TÉMOIGNAGE DIRECT : SURVIVRE SANS EAU

Nous avons reçu ce mail d’un brin de Dakar (Sénégal) privé d’eau depuis 15 jours… En voici le texte :

J’aimerais, par cette expérience faire prendre conscience aux brins d’herbes, de ce qui se passe réellement, lorsque l’eau vient à manquer. Pas un jour, deux jours, mais aujourd’hui, ici à Dakar, nous en sommes à 15 jours !

Pour vous situer le contexte : depuis le 12 septembre, la canalisation qui alimente la ville de Dakar en eau, a cédé. Depuis, nous allons de Charybde en Scylla.

De l’eau coule au robinet, et tout le monde trouve ça naturel.

Ok , il peut y avoir coupure d’eau,mais pas plus qu’un jour ou deux. Erreur… Je ne savais pas (et je ne m’étais pas posé la question), comme beaucoup d’autres, qu’une ville comme Dakar (3M d’habitants) , n’est alimentée majoritairement que par un seul captage, provenant du lac de Guieres, situé à 200 km de la ville.

Donc, première leçon : renseignez vous sur l’alimentation en eau de votre ville. Une seule usine de retraitement d’eau ? Un captage, deux, trois… Au bout de 48 heures, on annonce qu’une canalisation fuit, l’on va réparer. Ils envoient quelques malheureux, souder une canalisation de 1,8m de diamètre avec les moyens du bord. Autant dire, que ça n’a pas tenu longtemps. Bref, après plusieurs tentatives de soudures (alors que les soudures de cette envergures sont faites par des spécialistes de haut niveaus et surtout sur des canalisations soumises à pression), ça repète.

C’est de plus en plus la cata. On ressoude, on fait la remise en eau hier soir, et là, paf ! canalisation a explosée, faisant six blessées. Ce genre de canalisation étant des pièces uniques, faites sur mesure, ne pourra pas être remplacée avant deux ou trois mois. Le peuple commence à gronder.

Je vous passe les détails, et la population en haleine chaque jour qui passe. il suffit de lire la presse sénégalaise actuellement. Je ne reviendrai pas sur les problèmes de l’Afrique et sa corruption généralisée, à propos de cette canalisation qui devait durer 30 ans, et qui pète au bout de neuf ans. Je souhaite juste que les lecteurs prennent conscience de ce que ça donne dans la vrai vie, lorsque les services publics sont défaillants.

Personne n’imagine en France, une coupure d’eau de quinze jours (pour le moment). Personne n’est préparé. Pour ma part, j’avais juste 20 litres d’eau en stocks, car les coupures d’une journée ou deux , sont assez fréquentes ici. Donc tout le monde a un peu d’eau en stock.

Au début, donc, les gens ne se sont pas trop affolés, pensant que ça ne durerait que deux ou trois jours. Ah, la confiance en nos gouvernants ! Des camions citernes ont apporté de l’eau, ils ont été pris d’assaut, dans un bordel général . La quantité est bien insuffisante par rapport aux besoins de la population.

On a pu voir le comportement de certains : Les camions citernes ont été pris d’assaut pas les gens. Certains chauffeurs se sont enfuit avec leur camion, avant d’avoir délivré leur chargement.

Des gens ont revendu l’eau distribuée gratuitement, à ceux qui n’ont pas pu en avoir. Un conducteur de citerne a été pris en flagrant délit, de vendre l’eau gratuite, aux habitants. A contrario : des blogueurs essaient de créer des réseaux d’entraides. Indiquant aux gens, la position des citernes, certains qui ont encore de l’eau dans les cuves, en distribuent .Aujourd’hui, plus d’un millier de jeunes sont mobilisés pour aider, mais c’est insuffisant.

Seconde leçon : on voit le pire comme le meilleur.

Pour ma part, au début, je ne prenais pas conscience de l’ampleur du problème. (et oui, je fais partie des affreux privilégiés d’expatriés), car je n’étais touchée. Dans mon quartier, on avait de l’eau. Je m’apitoyais sur le sort des malheureux, des quartiers pauvres, qui sont actuellement les pieds dans l’eau (c’est la saison des pluies), et qui se trimbalent des jerricans d’eau sur des km pour la boisson et la cuisine.

Comme partout, ce sont toujours les plus pauvres qui morflent en premier. Ce que je ne savais pas, c’est que dans les quartiers résidentiels, les immeubles ont des citernes d’eau permettant de palier aux coupures d’un jour ou deux. Et il y a un citerne dans mon immeuble. Moi qui me croyait à l’abri, et m’estimais chanceuse de ne pas subir de coupure d’eau, je savais pas encore que notre quartier n’était plus alimenté.

