Arnaud Daguin ou l’art de manger sain
Invité par l’association Arbre et paysage, Arnaud Daguin anime ce soir à Auch une conférence sur «agroforesterie, alimentation et paysage». Le fils d’André Daguin y détaillera sa conception du manger sain.
Etoilé Michelin, il prône une autre approche de la nourriture, respectueuse du corps et de l’environnement.
Vous êtes un cuisinier, en quoi l’agroforesterie vous concerne-t-elle ?
L’agroforesterie me concerne au premier chef parce que le cuisinier c’est quelqu’un qui s’occupe de faire manger les autres et que quand on s’occupe de faire manger les autres, à mon sens, on ne peut pas faire l’économie de se préoccuper d’où viennent les choses qu’on donne à manger aux autres. Je suis un cuisinier qui a envie de faire en sorte que sa vie professionnelle ne soit pas seulement le fait de faire manger une poignée de gens aisés le mieux possible mais peut-être d’influer un petit peu sur la façon dont collectivement on gère nos problèmes d’agroalimentaire et nos problèmes d’alimentation.
Quelle est votre conception de la gastronomie ?
La plus grosse question pour moi qui peut se poser sur notre mode alimentaire concerne cette proportion délirante, dans notre alimentation, entre les produits d’origine animale et les produits d’origine végétale. C’est du délire complet. Il n’y a pas d’exemple dans l’histoire de l’humanité de civilisations qui se soient nourries comme ça et qui n’en aient pas crevé.
Vous parlez d’une disproportion entre viande et légume ?
Trop d’animal et pas assez de végétal. Comment en est-on arrivé là ? Sur les 60 ou 70 dernières années, on a multiplié la productivité des paysans par cent alors qu’on divisait leur nombre par plus de dix. Il y a des chercheurs en nutrition ou même des philosophes comme Michel Serres, qui disent qu’on a quitté l’ère du néolithique et je le crois. On a quitté l’ère du néolithique le jour où on s’est aperçu que ce que l’on faisait produire à la terre pour nous alimenter n’était pas ce dont nous avions besoin, mais plus précisément ce dont la machine à produire avait besoin de produire et de vendre. On a changé la nature de ce que l’on mangeait. On a transformé les graisses de nos animaux qui, lorsqu’on les laissait pâturer à l’extérieur, se chargeaient en omégas 3 et les restituaient sous forme de gras qui nous sont relativement favorables. Mais depuis qu’on leur donne de la protéine végétale à tire-larigot voire plus si affinité, on a totalement changé la nature de ces acides gras. On s’aperçoit qu’on est à l’origine aujourd’hui d’une vraie pandémie de maladies chroniques. On a quitté le monde de l’agriculture qui était faite pour nous nourrir avec ce dont on avait besoin pour entrer dans le monde de l’agro – industrie qui produit ce qu’elle a besoin de vendre.
Vous avez signé il y a quelques temps un livre avec votre père qui s’appelait «Un canard, deux Daguin», et qui montrait vos différences. Est-ce que votre cuisine aujourd’hui s’oppose à celle que faisait votre père hier ?
Elle ne s’y oppose pas, elle est un saut générationnel sur les mêmes bases. Elle s’en différencie justement par les proportions. Le bouquin en est l’illustration. On a fait un jeu qui consistait à prendre les mêmes ingrédients, lui et moi, et à sortir une assiette qui était la plupart du temps pour la sienne à 80 % pour l’animal et 20 % pour le végétal et moi l’inverse.
Est-ce que vous vous sentez seul dans ce discours sur la proportion entre viande et végétal ?
Non, pas du tout, on est très très nombreux. On France on est très nombrilistes, on ne regarde pas trop en dehors des frontières, mais si vous allez à Berlin, à Copenhague, à Londres, si vous allez à Madrid, vous allez vous apercevoir que l’offre en matière de nourriture commence à tenir compte de l’éveil des gens à ce qu’est la qualité alimentaire vraiment et non pas à ce que l’on veut leur faire croire.
La cuisine est un art de plus en plus médiatisé. Que pensez-vous de tous ces programmes que l’on voit à la télé sur l’art culinaire ?
Je trouve ça un peu inquiétant. Je trouve qu’une activité aussi primale, aussi importante, aussi vitale pour tout le monde que la cuisine, c’est-à-dire le fait de nourrir les autres, si ça devient un hobby, un loisir et du show-business, c’est mal barré. Ça veut dire qu’au niveau du vivrier pur et du ménager, on a perdu le contact. Si la cuisine devient un loisir de week-end pendant que le reste de la semaine on bouffe de la merde, c’est pas bon signe.
1- «Agroforesterie, alimentation et paysage», avec Arnaud Daguin, Alain Canet, président d’Arbre et paysage, Sabine Bonnot, présidente du Gabb32, Jean-François Robinet, cuisinier dans les collèges gersois.
Source : la dépêche.fr