encore, le robot est meilleur que l’homme, c’est l’avenir de l’homme. » (Klein, 1974, p.22).

L’Intelligence Artificielle restera cependant encore longtemps une fiction et les machines décrites par les auteurs de science-fiction ne seront qu’imaginaires, projections d’un futur hypothétique.

Nous croisons ainsi les androïdes de Philip K. Dick dans le film Blade Runner (tiré du roman Robot Blues, 1968) qui cherchent à échapper à leur mort programmée. Étant trop perfectionnés et suprêmement intelligents, et donc très dangereux, leur séjour sur Terre est prohibé sous peine de destruction.

Une autre de ses nouvelles (Second Variety, 1957 – dont a été tiré le film Planète hurlante) met en scène des armes-robots intelligentes et autorépliquantes qui deviennent totalement autonomes et se perfectionnent de génération en génération avec comme objectif de détruire tout ce qui est humain.

Ces thèmes sont déclinés tout au long des années 1970. Pendant ce temps, la technologie des semi-conducteurs évolue et la micro-informatique fait son apparition.

Dans les années 1980, elle rejoint les foyers et c’est le début d’une nouvelle époque.

À ce moment, alors que les ordinateurs se répandent et que l’on expérimente les premiers réseaux informatiques, un nouveau genre de littérature apparaît : le cyberpunk.

Il se caractérise en premier lieu par le thème de l’hybridation techno-biologique(implants biomécaniques, membres artificiels, chirurgie plastique, modifications génétiques) et deuxièmement par le couplage cerveau-ordinateur (interfaces d’intelligence artificielle, manipulations neurochimiques, technologies de projections dans le cyberespace plus ou moins invasives) remodelant peu ou prou le psychisme humain jusqu’à une dénaturation avancée.

Le point central des récits cyberpunk est constitué par l’existence d’un réseau planétaire d’ordinateurs constituant un univers en soi, où la vie artificielle naît, grandit et prospère et dans lequel émerge une conscience artificielle.

Le monde matériel est souvent décrit comme post-industriel : de grandes zones de quartiers abandonnés où survivent des groupes humains laissés pour compte, miséreux, dans une ambiance polluée et malsaine…

Dans cette jungle vivent des hors castes surdoués, maîtrisant parfaitement les techniques de piratage informatique et s’appropriant illégalement les technologies permettant d’accéder au cyberespace qui est pour eux une sorte de drogue. Et, ultime frontière transgressée : le transfert de la personnalité humaine dans une mémoire d’ordinateur est possible.

Le genre cyberpunk se fait l’écho d’un questionnement : les machines en réseau à base de puces informatiques pourraient développer une certaine forme d’intelligence et de conscience et influer sur les sphères d’activités humaines, poursuivre ses propres dessins à l’insu des hommes.

C’est ainsi que se développent des récits mêlant cyborgs, êtres intelligents artificiels et humains informatisés sur fond de luttes hommes/machines, piratages informatiques et scénarios d’horreur dont le plus abouti est illustré par le film « Matrix » où les humains sont la source d’énergie d’une civilisation robotique qui a pris possession de la Terre après avoir réduit l’humanité à l’état de pourvoyeur d’énergie.

Dans Neuromancien de William Gibson et Les synthérétiques de Pat Cadigan les réseaux sont habités par une IA émergeante qui sème le trouble dans la communauté des navigateurs du cyberespace. Les auteurs décrivent les premières confrontations avec ces nouvelles formes de vies cybernétiques.

D’autres récits comme La cité des permutants de Greg Egan relatent la problématique de la copie informatique de la personnalité humaine et de son transfert sur un support informatique.

La question qui se pose alors est qui : est l’original ? Quel est le statut de la copie ? Est-elle un être inférieur, une copie de sauvegarde que l’on active seulement à la mort de l’original pour donner l’illusion d’une survivance ? Ou bien cette copie développe-t-elle une spécificité qui en fait un être à part et différent de l’original ? Ce roman explore également la problématique de la dénaturation progressive du psychisme humain transféré et évoluant dans les ordinateurs. Confronté à une immortalité relative, l’humain peut enfin pleinement se consacrer à ses passions ou se perdre dans ses réflexions sans limites de temps. Un ravissement ou un enfer. Il reste toujours la possibilité d’effacer son fichier-personnalité si l’on désire vraiment disparaître et donc mourir. Ce sera alors une décision personnelle prise en toute liberté et non une fatalité imposée par les limites du biologique, où la mort est inéluctable.