Or, en rentrant de mission hier soir, pas d’eau. Je fais le tour du quartier, plus d’eau potable dans les magasins. C’est là que je me rends compte, qu’avec mes pauvres 20 litres de flotte en stock, je ne vais pas aller loin. Déjà dix litres partis pour se laver, faire la vaisselle, et la balancer dans les toilettes. Laver le linge, ben, ça attendra… sauf que ça peut pas attendre trop non plus. Pour boire, ce n’est pas trop le souci, on ne consomme pas tant d’eau que ça (environ 2 ou 3 litres par jours par personnes), mais c’est tout le reste.

Pour ma part, j’ai acheté un système de filtration d’eau, donc au pire, je peux utiliser de l’eau non potable, mais toute la ville est touchée maintenant. Moi, ce n’est pas vraiment le problème, et ce n’est pas le sujet. Je sais que la France trouvera une solution pour les ressortissants.

Leçon trois : nous avons un état en capacité de gérer le problème, et sur lequel nous nous reposons. Je dois avouer que, bon, c’est la galère, mais je n’ai pas peur de mourir de soif. Si la situation s’aggrave, d’une part, nous avons la possibilité de délocaliser, et nous savons que l’état français ne laissera pas ses ressortissants mourir de soif à Dakar. Mais en cas effondrement du système ?

Attention, de ne pas vous méprendre sur le sens de ce que j’écris, je veux juste signifier, que je ne suis pas dans le même état de désespérance que mes collègues sénégalais, qui eux, hélas, ne peuvent pas compter sur leur gouvernement pour les sortir de la merde. Tous ces pauvres gens, n’ont même pas suffisamment d’argent pour acheter de l’eau potable, boivent l’eau qu’ils trouvent. On ne va pas tarder à voir arriver des problèmes de santé. Tout le monde commence à craindre une épidémie de dysenterie, de typhus ou de choléra. En France, dans une situation comme celle-ci, l’état aurait déjà mis en place un plan de distribution d’eau. Au Sénégal, ben, c’est demerden si sich !

Pour résumer : les populations pauvres sont impactées en premier. Va s’en suivre des problèmes de santé, des émeutes et des comportements prédateurs de certains. Pour les plus nantis, un effet à retardement, mais un effet quand même. Même dans les quartiers résidentiels, les réserves sont épuisées . Que va-t-il se passer pour la population ? Certains comment à quitter la ville, pour rejoindre les campagnes, ou il y a des puits.

Si je peux me permettre, au vue de cette expérience, quelques conseils aux brins d’herbes et ceux qui se préparent au gros bordel général. Renseigner vous sur l’approvisionnement en eau de votre ville ou village. Avoir un système de filtration d’eau (pas une usine à gaz), juste des filtres en céramique et charbon, ou une gourde filtrante, me semble plus intelligent que de stocker des packs d’eau. Ça permet au moins d’avoir de l’eau à boire. La faire bouillir, si vous n’êtes pas sûr de votre filtre.

Ne pas compter sur les magasins pour aller en acheter (erreur que j’ai faite). Ils sont dévalisés dans la journée.

Plutôt que des réserves de bouteilles d’eau, qui ne vous tiendront que deux ou trois jours, au mieux, avoir un plan d’évacuation. Trouvez-vous un endroit avec un accès à l’eau. Cela me conforte dans l’idée, que ceux qui ont un peu de sous devant eux, ou bien quelques copains, démerdez vous pour trouver un terrain à la campagne avec un accès à l’eau. Ici, nous voyons en direct ce que ça peut donner. Il est impossible de survivre sans eau.

Tout ceux qui achètent de l’or ou de l’argent, pour se prémunir, se trouverons fort dépourvus… Et enfin : les effets induits. Autant vous dire, que je n’ai pas de quoi arrosé mon potager sur mon balcon. Là, c’est clair, je n’ai déjà pas assez d’eau pour subvenir à mes contraintes quotidiennes, donc, je vois mes pauvres plantes dépérir. Mais que faire ? Quand l’eau est si rare. Ceux qui ont des poules,ou des animaux, n’en parlons pas. Ils tentent quand bien que mal de leur fournir un peu d’eau. Aux dernières nouvelles, étant donné que la canalisation a explosé, plus de réparation possible. Il semble que la France doit livrer une nouvelle pièce en fin de semaine prochaine, donc, ça risque de durer encore un moment. Inch Allah, comme on dit ici !

Leila Zeikraoui – Brin d’Afrique

(Mise en page et illustration du texte : les brind’herbes.)

 

Info média sur le sujet :

http://www.rfi.fr/afrique/20130928-le-manque-eau-potable-fait-monter-colere-dakar

http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20130926171926/

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