POLITIQUE MAGOUILLE (suite) : La droite était au courant du compte de Cahuzac

Mais alors, pourquoi ont-il gardé cette information secrète ?

Parce que ça leur permettait de mettre la gauche en difficulté, et qu’ils attendaient le « bon moment » ?

Qu’est-ce qui est le plus important, messieurs les donneurs de leçons ? Dire la vérité à la France que vous êtes sensés servir, ou l’utiliser comme outil de manœuvre politique ?

 

«Libération» révèle qu’en avril 2012 l’entourage de Xavier Bertrand évoquait déjà les «casseroles» de l’ex-ministre.

 

Tandis que les responsables PS affirment n’avoir jamais entendu parler du compte suisse de Jérôme Cahuzac, d’anciens collaborateurs d’un ministre UMP reconnaissent avoir été alertés avant même l’élection de François Hollande.

En témoigne cette scène, racontée à Libération par un agent administratif du ministère du Travail, de l’Emploi et de la Santé, alors occupé par Xavier Bertrand. Nous sommes rue de Grenelle, au cabinet du ministre, entre les deux tours de l’élection présidentielle, fin avril 2012. Trois conseillers bavardent. C’est une conversation à bâtons rompus entre jeunes collaborateurs. Un de ces échanges, nourri d’informations et de spéculations, qui font le quotidien de la vie de cabinet. Qui succédera à Bertrand en cas de victoire de la gauche ? On parle de Jérôme Cahuzac, alors député et président de la commission des finances à l’Assemblée. «Lui ? Jamais il ne sera ministre, avec les casseroles qu’il a. Et surtout avec ce compte à l’étranger», lâche l’un des collaborateurs. Les deux autres acquiescent.

«Choqué». Selon le fonctionnaire interrogé par Libération, l’existence de ce compte aurait été évoquée à plusieurs reprises au cabinet de Xavier Bertrand. L’un des conseillers parle même de la possibilité de faire circuler cette rumeur, via la presse, dans la circonscription de Cahuzac, dans le Lot-et-Garonne, où celui doit se représenter lors des législatives. «J’étais très choqué. Je connaissais par ailleurs Jérôme Cahuzac, que j’estimais beaucoup. Pour moi, c’était une cabale que la droite essayait de monter contre lui. C’est pour cela que j’ai prévenu un haut fonctionnaire que je connaissais, et je lui ai demandé de faire passer le message à Cahuzac», confie à Libération l’ex-agent du ministère.

Le haut fonctionnaire nous confirme le déroulement de cette histoire : il a bel et bien discuté en avril 2012 avec cet agent. «Mais, ajoute-t-il, je n’ai pas prévenu Cahuzac, tout cela me paraissait un peu glauque.» Quant à cet agent du ministère, il est aujourd’hui abattu : «Je ne sais pas si l’info circulait partout, mais en tout cas elle circulait dans le ministère. Et moi, pour ma part, je n’y croyais pas un instant. Je ne comprends pas, d’ailleurs, comment Jérôme Cahuzac a pu accepter ce poste de ministre du Budget, alors qu’il avait un compte. Quand je l’ai appris, cela m’a effondré.»

Comment de jeunes conseillers ministériels pouvaient-ils savoir, dès avril 2012, ce que les plus hauts responsables de la gauche ignoraient ? Il se trouve qu’entre les deux tours de la présidentielle Xavier Bertrand animait, le 24 avril, une réunion publique à Villeneuve-sur-Lot, fief de Cahuzac. «Rien n’est joué ! Mobilisez-vous pour Nicolas Sarkozy et pour la France ! Nous sommes ici dans la circonscription de M. Cahuzac et je crois qu’il est bien de montrer ses contradictions. Il a fait exploser les impôts locaux…» déclamait Bertrand devant quelques centaines de militants, dont Michel Gonelle, rival UMP de Cahuzac. Comme il en a l’habitude, ce dernier ne s’était pas privé, en marge du meeting, d’abreuver ses visiteurs de révélations plus ou moins étayées sur les turpitudes supposées de son adversaire. Tout y était passé, notamment le compte suisse et la condamnation pour avoir employé entre 2003 et 2004 une femme de ménage sans papiers. «Gonelle était si acharné et excessif que sa crédibilité en était altérée», se souvient un député UMP. Mais, ce 24 avril, les collaborateurs de Bertrand rentrent de Villeneuve-sur-Lot assez convaincu qu’un Cahuzac trouverait difficilement sa place dans la «République exemplaire» de Hollande.

Cash. Bizarrement, Bertrand lui-même affirme ne pas avoir entendu ces rumeurs de compte suisse. Il se souvient, en revanche, avoir pensé que Hollande «n’oserait pas» faire entrer dans son gouvernement le riche chirurgien, propriétaire d’une clinique dont la réputation de machine à cash n’était plus à faire.

 

Par ERIC FAVEREAU, ALAIN AUFFRAY pour Libération

 

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