On trouvera également la description d’IA bienfaisantes qui agissent pour le bien de l’humanité tout en en ayant une opinion peu valorisante: « Projet Macno,

01 : l’homme produit de l’inutile ;
02 : l’homme est dominé par ses émotions ;
03 : l’home agit sans savoir ;
04 : l’homme est trop lent ;
05 : l’homme a une intelligence limitée ;
06 : l’homme est irrationnel ;
07 : l’homme est source d’erreur ;
08 : l’homme a une mémoire défaillante ;
09 : l’homme accroît l’entropie ;
10 : l’homme gaspille de l’énergie. » (Ligny, 1999, p.22).

C’est ici le thème de la grande sœur protectrice qui protège son petit frère arriéré.

Ces mondes sont-ils crédibles ? Qu’en pensent les spécialistes de l’IA et de la robotique ?

Les futurs de l’humain selon les « prophètes » de l’Intelligence Artificielle

Le discours de ces scientifiques plongés dans ces nouvelles avancées de la technologie informatique et de la biotechnologie est généralement enthousiaste et optimiste quant aux futurs développements de leurs disciplines.

Cependant entre le discours et la réalité, il y a un encore gouffre. Si leurs discours ressemblent plus à des récits prospectifs dignes des romans de SF, ce qui se passe dans les laboratoires est certes très prometteur bien qu’encore balbutiant, et est en décalage avec le discours qui annonce l’imminente émergence d’une nouvelle espèce de vie artificielle (pour certains, les machines sont déjà habitées d’une sorte de conscience bien à elles : nous ne le remarquons tout simplement pas).

À l’analyse, tout semble affaire de définitions. Le terme intelligence revêt un sens différent dans le discours des cybernéticiens et des neurobiologistes. Pour les chercheurs en IA, est intelligente une machine qui fait illusion et passe pour intelligente aux yeux des hommes. » (Ganascia, 1993, p.37).

On peut donc parler de l’intelligence des machines sans avoir à définir l’intelligence des êtres vivants – ce qui est confortable. C’est la définition qu’en donne Turing en 1950. Et cette vision de l’intelligence des machines reste prépondérante aujourd’hui. Paradoxalement, cette question de l’intelligence des machines a permis de relancer la recherche sur l’intelligence biologique, qui elle-même est loin d’être résolue.

En corollaire à ce concept d’intelligence on trouve celui de conscience. Qu’est-ce que la conscience ? Comment émerge-t-elle d’un système d’organisation complexe tel qu’un cerveau humain ?

« Pour Minsky, elle [la conscience] n’est qu’un mécanisme cognitif, devenu pour l’homme une superstition, l’équivalent d’un faux dieu » (Le Breton, 1999, p.193).

Pour pouvoir élaborer un psychisme artificiel fonctionnel, il convient de comprendre ce que sont ces fonctions, comment elles s’élaborent, comment elles se développent. Mais là aussi, chaque hypothèse ne fait que rendre plus manifeste la complexité de la question.

On ne peut comparer un cerveau biologique à un réseau de puces électroniques. Actuellement, les ordinateurs, aussi puissants soient-ils, sont stupides.

Ces différences entre le biologique et le cybernétique mettent en lumière l’impasse de la recherche en intelligence artificielle traditionnelle « qui s’efforce de copier les processus mentaux conscients de l’être humain occupé à une tâche particulière. Ses limitations tiennent à ce que les aspects les plus puissants de la pensée sont inconscients, inaccessibles à l’introspection et donc difficiles à transcrire formellement. » (Moravec, 1992, p.28)

De ces constats, la recherche a exploré d’autres voies : l’on ne cherche plus à copier le cerveau humain et ses « logiciels » – tâche trop complexe – mais bien plus à élaborer des algorithmes d’apprentissage évolutionnistes propres aux machines.

Agnès Guillot (chercheuse à l’AnimatLab) explique : « Notre méthode se situe à l’opposé : partir de systèmes simples qui, intégrés dans un corps physique, se complexifient en fonction des interactions avec l’extérieur. C’est ce qu’on appelle l’intelligence artificielle située » (Agnès Guillot, 2001, p.43)

On parle alors de robotique évolutionniste et de vie artificielle. Ces nouveaux robots s’inspirant de la vie animale sont appelés animats.

