OFFSHORELEAKS : LES RÉVÉLATIONS DE MÉDIAPART SUR LA FAMILLE LE PEN

L’affaire offshoreleaks secoue les fondements de notre république. En cela, elle nous concerne tous en tant que citoyens de ce pays.. Il semble juste de transmettre les informations qui parviennent quelque soit le parti politique concerné.

Il serait malhonnête de ne pas transmettre cet article, après avoir largement fait part de l’affaire Cahuzac,  et des soupçons qui pèsent sur M. Fabius.

En ce qui nous concerne, nous sommes neutres, il nous semble simplement qu’il est anormal, dans un cas comme celui-là, de laisser croire qu’un parti plutôt qu’un autre « lave plus blanc ».

 

Pour la première fois, Marine Le Pen est prise aux filets. La révélation du rôle direct de son conseiller, l’avocat Philippe Péninque, dans l’ouverture du compte de Jérôme Cahuzac, aurait de quoi stopper net ses plaidoiries contre « la caste » et « l’oligarchie ». Quelques heures avant l’annonce de l’implication de Philippe Péninque, elle assurait encore n’avoir « pas d’amis chez les grands patrons », « pas d’amis dans la grande finance ou dans les grands laboratoires pharmaceutiques », et offrait cette « garantie » pour gouverner sans renvoi d’ascenseur.

Selon une série de documents obtenus par Mediapart, le président d’honneur du FN et député européen Jean-Marie Le Pen se trouve pourtant dans la même position que François Hollande et son trésorier de campagne, Jean-Jacques Augier, actionnaire de deux sociétés aux îles Caïmans, selon les fichiers Offshore Leaks révélés par Le Monde. L’ancien trésorier du micro-parti, Cotelec, l’éditeur Jean-Pierre Mouchard, a utilisé dans les années 1990 les services de plusieurs sociétés offshore, Overseas Property Services Limited à Gibraltar, et la panaméenne Hadret al Raiss.

Vieil ami du fondateur du FN, Mouchard avait déjà ouvert un compte à l’Union des Banques suisses (UBS) pour Jean-Marie Le Pen, en mars 1981. Répondant aux questions de Mediapart, Marine Le Pen justifie l’ouverture de ce compte suisse par « un emprunt souscrit à l’UBS ». Quant à Jean-Marie Le Pen, il en conteste purement et simplement l’existence.

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L’Union des Banques Suisses (UBS).© Reuters

Les documents d’ouverture de ce compte numéro 386.047.00.W, révélés par feu L’Evénement du jeudi (lire notre Boîte noire), portent pourtant bel et bien la signature de Jean-Marie Le Pen. Dans un premier document du 10 mars 1981, M. Mouchard apparaît comme le titulaire du compte et M. Le Pen comme son représentant (voir le premier document). Puis, dans un second document daté du 11 décembre 1981, M. Mouchard déclare « agir pour le compte de M. Le Pen » (voir le second document).

Le premier document, daté du 10 mars 1981.

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Le second document, daté du 11 décembre 1981.

Joint par Mediapart, Jean-Marie Le Pen s’étonne : « Le compte de Jean-Pierre Mouchard, c’est Jean-Pierre Mouchard. Je ne suis pas Jean-Pierre Mouchard, moi ! Il ne peut pas y avoir d’ouverture de compte de M. Mouchard au nom de M. Le Pen », assure-t-il. Avant d’évoquer une autre hypothèse : cette opération serait liée à sa société d’édition de disques, la Société d’études et de relations publiques (Serp).

« La Serp a contracté un emprunt, je ne me souviens plus en quelle année, tout cela s’est fait dans le cadre de la loi, avec intervention des autorités françaises, poursuit-il. C’est une affaire entre UBS et la Serp. Probablement parce que les conditions (de l’UBS) étaient plus favorables que les banques françaises, je ne sais pas, je ne me souviens plus, mais il y avait certainement une raison comme celle-là. »

Le hic, c’est que d’autres documents en notre possession attestent que deux millions de francs environ étaient encore déposés sur le compte 386.047.00.W entre juin 1984 et avril 1986, sous la forme de placements fiduciaires.

Relevé des opérations sur le compte Mouchard/Le Pen.

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Le trésorier a utilisé les services d’une société offshore de Gibraltar

« Non, il n’y avait pas deux millions de francs, rétorque Jean-Marie Le Pen. La Serp s’est servie de cet emprunt et l’a remboursé dans les années qui ont suivi. Cotelec n’a strictement rien à voir là-dedans. » « De ce que j’en sais, ce compte était parfaitement légal et déclaré », assure de son côté Marine Le Pen, contredisant son père. « Ce que je peux vous dire, c’est qu’il a fait un emprunt à l’UBS, déclare-t-elle à Mediapart. Ce n’est pas parce qu’on a un père, un frère, qu’on connaît l’intégralité des détails de leur existence patrimoniale. Je n’en sais strictement rien. »

Mediapart a demandé des précisions à M. Le Pen sur le montant de ce prêt, son remboursement et sa clôture. En réponse, son cabinet nous a indiqué qu’il « ne dispose d’aucune des archives de la société Serp, dont il a quitté la gérance en novembre 1999 », et que « cette même société a été liquidée judiciairement en 2000 ». Les Le Pen père et fille laissent donc en suspens toutes les interrogations sur l’ouverture de ce compte et sa gestion.

