Dans une étude prospective pour le 1er ministre : l’Inra condamne l’agriculture bio

Je ne l’avais pas vu passer, celle-là ! On a pas fini d’en bouffer des pesticides !

l’INRA souhaite officiellement la disparition de l’agriculture biologique

C’est une première : l’INRA souhaite officiellement la disparition de l’agriculture biologique. L’INRA veut la fin du bio dans ce message adressé début novembre à tous les agents dépendants de l’institut. La branche INRA de SUD-RE alerte sur le contenu d’un rapport rendu public à la mi-octobre.

En juillet 2012 l’INRA a remporté un appel d’offre du Commissariat général à la stratégie et à la prospective (à l’époque Centre d’Analyse Stratégique et successeur du Commissariat Général du Plan) qui coordonne les réflexions pour le Premier ministre.
La demande était de déterminer les possibilités d’évolution de l’agriculture française vers des systèmes de production agricole plus durables, en analysant les marges de progrès offertes par, d’une part, les systèmes de production dits « biologiques » et, d’autre part, les systèmes de production dits « conventionnels », au travers de deux questions :

– comment rendre l’agriculture biologique plus productive et plus compétitive ?

– comment organiser la transition de l’agriculture conventionnelle vers une agriculture plus durable ?

L’étude, « Vers des agricultures à hautes performances », qui a été présentée publiquement le 14 octobre, est organisée en quatre volumes et deux synthèses.

SUD s’est particulièrement intéressé au volume 1, Analyse des performances de l’agriculture biologique . Ce document de 368 pages et sa synthèse de 36 pages suscitent perplexité et malaise.

Dès l’introduction et alors qu’il existe des travaux de recherche, des connaissances en interne à l’INRA et un document de référence (Livre blanc « L’agriculture biologique et l’INRA, vers un programme de recherche » de S. Bellon, Y. Gautronneau, G. Riba, I. Savini et B. Sylvander en 2000), on découvre que l’INRA est allé choisir pour dresser un historique de l’AB deux auteurs connus pour leur hostilité vis-à-vis de l’AB, l’un (trois citations dans l’introduction générale),
G.-R. Wekstein a publié un pamphlet anti-bio « Bio fausses promesses et vrai marketing », et l’autre (quatre citations) B. Le Buannec a coordonné un ouvrage cosigné par d’autres membres de l’Académie d’agriculture dont le titre est « Le tout bio est-il possible ? ».

Dans cet ouvrage, les lecteurs apprendront qu’en cas d’accident nucléaire les animaux élevés en milieu confiné sont bien mieux protégés que ceux qui ont des parcours en plein air et que les nitrates seraient des facteurs probables de prolifération d’algues vertes dans les baies et estuaires. Comment ces deux livres, dont les références ne sont même pas citées dans le rapport, se retrouvent-ils dans une étude scientifique ? Est-ce de l’ignorance ou de la provocation ?

A la fin de chaque chapitre revient comme un refrain le manque de connaissances et d’études approfondies, sans jamais que notre Institut ne s’interroge sur son propre investissement en ce domaine.
Pourtant, les alertes n’ont pas manqué depuis 20 ans et le constat du faible investissement de l’INRA dans ce domaine de recherche (moins de 100 équivalents temps plein sur plus de 7 500 titulaires) avait été posé dans le livre blanc de l’INRA sur l’AB en 2000 (Bellon et al). Rappelons que beaucoup de pays européens se sont dotés d’instituts de recherche ou d’universités entièrement voués à la recherche sur l’AB (par exemple la Faculté de Witzenhausen en Allemagne ou le FiBL en Suisse…) et au sein desquels sont menées des approches systémiques, contrairement aux recherches éparpillées conduites par l’INRA.

L’un des piliers de l’étude est une « Analyse de la compétitivité de la filière biologique », qui repose exclusivement sur une enquête par questionnaires en ligne, avec bien peu d’éléments critiques qui permettent de juger de la crédibilité de la méthodologie qui la sous-tend.

