De la Bretagne au Limousin, les compagnies minières débarquent en France
Cela s’apparenterait presque à une ruée vers l’or. Des dizaines de demandes de permis ont été déposées par plusieurs compagnies à capitaux australiens, singapouriens ou égyptiens pour explorer le sous-sol hexagonal et ses métaux. Une première vague de prospections a été autorisée dans la Sarthe. La fièvre des matières premières gagne d’autres régions, sans que l’on sache si les citoyens seront consultés et les activités minières strictement encadrées, au vu des pollutions passées.
La dernière grande mine d’or, celle de Salsigne dans la Montagne Noire, au nord de Carcassonne, a fermé en 2004. La même année que la dernière mine de charbon des houillères de Lorraine, celle de La Houve. Les foreuses se sont tues. L’obscurité a gagné les galeries. Les dernières cages sont remontées des puits. La page de l’histoire minière du pays s’est-elle définitivement tournée ? Dix ans plus tard, géologues et compagnies minières s’intéressent à nouveau au sous-sol hexagonal. Et pas seulement pour les gaz ou huiles de schiste.
Il reste bien quelques mines sur le territoire français, mais loin de la métropole : en Guyane pour l’or, en Nouvelle-Calédonie pour le nickel. Eramet, la dernière grande compagnie minière française, et 7ème producteur mondial de nickel, mise désormais sur les gisements indonésiens avec son projet de mine géante de Weda Bay. Tout cela est bien lointain, la déforestation et les risques de pollutions qui accompagnent les activités extractives également.
Investisseurs australiens, singapouriens et égyptiens
Mais les habitants de la Sarthe, de la Creuse ou des Côtes d’Armor vont devoir bientôt s’intéresser à ce qui se passe au Pérou ou en Zambie. S’ils veulent éviter d’être victimes de pratiques similaires. Car la fièvre minière est de retour en France, dopée par la perspective de produire des métaux et de l’or « made in France ». Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, a autorisé le 28 juin dernier la société Variscan Mines à prospecter dans la Sarthe et la Mayenne. Le « permis exclusif de recherche minière », dit de « Tennie », concerne 17 communes et s’étend sur 205 km². Cela faisait plus de 30 ans qu’aucun permis de prospecter n’avait été délivré en métropole.
Variscan Mines ? C’est une entreprise basée à Orléans, fondée par deux anciens membres du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), et financée par des capitaux australiens (dont une filiale de la banque HSBC), néo-zélandais, et des fonds d’investissements basés à Singapour (un paradis fiscal). Elle prévoit d’investir 11 millions d’euros pour évaluer des gisements potentiels de métaux (cuivre, zinc, plomb) ainsi que les ressources en or ou en argent dans les Pays de la Loire. Variscan regarde aussi au-delà : vers la Bourgogne et la Bretagne, où la société a également identifié des gisements « potentiellement rentables » et déposé des demandes de permis similaires.
Dans la Creuse, une autre société, Cominor, sollicite elle-aussi un permis portant notamment sur la prospection d’or, de cuivre, d’argent, de zinc et d’étain. Cominor est une filiale du groupe La Mancha Resources, basé au Canada, paradis judiciaire des compagnies minières. La Mancha a été revendu par Areva en 2012 au milliardaire égyptien Naguib Sawiris (589ème fortune mondiale). Autant dire que les habitants de la Sarthe ou de la Creuse, inquiets des conséquences environnementales de cette soudaine fièvre, auront des interlocuteurs lointains, voire inaccessibles en cas de pollutions.
Un contexte jugé favorable par les compagnies minières
Pourquoi ce regain d’intérêt pour des gisements que chacun pensait épuisés par la révolution industrielle puis les Trente glorieuses ? Avec l’envolée du prix des matières premières, liée à une pénurie annoncée, des gisements de métaux délaissés deviennent désormais rentables, comme pour les hydrocarbures. C’est particulièrement vrai pour le cuivre dont la tonne s’échange actuellement au-delà de 7 000 dollars contre 1 700 dollars il y a dix ans. Mais c’est aussi le cas de l’or : devenue valeur refuge avec la crise, l’once vaut aujourd’hui 1 400 dollars, soit quatre fois plus qu’en 2003.
