REFLEXION : CHANGER

Le journaliste Emmanuel Daniel va se lancer mi-juin dans un tour de France des alternatives et partir à la rencontre de ceux qui construisent aujourd’hui le monde de demain. Voici son analyse :

Ma révolution, mes alternatives 

 

Révolution. La simple évocation de ce mot provoque des poussées d’urticaire chez de nombreux Français. Dans l’imaginaire collectif, il est étroitement associé aux têtes coupées, au sang versé, à la Terreur. La révolution fait peur au point que, pour beaucoup d’entre nous, elle n’est pas souhaitable.

Pourtant, l’explosion de la pauvreté et des inégalités, l’indécence des élites, les dérives oligarchiques de la République, la destruction de la planète et l’érosion du lien social la rendent nécessaire. Les dernières décennies nous ont en effet montré que les réformateurs ont échoué. Que les tentatives de moralisation du capitalisme et des pouvoirs publics ne sauraient suffire à remettre sur de bons rails un système capitaliste qui produit mécaniquement misère et exploitation.

 

Pour autant, il n’y a pas grand-chose à attendre d’un Grand Soir. D’abord parce que sa tenue est tout à fait hypothétique, mais surtout parce toutes les révolutions brutales ont été (au moins partiellement) vidées de leur substance par des contre-révolutions. En effet, si la révolution n’est le fait que de quelques individus politisés qui galvanisent la colère populaire, elle ne peut atteindre durablement son but.

 

De l’inutilité du coup de balai

Si elle n’est pas initiée et portée par le peuple, on reviendra bien vite au point de départ, car une fois le coup de balai passé et la colère populaire apaisée, nous retomberons progressivement dans l’apathie et accepterons à nouveau la domination de quelques-uns… jusqu’à l’insurrection suivante, et le remplacement de l’ancienne élite par une nouvelle.

C’est pourquoi la révolution est une chose trop sérieuse pour être laissée aux seuls révolutionnaires. Elle doit être le fait de la majorité aujourd’hui silencieuse et résignée. Une majorité de révolutionnaires sans fusils, armés seulement d’un profond désir de changement. Pas d’un simple changement de majorité, mais de paradigme. La révolution de demain devra être celle des consciences. Elle ne devra pas être portée par un homme providentiel, mais s’appuyer sur une masse critique suffisante pour impulser un nouveau souffle à nos sociétés. Des femmes et des hommes qui ne seront plus guidés par le triptyque production, consommation, ostentation mais par le désir d’évoluer dans une société conviviale, libérée de la religion de la croissance et du travail contraint.

 

Décoloniser notre imaginaire

Parler d’une révolution n’est d’ailleurs pas tout à fait juste. En réalité, elles devront être multiples. Les Bastille à reconquérir sont intérieures et elles sont aussi nombreuses qu’il y a de citoyens en France. Et le caractère non-violent de ces révolutions ne les rend pas aisées pour autant. Le chemin sera long et fastidieux tant nous avons intériorisé le fonctionnement capitaliste, l’exploitation et «la guerre de tous contre tous» qui lui sont inhérents. «Décoloniser notre imaginaire», pour reprendre l’expression de Paul Ariès, prendra du temps. Car comme le disait Keynes, «la difficulté n’est pas de comprendre les idées nouvelles, mais d’échapper aux idées anciennes».

La bonne nouvelle est que le changement de paradigme est déjà en cours. De par le monde éclosent des milliers de «révolutions tranquilles», et la France n’est pas en reste. De part et d’autre du pays, de simples citoyens montrent non seulement qu’un autre monde est possible, mais aussi que celui-ci existe déjà. Ils créent des monnaies locales et des circuits courts, mettent en place des coopératives avec des écarts de salaire réduits, remettent au goût du jour les notions de partage et de don… La multiplication de ces utopies concrètes prouve que les alternatives sont nombreuses et réalisables.

Sur la route des utopies concrètes

En effet, crises aidant, la solidarité et le partage redeviennent d’actualité, tandis que se dessinent de nouveaux modes de consommation et de production, plus respectueux de l’homme et de la nature. Chaque jour, des femmes et des hommes s’engouffrent dans les brèches laissées ouvertes par les échecs du libéralisme comme de l’Etat providence. L’économie, la politique, l’environnement,  la santé, le logement, l’éducation, la culture… Aucun domaine n’échappe à ces révolutionnaires de l’ombre qui agissent par simple volonté d’améliorer leur vie et celle de leurs proches, souvent au-delà du clivage gauche/droite traditionnel. Les sociologues les appellent les «créatifs culturels» et, ils représentent déjà 17% de la population française.