Mais ce n’est pas la seule zone d’ombre. Le parcours de Jean-Pierre Mouchard, l’ami trésorier, est tout aussi énigmatique. Membre du premier cercle de Le Pen, il est, officiellement, fondateur de plusieurs maisons d’édition et de vente de livres par correspondance, aujourd’hui liquidées – François Beauval, Crémille, Famot… – et s’est spécialisé dans la publication d’ouvrages libres de droit : Zola, Dumas, Dostoïevski. En association avec la société de Le Pen, il publie L’Encyclopédie sonore de la Seconde Guerre mondiale et édite, à la même époque, la revue Dans la coulisse de Roland Gaucher, futur directeur de National hebdo.

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Vue aérienne de Gibraltar.© dr

En 1988, Mouchard devient trésorier de l’association Jean-Marie Le Pen Cotelec (pour « cotisation électorale »). C’est cette qualité d’animateur du micro-parti qui place Jean-Pierre Mouchard dans une position similaire à celle du trésorier de campagne de François Hollande, Jean-Jacques Augier, aujourd’hui. Alors que ce dernier est l’actionnaire de deux sociétés aux îles Caïmans, Mouchard a utilisé les services d’Overseas Property Services Limited, une société offshore de Gibraltar, qui figure sur la liste « gris foncé » des paradis fiscaux établie par l’OCDE.

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Selon des documents en notre possession, l’éditeur et trésorier opère dans les années 1990 des virements internationaux via Overseas Property Services Ltd à Gibraltar, pour renflouer l’une de ses maisons d’édition française, Magellan. Ces opérations sont gérées par une société fiduciaire de Gibraltar, Isola et Isola. Cette société atteste en 1993 d’un certificat de propriété des actions de Jean-Pierre Mouchard dans la société panaméenne Hadret al Raiss (voir notre document ci-dessous). Le Panama était jusqu’en 2012 sur la « liste grise » des paradis fiscaux de l’OCDE.

Un courrier de la société fiduciaire gérant la société panaméenne de J.-P. Mouchard.

« M. Mouchard n’a jamais été président des comptes de la présidentielle de quiconque », s’insurge Marine Le Pen. Ce n’est donc pas « la même sauce que le trésorier de campagne de Hollande », prévient-elle. « M. Mouchard était trésorier de campagne ? Non. Je ne me sens pas responsable des investissements que M. Mouchard a effectués il y a 25 ans, lorsque je n’avais aucune responsabilité. M. Mouchard a-t-il été condamné pour favoritisme ? A-t-il une responsabilité politique au Front national ? Faites les amalgames que vous voulez et on en discutera devant le tribunal correctionnel, je n’ai aucun problème là-dessus. »

Aucun amalgame : Cotelec, le micro-parti animé par Mouchard, contribue – officiellement dès 1991 – au financement du FN, lui apportant les dons de sympathisants et militants collectés par le parti. Les coordonnées de Cotelec figurent alors souvent en bas des tracts. C’est une forme de contrôle direct de sa trésorerie par Le Pen, Mouchard n’ayant aucune fonction dans l’appareil du parti. La structure, que Mouchard a quittée en 1997, reste aujourd’hui encore sous le contrôle du président d’honneur du FN et continue d’alimenter le parti (Cotelec a apporté au FN 415 387 euros de dons de personnes physiques en 2007, et en 2008, il est le second micro-parti français à avoir récolté le plus de dons).

Au moment de la révélation des fichiers Offshore Leaks, Louis Aliot, vice-président du Front national, avait dénoncé « la gauche caïman ! ». « Après les affaires Guérini et consorts, les conséquences de l’affaire Cahuzac, ne voilà-t-il pas que le trésorier de sa campagne a investi dans des paradis fiscaux », s’était amusé le numéro deux du FN dans un communiqué.

« Bref, la gauche morale, très en verve en France pour dénoncer la fuite des capitaux et brocarder les paradis fiscaux, semble être totalement imprégnée de l’esprit de la finance mondiale, celle-là même que pointait du doigt le président normal ! C’est en prenant connaissance de ces informations qu’on mesure la fracture qui existe entre la caste au pouvoir et le peuple. »

Louis Aliot oublie peut-être qu’en mai 1986, Jean-Marie Le Pen, fraîchement élu député à l’Assemblée nationale, avait jugé prioritaire de déposer au nom du Front national une proposition de loi d’« amnistie fiscale et douanière ».