Cette montée des cours s’accompagne d’un contexte politique jugé favorable par les compagnies minières. Dès octobre 2012, Arnaud Montebourg a exprimé son souhait de « donner une nouvelle ambition à la France, celle de redevenir un pays dans lequel on peut exploiter des mines, comme le font de nombreux pays européens ». D’ailleurs, « le code minier est en révision… », insiste un document interne de Variscan. Traduisez : sa réforme pourrait être accommodante, surtout si, vu leur convergence d’intérêts pour « un renouveau minier », des majors comme Total ou GDF Suez aux « juniors » comme Variscan ou Cominor, font valoir efficacement leur point de vue (lire aussi notre enquête sur le lobbying en faveur des gaz de schiste).
Greenwashing minier
L’industrie ne manque pas d’arguments. Non seulement l’activité minière créera des emplois, promet-on, mais la mine de demain sera « verte », consommera sa propre « énergie positive » grâce à la géothermie, et sera capable de « produire propre » tout en extrayant des « métaux HQE » (Haute qualité environnementale), indique la « stratégie d’exploration minière en France au 21ème siècle », présentée par Variscan à l’Ecole supérieure des mines de Paris début 2012. Selon son ardent défenseur au gouvernement, Arnaud Montebourg, l’activité minière constitue une « source importante d’investissements, d’activités, et d’emplois non délocalisables en France ».
Dans la Sarthe, si la prospection se révèle fructueuse, 150 emplois de mineurs seront créés ainsi que 500 emplois induits (plombiers, électriciens…) d’ici cinq ans, avance le prospecteur. Des embauches qui ne seront pas forcément locales au vu des compétences demandées, nuance le collectif Aldeah (Alternatives au développement extractiviste et anthropocentré). Cette nouvelle activité risque aussi « de détruire les emplois préexistants dans les secteurs directement affectés par les impacts environnementaux », comme l’agriculture ou le tourisme.
Promesses de création d’emplois et de minerais « verts » suffiront-elles à convaincre ? L’activité minière du siècle dernier a laissé des traces qui semblent indélébiles. Les habitants de Tennie, au cœur de la zone explorée, se sont mobilisés le 21 juillet contre la crainte que l’histoire ne se répète (voir la vidéo). Ils se souviennent du « gros sac poubelle de cyanure laissé après l’extraction de l’or à Rouez ». Entre 1989 et 1992, Elf Aquitaine, absorbée ensuite par le groupe Total, a exploité des gisements d’or et d’argent à Rouez-en-Champagne, laissant derrière elle quelques 300 000 m3 de terre gorgée de cyanure.
Cyanure, arsenic et trou financier
Dans le Limousin, à une vingtaine de kilomètres du site que Cominor souhaite prospecter, se situe l’ancienne mine d’or du Châtelet, exploitée jusqu’en 1955. Selon l’Usine Nouvelle, « plus de 500 000 tonnes de déchets issus du traitement du minerai et stockés à l’air libre sont pollués à l’arsenic et, ce, au cœur d’une zone Natura 2000. A chaque orage, les eaux de ruissellement chargées en arsenic se déversent dans la Tardes, la rivière en contrebas ». Les riverains ont dû mener une longue bataille et l’État débourser près de 4,5 millions d’euros d’argent public pour que le site soit dépollué un demi-siècle plus tard.