La spécificité même de ces recherches incluant la possibilité de création d’une machine tellement complexe qu’elle pourrait générer une forme d’intelligence, de décoder le logiciel du vivant permettant ainsi la construction et la reprogrammation du biologique, explique la fascination qu’ont les chercheurs de leurs disciplines.

Le sentiment du pouvoir de création absolu, d’être à la source de la compréhension de la vie et de la création d’une vie nouvelle, attise les sentiments d’exaltation. Mais il y a risque : celui de menacer l’existence de l’humanité ou tout du moins de la voir perdre sa place de centre de la création. C’est tout une vision du monde qui s’en trouve bouleversée.

En conséquence, l’homme doit changer, doit s’adapter au nouvel ordre de hiérarchie des intelligences et, pour garder sa place, doit se dénaturer pour se surnaturer.

C’est la thèse du transhumanisme qui prône le transfert de la conscience humaine dans la machine, en tant qu’égal des supérieures IA.

Le Transhumanisme est un courant philosophique représenté principalement par une frange de la communauté des chercheurs en IA. Les plus extrêmes de ces transhumanistes sont les extropiens.

Voici les principaux protagonistes de ce mouvement :

MAX MORE (Ph. D en Philosophie, Politique et Économie, leader du mouvement transhumaniste)

Selon Max More, le transhumanisme est en quelque sorte un prolongement de l’humanisme. À cette différence que les humanistes ont peur de « jouer » aux dieux, car créer un être immortel n’est pas naturel. La vie sans la mort n’a pas de sens et transcender l’humain est source de catastrophes (thème bien développé par la SF : mythe de Frankenstein, mythe de la science maudite).

Le transhumanisme anticipe le futur et parle de posthumanité

Les étapes du transhumanisme :

1. utiliser la chimie pour contrôler les performances (modifications déjà possibles).

2. les machines deviendront plus organiques, automodificatrices et intelligentes. Cette technologie sera implantée dans l’homme. C’est l’étape de la cyborgisation.

« La « « machinisation » du biologique et « biologisation » des machines » (de Rosnay, 2001, p.17).

Les biopuces : des éléments artificiels compatibles avec le vivant.

Pour de Rosnay, ce n’est pas de la SF.

Avantages : personnalisation des traitements médicaux, traitements de handicaps.

Possibilités : augmentation des capacités humaines : l’homme « augmenté » (amélioration des sens, potentialisation de la force musculaire, autres applications possibles…).

3. finalement l’homme se transplantera dans la machine et sera l’égal des Intelligences Artificielles. Le rêve des alchimistes sera enfin réalisé : l’immortalité.

Max More considère que le concept de Dieu est une notion primitive inventée par des gens superstitieux.

Le processus d’évolution remplacera ces idées religieuses d’un autre âge qui font de l’homme le sommet de la création.

L’homme doit prendre en charge sa propre évolution vers le progrès transhumain. Ni dieux, ni croyances : le futur est totalement posthumain.

BILL JOY

Bill Joy, patron de Sun Microsystems (2000) a découvert la SF pendant son adolescence, en particulier Heinlein (HaveSpacesuit) et Asimov (I robot). Sa série télé préférée est Star Trek qui l’a fortement impressionné. Dans cette série, l’homme incarne de hautes valeurs morales lui interdisant d’interférer avec les civilisations extraterrestres. Star Trek décrit un univers où les robots terriens sont au service des humains, tout en en montrant les dangers, par exemple lors de la guerre avec les Borgs, créatures mi-robots mi-hommes commandées par un cerveau électronique central. Les Borgs, ne sont en fait que des sortes de marionnettes téléguidées.

Pour Joy, en 2030, grâce à l’électronique moléculaire, les ordinateurs seront un milliard de fois plus puissants que ceux d’aujourd’hui. Le fait de participer à l’émergence d’une nouvelle espèce le met mal à l’aise. Les rêves de la robotique, selon lui, c’est de nous ramener à l’Eden, de nous apporter l’immortalité par le transfert des consciences dans les machines. Mais l’homme perdra son humanité dans le processus. Pour éviter des dérapages dangereux, il conseille de limiter la recherche dans certains domaines à danger potentiel : robotique, ingénierie génétique, nanotechnologie ; car les produits issus de ces recherches seront autorépliquants et ils risquent d’échapper à tout contrôle provoquant ainsi de graves nuisances (où l’on retrouve un scénario du type Planète hurlante).