L’orientation des questions a suscité une grande hostilité, notamment de la part des réseaux d’agriculteurs biologiques qui ont déclaré « ne pas se reconnaître dans cette consultation et par conséquent ne cautionner en aucun point cette enquête » (p.256) et qui l’ont boycottée (voir la liste des institutions ayant relayé la diffusion de l’enquête p.311).

Le nombre modeste de réponses exploitables finalement obtenues à l’enquête devrait interdire d’en tirer tout enseignement significatif. Il est à déplorer que l’INRA n’ait pas tenté d’obtenir un consensus sur ce travail, alors même que le très faible engagement de la recherche académique est de plus en plus mal vécu, notamment au regard de la demande croissante par les consommateurs et les citoyens pour des produits « bios » français. C’est encore une occasion ratée de montrer que l’INRA est capable d’avoir une écoute de tous les porteurs d’enjeux.

Enfin, les recommandations finales sont stupéfiantes.

Sous le titre « Faut-il avoir peur de la conventionnalisation de l’AB ? » (p. 354-356), le rapport tranche pour le relâchement des contraintes de l’AB en évoquant une analyse coûts-bénéfices élargie. Considérant que « le défi est bien de sortir de l’opposition simpliste entre les militants et les opportunistes de l’AB », le rapport recommande, pour développer l’agriculture biologique, d’y autoriser l’usage des pesticides de synthèse et d’y abandonner la composition des rations d’alimentation animale par du 100% bio qui est prévue pour 2015 en autorisant les acides aminés de synthèse (voir également le rapport de synthèse p. 33). Notons que le mode de production qui utilise les intrants chimiques en dernier recours existe déjà, c’est l’agriculture intégrée.

Autrement dit détruire l’agriculture biologique au motif de la « sauver ».

En 2000 en préface du livre blanc, B. Hervieu, alors Président de l’INRA, écrivait : « La parution de ce document marque un tournant décisif dans les relations entre l’INRA et l’agriculture biologique ; je ne puis que m’en réjouir, pour au moins deux raisons : la première, c’est que l’incompréhension réciproque qui a prévalu durant tant d’années, et qui prend symboliquement fin avec cette publication, a coûté cher à notre pays, en privant ce secteur particulièrement innovant du progrès technique dont l’INRA a su irriguer pratiquement tous les autres secteurs de notre agriculture.
Le résultat, c’est que la France, qui était en position de leader dans l’Europe des années 70, est aujourd’hui à la traîne en matière d’agriculture biologique, et que nos échanges extérieurs sont déficitaires en ce domaine. Il convient maintenant de rattraper le temps et de reconquérir les débouchés perdus ! C’est ce défi que la recherche agronomique et les agrobiologistes relèvent aujourd’hui ensemble. Il fallait sans doute, pour y parvenir, savoir porter sur le passé un regard dépassionné et sans complaisance. C’est désormais chose faite. » Lien

Treize ans après, la position de l’INRA aurait donc complètement basculé.

Avec la sortie le 14 octobre 2013 de l’étude réalisée pour le CGSP, l’INRA a décidé se faire hara-kiri sur cette question de l’agriculture biologique sans que l’on en comprenne les raisons.

Il faut aussi s’interroger si, dans ce contexte, l’arrivée à grand renfort de communication institutionnelle de la nébuleuse agro-écologie sur le devant de la scène (cf colloque INRA du 17 octobre), ne serait pas le nouvel alibi de notre direction pour refuser de s’intéresser sérieusement à l’agriculture biologique ? Dans la foulée du livre de M. Guillou et G. Matheron (2012), la direction de l’INRA continue à développer son écolo-scepticisme par ses écrits dogmatiques hostiles à l’AB. Dans le livre de 2012 c’était en une page, ici c’est en 368 !!

Les 13 et 14 novembre aura lieu à Tours le colloque Dinabio qui vise tous les cinq ans à faire le point sur les recherches conduites par l’INRA sur l’agriculture biologique. Ce sera l’occasion de savoir si M F. Houllier, PDG de l’INRA, est d’accord avec les recommandations de l’étude CGSP.

Article du 14/11/2013

SOURCE : http://www.wikibusterz.com

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