La mine d’or de Salsigne, dans l’Aude, a elle-aussi laissé une plaie écologique béante et un profond trou financier. Après divers changements de propriétaires, et une tentative de sauvetage public qui a coûté 76 millions d’euros au contribuable, l’ensemble des opérateurs du site sont mis en liquidation judiciaire. Reste à dépolluer et à réhabiliter car, encore aujourd’hui, l’ancienne mine rejette chaque année 3 650 kg d’arsenic dans la rivière Orbiel [1]. Coût de la facture écologique : près de 50 millions d’euros pour dépolluer et réhabiliter le site, selon les calculs de la Cour des comptes en 2004. Principalement payé par l’État, via l’Ademe, alors que le dernier exploitant de Salsigne était une filiale de compagnies minières… australiennes.
Le souvenir de Salsigne ne semble pas émouvoir les représentants de l’État. En Limousin, l’Agence régionale de Santé, les services du patrimoine, la direction régionale de l’environnement, le Conseil général de l’Environnement ou le Préfet ont tous donné « une suite favorable » [2] à la demande de permis dit de « Villeranges » déposé par Cominor. Et ce, malgré « l’existence d’un double site Natura 2000 » et « des enjeux majeurs pour la biodiversité ». Quant à la consultation du public, elle a bien eu lieu… en plein été ! Les citoyens étaient invités à adresser leurs observations par mail ou courrier postal entre le 24 juillet et le 4 septembre. « Il ne s’agit pas d’obtenir l’approbation de la population, mais tout au plus de connaître son opinion », déplore l’Aldeah qui voit là « un profond mépris pour la démocratie ». Arnaud Montebourg a déjà été interpellé en mars 2013 par Françoise Dubois, députée socialiste de la Sarthe, sur la nécessité d’une plus grande « transparence dans l’octroi des permis miniers ».
La ruée vers l’or gagne l’Europe
La France n’est pas le seul pays européen concerné par cette nouvelle ruée vers l’or. La Grèce pourrait devenir d’ici deux ans le premier producteur d’or en Europe. Des « juniors » canadienne et australienne, Eldorado Gold et Glory Resources, creusent quatre mines dans le nord de la Grèce. En Espagne, c’est l’une des plus grandes mines européennes de cuivre à ciel ouvert qui devrait redémarrer dans un an, au cœur de l’Andalousie. Son nouveau propriétaire, le producteur canadien Emed Mining, prévoit d’extraire 37 000 tonnes de concentrés de cuivre. Soit le double de la production du pays au premier trimestre 2012.
En Roumanie, la société canadienne Gabriel Resources envisage d’exploiter le site de Rosia Montana en Transylvanie, qui renfermerait le troisième gisement d’or au monde. Mais sa mise en œuvre implique la destruction de quatre villages, avec 1 500 hectares et quatre montagnes à excaver. 15 000 Roumains sont descendus dans la rue le 9 septembre pour s’opposer au projet minier qui prévoit l’utilisation de grandes quantités de cyanure. Une mobilisation qui fait écho à celle menée au Pérou contre le projet Conga, une immense mine d’or à ciel ouvert (lire notre reportage).
Ce renouveau minier, malgré les toutes récentes références au « développement durable » affichées par les opérateurs, semble difficilement conciliable avec la transition écologique. « Extraire de l’or, c’est de la folie : des centaines de litres d’eau à la seconde avec l’utilisation de produits chimiques toxiques qui provoquent l’apparition d’arsenic », prévenait dans Basta ! Alain Deneault, coauteur du livre enquête Paradis sous terre. « Quant aux royalties, si tant est qu’on juge sensé de permettre certains chantiers d’exploitation, il faut les prévoir à la source, dès que le minerai est prélevé, pour que les redevances ne concernent pas que les profits », conseillait-il.
L’exploitation minière est « compatible avec le respect de l’environnement », assure au contraire Arnaud Montebourg [3]. Si demain, les futures mines de métaux de la Sarthe, de la Creuse ou des Côtes d’Armor provoquent de graves pollutions, l’État sera-t-il capable de se retourner, aux côtés des citoyens et des employés, contre leurs propriétaires, qu’ils soient à Sydney, à Singapour ou à Toronto ?
Sophie Chapelle et Ivan du Roy pour Bastamag
Photo de Une : CC Esprit de sel