ECOLOGIE : L’AGROFORESTERIE S’ENRACINE DANS L’AGRICULTURE

 

Peu à peu, les arbres reviennent dans les champs. Ils avaient été chassés par le remembrement. Mais les agriculteurs redécouvrent son utilité pour les cultures.

 

Le savoir-faire qui consiste à allier les arbres aux cultures est aujourd’hui redécouvert sous le nom d’« agroforesterie », néologisme apparu dans les années 1970. Cette technique est pourtant connue depuis la plus haute Antiquité puisque les Étrusques et les Grecs la mentionnent. Cette exploitation conjointe était particulièrement importante en France au Moyen-âge. Certaines associations traditionnelles sont encore visibles en Normandie (pré-verger) et dans la Drôme (noyeraies extensives et cultures intercalaires).

 

Oubliée après la seconde guerre mondiale et le remembrement agricole, cette science agronomique reprend aujourd’hui une multitude de formes (haies, bosquets, arbres têtards, alignements au sein de la parcelle, etc.) et s’adapte à toutes les productions agricoles : céréaliculture, élevage, maraichage, arboriculture, viniculture, etc.

 

Dans le champ, l’arbre augmente les capacités agricoles

 

L’agroforesterie, c’est penser le retour de l’arbre dans le champ. Car l’arbre n’est pas un concurrent mais bien un allié pour l’agriculture. Ces arbres champêtres participent à la production agricole, à la protection des cultures et des troupeaux, à la qualité de l’eau, à la fertilité du sol, au déploiement de la biodiversité. Il s’agit bien de s’inspirer de la forêt, de ses recyclages permanents, de la vitalité de son sol. Productif et écologique, l’arbre utilise efficacement l’énergie lumineuse et fixe le carbone. Il embellit le paysage et offre un moyen de lutte contre le changement climatique. En comparaison avec la monoculture qui a envahi le paysage, l’agroforesterie permet une augmentation du rendement : avec une densité de 50 arbres par hectare de céréale cultivé, l’INRA (Institut national de la recherche agronomique) évalue jusqu’à 50% le gain de production.

 


Grâce à son enracinement profond, l’arbre agroforestier n’entre pas en concurence avec les cultures

 

La présence de l’arbre dans le champ permet ainsi à l’agriculteur de sortir de la précarité énergétique, de gagner en autonomie, de diversifier produits et revenus. L’arbre offre directement des fruits, du bois d’œuvre ou du bois énergie, parfois un complément de fourrage. Jack de Lozzo, agroforestier bio sur 84 ha à Noilhan, dans le Gers, explique : « L’agroforesterie est la première étape dans un engagement respectueux de l’environnement. Elle est une solution pour rhabiller des terres nues, enrayer les problèmes d’érosion, ajouter à la beauté du paysage. Les premières années, l’agroforesterie apporte une aide précieuse en offrant l’habitat aux auxiliaires de cultures et aux pollinisateurs. Mais une part importante est à venir : avec le temps l’agroforesterie offre la remise en état des sols grâce aux feuilles, aux racines et au BRF ».

 

En 2007, l’Association française d’agroforesterie (AFAF a été créé afin de favoriser le développement de l’agroforesterie en France. Son président depuis 2011, Alain Canet, est fils d’agriculteurs et directeur d’Arbres et Paysage 32, association basée à Auch, dans le Gers. Dans ce département, plus de 300 hectares sont aujourd’hui cultivés en agroforesterie.

 

Sous l’impulsion de l’AFAF, plusieurs milliers d’hectares agroforestiers sont ainsi plantés chaque année en France, dans les champs ou à leurs abords. L’association rassemble en particulier les associations pionnières qui promeuvent le retour de l’arbre champêtre depuis sa disparition, au moment du remembrement. Dans les années 1950, l’industrialisation massive de l’agriculture a en effet nécessité l’arrachage des arbres et des haies. Ils ont été considérés comme secondaires, et méprisés, puisque les engrais chimiques permettent d’alimenter directement les cultures et d’augmenter les rendements à cout terme. Leur disparition a aussi facilité le passage des nouvelles machines, de plus en plus larges.

 


Linéaires d’arbres champêtres sur tapis de sorgho, sarrasin et luzerne

 

Mais sans l’arbre, l’équilibre écologique est plus fragile, la terre s’érode et s’appauvrit. Des années de recherche et d’expérimentation l’ont montré. L’arbre retient l’eau, abrite du vent et nourrit la terre à long terme, puisque feuilles et racines font le précieux humus. « L’arbre crée le sol et donne vie », explique Alain Canet. Les études ne cessent de montrer la forte complémentarité des cultures annuelles et des arbres et la bonne valorisation des ressources (azote, lumière, eau, etc) qui résulte de leur association. L’actualité rappelle souvent l’importance des arbres, avec la multiplication des incidents climatiques (inondations, pollutions, sécheresses, érosions…) auxquels l’arbre apporterait une réponse efficace et accessible.

 

Comme en agriculture biologique, une vraie conversion

 

Pierre Pujos, lauréat cette année des Trophées de l’agriculture durable, est agriculteur biologique depuis 1998 sur 85 hectares à Saint-Puy, dans le Gers : l’agroforesterie trouve toute sa place dans sa démarche. Il mise sur l’activité biologique du sol et l’autonomie de la ferme, tant en terme de fertilisants que d’énergie. Sa réflexion agronomique est profonde : rotation des cultures – céréales, légumineuses, légumes – couverture permanente et travail superficiel du sol, engrais verts, semis direct, recours à des variétés anciennes et rustiques.

 

« J’ai toujours porté cette idée d’être plus autonome et de savoir valoriser ce qui est a portée de main, raconte Pierre Pujos. J’expérimente depuis quelques années des techniques de semis couverts, des préparations de sol minimales et je plante des haies et de l’agroforesterie. J’intègre l’arbre dans une démarche globale qui tend à optimiser ma capacité de production. Il reste beaucoup à apprendre mais les quelques retours d’expérience dont je bénéficie et les nombreuses pistes que j’envisage sont prometteuses d’avenir. » En opposition avec les monocultures fortement répandues et dépendantes des intrants, l’agroforesterie précisent certains principes de l’agriculture biologique, bien qu’elle concerne aussi des agriculteurs non bio, qui plante des arbres dans leurs champs sans abandonner la chimie.

 

Mais ces arbres encore timidement sortis des forêts ne représentent que 1 à 2 % des surfaces arborées. Si ce savoir-faire n’est pas davantage pratiqué, c’est qu’il existait jusqu’ici des freins techniques, aujourd’hui en partie levés. Les outils agricoles ont été repensés, facilitent le travail, que ce soit en ce qui concerne les semis directs sous couvert végétal ou la valorisation du BRF. Certains freins politiques aussi ont été levés : l’agroforesterie devrait s’insérer dans le nouveau cadre de verdissement de la Politique Agricole Commune, qui conditionnera une part des aides. De fait, les freins sont surtout psychologiques, car ces pratiques exigent des changements radicaux dans la vision du métier d’agriculteur. « Cette méthode culturale devient naturelle s’il y a une prise de conscience et un réel changement d’état d’esprit », conclut Jack de Lozzo.

Source : Louise Browaeys reporterre.net

 


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