JUSTE DE L’HONNÊTETÉ

 

72% des francais ne font plus confiance à leur exécutif. Voici l’analyse et la réponse du juge Eric Alphen, mis au placard en 1994 par la république suite à l’affaire Pierre Maréchal. (voir en fin d’article)

 

Tribune du juge Eric Alphen.

Juste de l’honnêteté : 

Si la faute d’un homme pouvait avoir le mérite de faire un peu bouger les choses, il y aura de quoi, sinon remercier Jérôme Cahuzac, du moins se féliciter que grâce à lui le débat soit (r)ouvert. Il ne faudrait pas cependant qu’en légiférant sous le coup de l’émotion comme cela a été si souvent le cas ces dernières années, on assène un chapelet de propositions que l’on jettera ensuite aux oubliettes à la vitesse d’un virement swift. Notre démocratie souffre tant des promesses non tenues qu’elle pourrait bien, si l’on n’y prend garde, ne plus se souvenir de ce qu’elle est.

 

Souvenirs. Il y a une vingtaine d’années, nous avions mis le doigt, Renaud Van Ruymbeke à Rennes, Thierry Rolland à Toulon et moi à Créteil, chacun dans notre coin, sur un compte bancaire suisse qui avait pour particularité d’alimenter à la fois Michel Reyt, c’est-à-dire le parti socialiste, Maurice Arreckx, donc l’UDF, et Jean-Claude Méry, à savoir le RPR. Autrement dit, un même donneur d’ordre, lié en l’occurrence à une grande société française spécialisée dans l’eau, finançait la quasi-totalité de la vie politique française, à l’exception notable du parti communiste qui lui préférait le muguet.

 

Nous avions alors écrit au Garde des sceaux pour qu’il ne ralentisse plus nos demandes d’enquêtes envoyées en Suisse à propos de ce compte. C’était l’époque où les juges, en particulier par l’Appel de Genève, réclamaient une meilleure coopération entre les différentes justices en Europe, c’était l’époque des affaires politico-financières. Personne, dans le monde politique, ne s’était alors ému, personne n’avait relayé nos avertissements. Rien n’a depuis été fait, ni pour aider l’action de la justice, ni pour modifier la façon de fonctionner en politique. Rien ou presque n’a changé.

 

C’est qu’on a dans le monde politique une grande indulgence pour le monde politique. Les comptes à l’étranger des uns, les paradis fiscaux des autres, les sociétés taxis utilisées par beaucoup, cela avait jusqu’ici tendance à faire sourire ou hausser les épaules, pas de quoi fouetter un chat en tout cas. Les gestionnaires de fortune, les pots de vins et les interventions formaient une sorte de maladie à peine honteuse qu’on connaissait sans la nommer, qu’on tolérait tel un mal nécessaire. Car on avait besoin de FI-NAN-CE-MENT.

 

De la fraude fiscale au favoritisme, des emplois fictifs à l’abus de biens sociaux, certains ont donc passé les bornes. Ils ne sont certes pas une majorité. Beaucoup d’élus se donnent sans compter pour l’intérêt général, ce qui est somme toute normal. Mais ils existent. Des chefs d’exécutifs notamment, des maires, des présidents de conseils généraux, ont eu tendance à ne pas toujours résister aux tentations, en particulier depuis les lois des années 1980 sur la décentralisation. Un salarié de la société évoquée ci-dessus m’a un jour expliqué avoir été formé, avec plusieurs de ses collègues, à « aller au contact » des maires nouvellement élus. Pour les inciter à perpétuer les pratiques illicites de leurs prédécesseurs.

 

Sans aller jusque-là, force est de constater que les hommes et les femmes politiques ont souvent un curieux rapport à l’argent. Repas au restaurant, déplacements, hôtels, places au stade ou au théâtre, séjours à l’étranger voire appartements. On ne paye rien, tout est dû. De généreux mécènes s’occupent de tout. Cette situation est aggravée par la conception qu’on a en France de la politique. Alors que ce ne devrait être qu’un passage, un versant d’une vie avant de viser d’autres horizons et de transmettre le bâton à plus vierge et motivé que soi, c’est chez nous un métier qu’on exerce de père en fils, et de l’adolescence à la retraite bien tassée. Au point de perdre le contact avec les réelles souffrances et les aspirations légitimes de ses concitoyens. Si rien ne change, l’électeur de base, comme on dit, finira par se lasser.

 

On aura compris que tout est lié. Indépendance de la justice, oui, mais cela signifie véritable réforme pour que les nominations échappent au pouvoir de proposition du ministre, pour que le parquet ne puisse plus s’opposer à la progression des enquêtes, pour qu’on réfléchisse à cette police qui n’a de judiciaire que le nom. Non-cumul des mandats, oui, mais à condition qu’il concerne également toutes les fonctions et surtout qu’il y ait une limitation dans le temps. Deux mandats successifs, cela suffit, place aux autres. Et aussi qu’un véritable statut de l’élu, pour compliqué qu’il soit, existe un jour pour aider à retrouver une place dans la société après la politique. Obligation de déclaration, oui. Mais avec la création, d’une part d’un organisme qui aura pour mission, avec un effectif suffisant, d’en contrôler la véracité, d’autre part de véritables sanctions dissuasives, en particulier financières. Sans sanction, un principe ne reste qu’un vœu pieux. Inéligibilité à tout condamné, oui enfin, mais si elle concerne toute infraction financière, et si elle est définitive et non limitée dans le temps.

 

Il ne s’agit ni de morale, ni de pureté, simplement d’honnêteté. La politique est la volonté de transformer la société pour rendre la vie plus facile, plus belle. Elle est désintérêt, oubli de soi au profit du plus grand nombre. Elle est croyance, elle est espoir. Face à l’économie mondialisée et à la finance sans scrupule, elle est garde-fou, ultime recours. Alors, pour que ceux qui la servent se montrent à la hauteur de la noblesse de la tâche, il convient de faire preuve d’une vigilance extrême et d’une intransigeance sans faille.

 

Source : anticor.org

Rappels : http://www.lexpress.fr/actualite/societe/justice/un-juge-ou-comment-s-en-debarrasser_476090.html

corruption :Synonymes :  altération, avilissement, débauche, déformation, dégradation, dépravation, gangrène, immoralité, perversion, pourrissement, pourriture, subornation, trafic d’influence, vice. (Dictionnaire de la langue française)

Note : les sur-lignages en gras sont du fait du rédacteur.

 

 

 

Commentaires sont clos