 

« C’était une sorte d’avion renifleur »

Également questionné par Mediapart sur les sociétés offshore de son ancien trésorier, Jean-Marie Le Pen élude : « C’est son problème, pas le mien. » « Mouchard est mon ami, reconnaît-il, mais il n’est pas que ça, ce n’est pas une profession, “ami de Jean-Marie Le Pen”. C’était un homme d’affaires, président des éditions François Beauval. »

L’éditeur avait d’ailleurs contre toute attente acheté un brevet pétrolier avec Jean Garnier, ex-mari de l’actuelle femme de Le Pen, Jeanny Paschos… Le brevet Aquazole, qui protégeait une invention visant à ajouter une part d’eau dans le gazole, avait finalement été racheté pour 13 millions de francs en 1996 par le groupe Elf-Aquitaine, avant d’être abandonné faute d’efficacité. « Cela avait été cédé à Elf, mais ça n’a rien donné, explique aujourd’hui à Mediapart l’un des avocats de Garnier. C’était une sorte d’avion renifleur. » Une enquête avait été ouverte sur la plainte d’un des « inventeurs ». Classée sans suite, elle avait laissé ouverte l’hypothèse d’un financement politique du Front national par le groupe Elf.

« Je n’étais strictement pour rien dans cette affaire-là, moi, se plaint Jean-Marie Le Pen. C’était une affaire entre M. Garnier et M. Mouchard, qui ont vendu un brevet à une société quelconque. M. Garnier était son associé et le premier mari de ma femme. Ce sont des affaires qu’ils ont faites en association, tout à fait en dehors de moi. Il n’y a strictement aucun rapport entre cette affaire et Jean-Marie Le Pen et le Front national. »

La présidente du FN se plaint également du fait que son père « a été décortiqué jusqu’à la moelle ». « En 60 ans de vie politique, exclusivement dans l’opposition, il a eu 17 contrôles fiscaux, poursuit-elle. Vous savez combien de procédures Jean-Marie Le Pen a intentées? Il a dû en intenter 70 et il a dû obtenir 40 condamnations. J’en ai quatre tomes et ce n’est qu’une partie. » Comme avocate, Marine Le Pen s’est en effet elle-même chargée de plaider contre la presse certaines plaintes de son père.

C’est d’ailleurs l’un des arguments qu’ils opposent aux questions sur le patrimoine caché du fondateur du FN. Et à toutes les allusions aux déclarations de Pierrette Lalanne, l’ex-femme de Le Pen, sur le transfert des avoirs hérités du cimentier Hubert Lambert de l’UBS à la banque genevoise Darier et Cie – 17 millions de francs selon elle. « C’était les dires de Madame Le Pen. Mais elle a démenti tout cela depuis longtemps ! » assure l’ancien leader du FN. Par contre, le témoignage d’un ancien salarié d’une gérance de fortune de Genève, évoquant des dépôts en espèces de 15, 20, et 10 millions de francs, a fait l’objet d’une condamnation faute de preuves.

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Marine Le Pen et Jean-Marie Le Pen.© Reuters

La banque suisse reste un sujet éminemment délicat pour les Le Pen. C’est peut-être ce qui explique, outre l’implication de Philippe Péninque dans l’affaire Cahuzac, leur retenue sur le sujet depuis trois mois. Lors des révélations de Mediapart, le 4 décembre, comme lors de l’ouverture de l’information judiciaire pour « blanchiment de fraude fiscale » et la démission du ministre, le 19 mars, le Front national n’a pas jugé bon de diffuser un seul communiqué, alors qu’il n’a jamais manqué de le faire sur les autres “affaires”: perquisitions au siège du PS du Pas-de-Calais, mise sous tutelle de la fédération PS des Bouches-du-Rhône, mise en examen de Sarkozy…

Le 19 mars, on dénombre douze communiqués, mais aucun sur Jérôme Cahuzac, qui vient pourtant de démissionner. Il faut d’ailleurs attendre le 2 avril, après les aveux de l’ex-ministre, pour que le FN fasse une déclaration officielle sur… « l’affaire d’État » qui atteint François Hollande et le gouvernement.

Questionnée dans les médias, la présidente du FN s’est montrée bien plus en retrait qu’à son habitude, martelant le principe de « présomption d’innocence », sans réclamer la démission de Cahuzac, mais simplement son changement de portefeuille ministériel, pour éviter tout « conflit d’intérêts ». Louis Aliot, le numéro deux du Front national, le dit lui-même sur France 2, le 8 avril : « Dans l’affaire Cahuzac, Marine Le Pen a été très soft. »

Source : Mediapart

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