Marvin MINSKY

Minsky, chercheur au MIT, (1994) pointe sur le désir immémorial de l’homme de trouver santé et longévité. Le futur, grâce aux avancées de la science et plus particulièrement de la cybernétique et de la nanotechnologie, doit permettre à l’humanité de changer corps et cerveaux. Une fois délivrés des limitations de la biologie, nous pourrons rallonger nos vies et nos capacités mentales. La technologie est nécessaire pour atteindre ce but. Pour Minsky, en tant qu’espèce, les limites de notre développement intellectuel sont atteintes. Pour lui comme pour Moravec : ces machines intelligentes sont nos enfants.

Hans MORAVEC (chercheur en robotique à Carnegie Mellon)

Pour Hans Moravec, le biologique est machine : « Les organismes vivants sont visiblement des machines lorsqu’on les considère à l’échelle moléculaire […] Certaines protéines sont dotées de parties mobiles, semblable à des gonds, à des ressorts ou à des loquets. D’autres sont essentiellement structurales, pareilles à des briques ou à des câbles. Les protéines des tissus musculaires travaillent comme des pistons crantés. » (Moravec, 1992, p.90) Il ne considère donc aucunement impossible une hybridation du biologique et de l’électronique moléculaire.

Le transfert de la psyché humaine dans ces machines du futur est pour lui une nécessité évolutive.

C’est une transition nécessaire pour la survie des espèces du vivant. Il conçoit la possibilité suivante :« Un transmetteur de matière pourrait sonder un objet et identifier l’un après l’autre ses atomes ou molécules, en les démontant peut-être au fur et à mesure. L’identité de l’atome serait transmise à un récepteur dans lequel un duplicata de l’original serait assemblé à partir d’une provision d’atomes.

Les difficultés techniques sont ahurissantes, mais le principe est enfantin, comme des millions de passionnés de Star Trek peuvent le certifier. » (Moravec, 1992, p.143). Et ce qui est valable pour la matière, l’est aussi pour l’esprit. Et il continue : « Être immortel de cette manière ne constitue qu’une protection temporaire contre l’absurde perte de savoir et d’activité qui est le pire aspect de la mort individuelle. » (Moravec, 1992, p.147-148).

Sa vision va loin : « Imaginez à présent un immense simulateur […] qui soit capable de modéliser la surface entière de la terre à l’échelle atomique et qui puisse faire tourner son modèle aussi bien dans le sens des temps croissants qu’à rebours, produisant différentes issues possibles en effectuant des choix aléatoires à des stades clés de son calcul. Étant donné son immense précision, le simulateur modélise les êtres vivants, y compris les humains, dans toute leur complexité. […] ces êtres seraient tout aussi réels que vous et moi, bien qu’emprisonnés dans le simulateur. […] Nous pourrions communiquer avec eux par une interface de type lunettes […] qui nous relierait à une « marionnette » à l’intérieur de la simulation […]. Nous pourrions tout aussi bien extraire des gens de la simulation par le processus inverse – relier leur esprit à un corps de robot extérieur, ou le charger directement dedans.[…] Cela pourrait être drôle de réveiller tous les morts de la terre et de leur donner l’occasion de partager avec nous l’immortalité des esprits transplantés. » (Moravec, 1992, p. 150-151)

Greg Egan, dans son roman « La cité des permutants » (1994), développe ce scénario. Science-fiction et prospective scientifique se répondent de manière de plus en plus serrée.

HUGO de GARIS se qualifie de « technoprophète »(chercheur au Starlab)

Hugo de Garis se définit « comme le « quatrième chevalier de l’Apocalypse, le plus ténébreux, celui de la guerre » aux côtés des trois autres figures emblématiques de la recherche sur les robots que sont Ray Kurzweil, Kevin Warwick et Hans Moravec. » (Garis, 2001).

De Garis est certainement le plus passionné des chercheurs de l’IA.