Ces initiatives, bien que nombreuses et diverses, sont mal connues du grand public car encore trop peu médiatisées.

C’est pourquoi je vais me lancer mi-juin dans un tour de France des alternatives et partir à la rencontre de ceux qui construisent aujourd’hui le monde de demain. J’ai choisi de m’intéresser à cette lame de fond qui pourrait bien se transformer en tsunami. Pendant près de six mois, je publierai une cinquantaine d’articles présentant des initiatives concrètes et ancrées localement. Ce n’est pas un tour de France des bonnes nouvelles, mais une volonté de mettre en avant ces projets subversifs qui questionnent et fragilisent les piliers idéologiques du vieux monde, individualiste et utilitariste.

Donner l’envie d’agir

L’idée est de donner de la visibilité à ces projets, de les aider à germer afin qu’ils puissent polliniser l’ensemble du territoire. Faire que chacun s’inspire des expériences menées partout en France pour les mettre en pratique chez lui mais aussi réalise qu’il n’est pas seul sur le chemin de la transition. En m’engageant sur la route des utopies concrètes, je compte redonner espoir et envie d’agir à ceux qui me liront et qui se sentent impuissants face à l’étendue de la tâche à accomplir. Espoir d’autant plus réaliste que les solutions proposées sont ancrées dans le réel et n’impliquent pas qu’un quelconque parti politique s’en saisisse. Il suffit que les citoyens se convainquent eux-mêmes de la nécessité et de leur capacité d’agir et fassent leur cet adage de Gandhi: «Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde.»

Et le changement ne pourra venir que d’en bas. C’est cette conviction qui m’a poussé à prendre mon sac à dos et à rencontrer ces explorateurs de possible. Il serait en effet illusoire de croire que l’élection de tel ou tel représentant aboutira à l’établissement d’un monde nouveau.

 

Devenons des citoyens et non des électeurs

Déconnectée de notre réalité, prisonnière de logiciels de pensée partisans et obnubilée par la conquête ou la conservation du pouvoir, la classe dirigeante a largement prouvé son incapacité (ou son absence de volonté) à œuvrer pour le bien commun. L’élection ne suffit donc plus. Car se contenter de glisser un bulletin dans l’urne, c’est se déculpabiliser. Se convaincre que notre devoir de citoyen est accompli, alors qu’en réalité, nous n’avons fait que remplir notre tâche d’électeur. Notre conception du devoir ne devrait pas se limiter à attendre que d’autres décident et fassent le travail pour nous. En tant qu’individus responsables, il nous incombe de reprendre en main les problématiques qui nous concernent.

Et nous sommes en mesure de le faire. En nous approvisionnant auprès de producteurs locaux plutôt qu’auprès de multinationales, nous contribuons à relocaliser l’économie. En créant des coopératives, nous reprenons en main les outils de production et rendons l’entreprise démocratique. En finançant l’économie locale, via l’épargne solidaire, nous facilitons la création de richesses, d’activité économique et de lien social près de chez nous. Quand un village finance ses propres éoliennes, il retrouve son autonomie énergétique. Et quand un autre met en place des instances de démocratie directe, il revitalise la démocratie et participe à la repolitisation des habitants.

 

La révolution est en marche

Cette liste des actions concrètes à mener pour se réapproprier nos vies n’est bien sûr pas exhaustive. Des milliers de citoyens, regroupés en collectifs plus ou moins formels ou en associations (comme les Colibris de Pierre Rabhi et leurs 60.000 membres) en expérimentent de nouvelles chaque jour. Ces avant-gardistes ont bien compris que nous ne pouvons plus attendre, lâchement, que le monde change sans que nous ne fassions quoi que ce soit en ce sens.

Car «c’est quand chacun d’entre nous attend que l’autre commence que rien ne se passe», soulignait l’Abbé Pierre. De plus en plus de Français en sont conscients. C’est ce que je compte montrer grâce à ce tour de France des alternatives. Et je peux affirmer, sans avoir peur de me tromper, que la seule révolution possible, celle des consciences, est en marche. Et il ne tient qu’à nous de la faire aboutir.

Emmanuel Daniel

 

SOURCE : Slate.fr

Photo à la Une : Florian le Bricon

 

 

 

 

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