Oubliez le développement durable et l’économie verte, voici l’économie circulaire
On a eu le recyclage, le développement durable, l’économie verte, l’écologie industrielle, le « Green New Deal »… Voici venir l’économie circulaire. C’est le mot à la mode. C’est l’un des cinq thèmes de la deuxième conférence environnementale, organisée par le gouvernement ces 20 et 21 septembre.
Si le mot paraît nouveau, le concept est ancien. C’est une critique du modèle économique dominant qui encourage le gaspillage des ressources en ne prenant pas en compte leur coût environnemental.
L’économie circulaire consiste à assurer une utilisation optimum des ressources en réduisant les besoins et en réintégrant les déchets dans des boucles :
- celle de la réutilisation (réparer ou reconditionner un objet plutôt que le jeter) ;
- celle du recyclage (récupérer la matière).
L’idée est de recréer de la valeur avec les déchets, donc de l’activité et des emplois, généralement de proximité.
La grande, la moyenne et la petite boucle
On le dit souvent, les déchets ne sont que la partie émergée d’un iceberg de richesses gaspillées. En jetant un bien ou un emballage, on jette aussi toutes les ressources en matière, eau, énergie, etc. utilisées pour le fabriquer, le transformer, le transporter, le distribuer… De même, on gaspille tous les impacts (pollutions, gaz à effet de serre) rejetés en amont.
Par exemple un téléphone de quelques grammes a consommé 75kg de matière pour exister. C’est son « sac-à-dos » écologique. De même, une pile jetable, nécessite pour sa fabrication 50 fois l’énergie qu’elle va donner pendant sa durée de vie, c’est « l’énergie grise » ou la « dette énergétique ».
L’économie circulaire, c’est comme dans l’histoire de Boucle d’or, il y a la grande boucle, la moyenne boucle et la petite boucle.
- La grande boucle consiste à préserver le plus possible le produit. L’enjeu est de faire des biens « durables » : qui durent longtemps, qui sont facilement réutilisables et effectivement réutilisés, réparables et effectivement réparés. Ce faisant on optimise l’utilisation de toutes les ressources amont et évite la ponction de nouvelles richesses pour remplacer ces objets.
- La moyenne boucle est organique : les produits qui viennent de la terre et ont vocation à y retourner. Il s’agit de faire du compost avec des déchets qui pourrissent. Tout le monde peut le faire : sur un balcon à Paris où dans une grande usine. Pourtant en France on incinère ou met en décharge majoritairement ces « aliments de la nature ».
- La petite boucle enfin, c’est régénérer la matière finale. Faire du nouveau papier avec de l’ancien par exemple. C’est ce qu’on appelle communément le recyclage.
L’économie circulaire, tout le monde en parle, beaucoup réclament un grand débat national en vue de créer une loi-cadre pour « changer le logiciel » de notre économie. Mais en même temps, chacun y met ce qu’il veut.
Chacun sa recette
« Avoir une formule mobilisatrice, c’est bien, mais il faut du contenu », disent les associations écologistes. L’arsenal juridique, fiscal et économique français ne favorise pas les logiques de boucles malgré les bonnes intentions affichées à chaque grande loi sur les déchets (1975 et 1992) ou au moment du Grenelle de l’environnement (2007).
Pour elles, il est urgent de pénaliser enfin sérieusement, par la fiscalité et la réglementation, ce qu’on appelle les « sorties de boucles » : détruire les déchets plutôt qu’essayer de les faire durer, les réutiliser ou les recycler.
En France, les deux tiers des déchets ménagers par exemple finissent en incinérateur ou décharge. Pour ceux qui jettent, ces filières sont en effet moins chères que le tri en vue du recyclage. Coté professionnels des déchets, ce sont les modes de traitement les plus rémunérateurs. Le recyclage est donc marginalisé au profit de filières financièrement plus intéressantes pour tout le monde.
Coté industriels des déchets justement, l’enjeu est de réhabiliter l’incinération qui a très mauvaise presse. Eux aussi poussent une nouvelle terminologie. Ils disent ne plus vouloir mettre de déchets mais « du combustible solide de récupération » (CSR) dans leurs incinérateurs qu’il faudrait donc appeler des « unité de valorisation énergétique » (UVE). Ils aimeraient rebaptiser la destruction des déchets avec récupération de la chaleur produite en « boucle énergétique ».
Monter la TVA sur les déchets
Les industriels des déchets et les collectivités sont cependant mobilisés en ce moment par une bataille plus grande encore : empêcher l’Etat de taxer davantage l’incinération et l’enfouissement des déchets. Au moment du Grenelle, ils avaient ensemble réussi à imposer des sortes de niches fiscales appelées « modulations » qui permettent aux incinérateurs et aux décharges d’échapper à une grande partie de la fameuse Taxe sur les activités polluantes.
Les observateurs indépendants, notamment européens, et l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), constatent officiellement que ces niches sont inutiles et même contre-productives. D’autant qu’elles percutent l’économie circulaire en entretenant un avantage compétitif en défaveur du recyclage notamment. Le lobbies font pourtant campagne, notamment au sein d’Amorce, association de collectivités et de professionnels des déchets et de l’énergie, pour que rien ne change.
Le deuxième front c’est la TVA. L’Etat cherchant désespérément des ressources, souhaite monter à 10% la TVA sur les services des déchets confiés par les communes aux entreprises privées. Le taux réduit de TVA était en effet appliqué aux services publics des déchets depuis 1999 (5,5% à l’époque).
La loi de finances avait alors mis en place un dispositif innovant visant à appliquer le taux réduit dès qu’une collectivité mettait en place le tri des déchets pour le recyclage. Cela allait à priori dans le sens de ce qu’on n’appelait pas encore l’économie circulaire.
On va pouvoir mesurer les intentions du gouvernement
Sauf que ce taux réduit, une fois déclenché, s’applique depuis à tous les déchets, y compris ceux qui sont incinérés ou enfouis… Il n’y a pas à chercher plus loin l’explication des médiocres performances de recyclage en France : un tiers des déchets ménagers recyclés contre les deux tiers dans les pays du Nord de l’Europe.
La bataille bat son plein. D’un côté les collectivités et industriels veulent tout à 5%. De l’autre l’Etat veut imposer 10% à tout le monde. Au milieu, les écologistes veulent profiter de l’occasion pour favoriser enfin le tri et le recyclage avec un taux de 5% et pénaliser l’incinération et l’enfouissement à 10%.
Avec cette conférence environnementale et ses suites, on va mesurer si le nouveau gouvernement veut vraiment sortir des désillusions du Grenelle où les belles intentions avaient ensuite été détricotées par les lobbies. Il a en tout cas une belle occasion d’ancrer le droit et la fiscalité française dans ce que l’Union européenne appelle « la société du recyclage ».
SOURCE : Rue89