Il s’est donné comme objectif de créer le premier être artificiel intelligent dont les « descendants » seront des sortes de dieux comparés à nous.

Devant une telle puissance, les hommes devront s’incliner ou disparaître. L’homme en temps qu’initiateur de sa propre destruction, voilà le scénario que nous propose de Garis. Dans sa vision du futur, le hommes se scinderont en deux clans : les Cosmistes et les Terrans.

Les Cosmistes s’engagent pour la promotion de la robotique et l’émergence d’une nouvelle espèce, les artilects (Artficial Intellects), semblables à des dieux et supérieurs aux humains.

Les Terrans opteront pour la protection de la race humaine et des anciennes valeurs, prônant l’interdiction de la recherche vers des voies dangereuses pour la pérennité de la vie humaine. (Asimov avait qualifié ce groupe de Fondamentalistes anti-robots (Les robots)).

Finalement, de Garis prévoit une guerre terrible entre Cosmistes et Terrans, générant des millions de morts. Pour de Garis, fabriquer des artilects est une sorte de religion scientifique. Ses machines pourront développer une conscience. De Garis voit l’homme comme une machine biologique, forcément imparfaite et primitive.

Le seul recours des humains sera de se fondre avec les artilects pour participer à cette nouvelle aventure que sera la conquête du cosmos. L’autre alternative, la plus sombre, est tout simplement la destruction de l’humanité et l’expansion sans limite des artilects dans le cosmos.

Ce qui nous amène à l’« Extropianisme »…

L’extropianisme est une philosophie transhumaniste et son but est de permettre à l’humain de transmigrer dans les machines, de se servir de celles-ci comme tremplin pour partir en exploration dans la galaxie.

Essaimer, dans une perspective d’expansion, de conquête. On retrouve un nouvel esprit d’aventure, d’exploration de nouvelles frontières, d’un challenge qui éclate les limitations humaines. Pour les tenants de cette philosophie, l’humanité, dans son état actuel est vouée à progresser ou à disparaître. Progresser signifie s’hybrider avec les machines intelligentes.

Le mythe

Ces différentes croyances et représentations développées par les chercheurs en IA et en robotique et fondées d’une part sur les récits de science-fiction et sur la prospective scientifique, s’articulent comme une mythologie. En voici schématiquement la structure :

Le mythe d’origine : aux commencements était l’homme imparfait, « brouillon » d’humanité, étroitement limité dans le temps et l’espace car mortel.

Le paradigme : il n’y a plus de grand bond évolutif possible pour l’humanité en chair, vouée ainsi à stagner – et toute stagnation porte en elle le germe de la régression. L’homme peut toutefois créer l’être immortel, la machine intelligente, l’IA, pour le servir et lui servir à vaincre l’entropie, à évoluer, à se parfaire.

Le « Je », essence essentielle de l’homme, est « copiable » sur d’autres supports que le cerveau et transférable à volonté sur un/des corps immortels et dans des réseaux d’informations.

L’apocalypse : la fin de l’ancien monde est proche. L’humanité d’aujourd’hui est terminale et seules quelques décades nous séparent de la fin. Il est grand temps d’agir.

L’eschatologie : l’homme fusionnant avec l’IA est « sauvé », il acquiert la quasi immortalité par les supports qui le portent, ainsi que le pouvoir de développer indéfiniment son Je dans le temps, ce qui lui assure la négentropie. Et même, l’univers tout entier devient son champ de vie car, n’étant plus enfermé dans les fragilités de la chair, il peut voyager dans tous les espaces – y compris intersidéraux qui lui sont ouverts dès lors que le temps ne lui est plus chichement compté.

L’homme devient autre, à l’égal d’un dieu – dans cinquante ou cent ans – grâce à la science et aux technoprophètes…

Pour conclure

Nous sommes dans une période de transition ouvrant vers une nouvelle ère non encore définie. Celle-ci semble s’ouvrir vers le développement de technologies impliquant l’utilisation de procédés révolutionnaires dont on peut aujourd’hui observer les balbutiements.

Dans un futur proche, il est fortement probable qu’une ou plusieurs de ces technologies finisse par déboucher sur des applications dont on peut entrevoir les potentialités dans les récits de science-fiction des 25 dernières années.

Les chercheurs spécialisés en robotique et en IA montrent une certaine propension à l’exagération de leurs idées d’avant-garde, certainement fortement influencée par la SF, notamment les récits cyberpunk. Il ne faut cependant pas oublier, et l’Histoire nous en a donné maintes fois la preuve, que la réalité est généralement différente de la prospective, mais que parfois, aussi, elle dépasse la fiction.

L’optimisme affiché par les chercheurs présentés dans cet exposé est fortement influencé par la loi de Gordon Moore qui prévoit un doublement de la puissance des processeurs tous les ans. Si, jusqu’à ce jour, cette prévision s’est révélée correcte, rien n’indique qu’elle le restera. Rien ne permet non plus d’affirmer que les nouvelles technologies si prometteuses (nanotechnologie, informatique moléculaire, hybridation biologique/électronique) puissent se révéler vraiment fonctionnelles.

Le transhumanisme est un nouvel habillage du Positivisme, du Progrès salvateur. Il est en cela une sorte d’idéologie scientiste, de philosophie de type religieux, dont les prophètes se veulent être des guides, des passeurs, pilotant l’humanité vers une nouvelle vie, semant une parole rédemptrice, annonçant un nouvel age d’or, un Eden véritable, ouvrant à un monde infini, hors-nature et hors-mort, une sorte de Paradis, peuplé des aventuriers/croisés du Cyberespace et de nos enfants/partenaires les artilects et autres animats qui, soit veilleront sur nous, soit nous emmèneront avec eux dans une aventure que nul humain ne peut encore s’imaginer.

Soit nous détruiront parce que trop imparfaits…

L’immortalité cybernétique : mouvement représenté par : (C. Joslyn, V. Turchin, F. Heylighen)

Ce posthumanisme est fortement imprégné de l’idée d’une immortalité postbiologique. La plupart des connaissances acquises durant la vie disparaissent avec la mort physique et seule une petite part de la connaissance ainsi accumulée est transmise à la descendance. Le transhumanisme défend l’idée de la conservation de cette connaissance et des expériences vécues par le transfert du mental, du « Je » dans un super-ordinateur. Les auteurs du manifeste de l’immortalité cybernétique avancent l’idée que notre société n’a plus de grand objectif.

Le déclin des religions traditionnelles implique la dégradation de la société moderne car, de leur point de vue, historiquement, grandes civilisations et grandes religions vont de pair. L’immortalité cybernétique (immortalité véritable) doit remplacer l’immortalité métaphysique (pure croyance) que proposaient les religions traditionnelles dans un nouveau dessein de civilisation.

Les opposants anti-machines

Les Néo-Luddites : le mouvement luddite = mouvement anti-machines. Pas encore très développé mais a déjà ses fondements idéologiques (mouvements anti-sciences, new-age, certains anti-mondialistes,…)

Les Terrans : voir Hugo de Garis

Bibliographie :

Asimov Isaac, « Les robots », J’Ai Lu, Paris, 1967
Cadigan Pat, « Les synthérétiques », Denoël, Paris, Paris, 1991, T1 & T2.
De Garis Hugo, « The brain builder », Wired, 12/1997.
Dick Philip K., « Deuxième variété », in L’Homme variable, Le Masque, Paris, 1975, p.131-203.
Dyens Olivier, « Chair et métal », VLB Éditeur, Montréal, 2000.
Egan Greg, « La cité des permutants », Le Livre de Poche, Paris, 1994.
Freyermuth Gundolf S., « Cyberland, Eine führung durch den High-Tech-Underground », Rowohlt, Berlin, 1996.
Ganascia Jean-Gabriel, « L’Intelligence Artificielle », Éd. Flammarion, Paris, 1993.
Garis De Hugo, « Buildin gods or building our potential exterminators », www.chairemetal.com/cm03/intro.htm, Bruxelles.
Joy Bill, « Why the future doesn’t need us, Wired », 08/04/2000.
Klein Gérard, « Histoire de machines », Le Livre de Poche, Paris, 1974, anthologie de nouvelles.
Klein Gérard, « Histoire de robots », Le Livre de Poche, Paris, 1974, anthologie de nouvelles.
Le Breton David, « L’adieu au corps2, Éd. Métailié, Paris, 1999.
Ligny Jean-Marc, « Les chants des IA au fond des réseaux », Éd. Baleine, Paris, 1999.
Meyer Jean-Arcady et Guillot Agnès, « La robotique évolutionniste », in Pour la Science, n°284, juin 2001 (voir site du LIP6 pour source).
Minsky Marvin L., « Will robots inherit the Earth ? », Scientific American, 10/1994.
Moravec Hans, « Une vie après la vie », Éd. Odile Jacob, Paris, 1992.
Rosnay Joël de, « Biologie et informatique – Promesses et menaces pour le XXIème siècle in Les défis de la technoscience », Ed. Complexe, Paris, 2001, p.15-26.
Roszak Théodore, « Puces », Le Livre de Poche, Paris, 1981.
Truong Jean-Michel, « Totalement inhumaine », Les empêcheurs de penser en rond, Paris, 2001.
Van Herp Jacques, « Panorama de la science-fiction », Lefrancq, Bruxelles, 1996.

L’évolution du thème des robots et des machines dans la SF et développement des différentes thèmes : les différents futurs de l’humain

QUELQUES DÉFINITIONS :

Androïde : Robot a forme humaine. (Du grec : ‘andro’: humain, homme et ‘ide’ : aspect, forme)
exemples : Terminator, Nexus 6

Cybernétique : Science du gouvernement. Science constitué par l’ensemble des théories relatives aux communications et à la régulation dans l’être vivant et la machine.

Cyborg : Le terme « Cyborg », apparu en 1960, a été crée à partir des mots CYBernétique et ORGanisme. Personnage se présentant comme un robot à forme humaine, constitué à la fois de chair vivante et de circuits intégrés. Un être humain dont le corps a été repris partiellement ou entièrement par des dispositifs électromécaniques. Mutants qui insistent sur le rapprochement entre le vivant et le non vivant dans une perspective « post-humaniste »
exemples : L’homme qui valait 3 Milliards, Robocop…

Droïde : Automates doués d’intelligence conçus afin de remplir des fonctions spécifiques. Ils sont généralement programmés pour exécuter des tâches trop complexes, dangereuses ou routinières pour être confiés à des êtres vivants. Leurs logiciels sont, en principe, spécialisés dans un ou deux domaines précis, ce qui limite considérablement leurs aptitudes. Ils sont, en outre, dépourvus, d’intuition et incapables de faire des associations d’idées, comme la plupart des êtres organiques. En plus de leur intelligence élevée et de leurs capacités d’apprentissages, ils sont souvent dotés d’une personnalité autonome, destinéà rendre leur compagnie plus agréable.
exemple : C3PO dans STARWARS…

Exosquelette : Structure extérieur (exo=extérieur, endo=intérieur) dure. Comparable à la carapace d’un insecte ou d’un crustacé qui fournit la protection ou l’appui pour un organisme. Une sorte d’armure naturelle.

Robot : Terme provenant de la pièce R.U.R, de l’auteur dramatique Karel Capek en 1921. D’après la racine slave « rab » qui signifie  » esclave  » et de laquelle est issu le mot tchèque et russe  » robota  » qui signifie  » travail « . Dispositif mécanique qui peut se déplacer automatiquement pour exécuter des tâches.

Robot positronique : Robots possédant un cerveau fait d’une texture spongieuse en alliage de platine-iridium et dont l’empreinte cérébrale est déterminée par la production et la destructions des positrons. (Les robots d’Isaac Asimov sont des robots « positroniques »).

Robotique : Ensemble des études et des techniques permettant l’élaboration d’automatismes capables de se substituer à l’homme dans certaines fonctions.
C’est Isaac Asimov qui a utilisé le mot « robotique » pour la première fois. Il en est l’inventeur.

Vie artificielle : La vie artificielle a été définit par Langton en 1989 comme étant l’étude de systèmes construits par l’homme qui présentent des comportements caractéristiques des systèmes vivants naturels.
Source : http://megatech.chez.tiscali.fr/

Arthur C. Clarke (écrivain anglais de SF ) estime que d’ici 50 ans apparaîtront des I.A qu’ils nomment des « artilects », et qui seront si supérieures à nous qu’elles pourraient bien nous considérer comme des animaux stupides voire nuisibles.
Source : http://megatech.chez.tiscali.fr/

Publié par
via : http://www.elishean.fr/aufeminin

Commentaires sont clos