« ON NE PART PAS, IL NOUS VIRENT »

 

Soyons très attentifs à ce qui se passe, en Espagne, en Grèce, à Chypre, au Portugal car il n’est loin d’être exclu que nous prenions notre ticket dans le sinistre manège de la misère…

 

L’ESPAGNE DÉSENCHANTÉE

 

A Madrid, mais aussi Bruxelles, Londres, Berlin, New-York, Buenos Aires, Paris, Toulouse ou Lyon, des centaines de jeunes Espagnols se sont rassemblés ce dimanche pour exprimer leur désespoir.

Leur slogan, “No nos vamos nos echan”  (On ne part pas, ils nous virent), était clair : l’émigration des jeunes Espagnols n’est pas toujours un choix, mais une obligation, un exil forcé par un taux de chômage record de 55% chez les moins de 25 ans et de 26% de la population active en général.

 

Au total, près d’une trentaine de manifestations ont été organisées dans une vingtaine de pays à l’appel l’association Jeunesse sans futur, l’un des collectifs à l’origine de la naissance du mouvement des “indignés”, le 15 mai 2011. L’association dénonce que “toute une génération doit à présent choisir entre chômage, précarité et exil.”

Et de rappeler que 374 600 jeunes de moins de 30 ans disposant d’une formation supérieure, se trouvent au chômage en Espagne. Que la précarité est leur quotidien, que l’augmentation des frais universitaires les exclut du système scolaire et que les stages non rémunérés ou les petits boulots non déclarés sont légions. Autant de situations qui rendent souvent impossible leur émancipation : la possibilité de quitter leur parents et fonder leur propre famille.

Manifestation à Londres. Photo Twitter.

“Face à ceux qui parlent d’exil temporel, de l’émigration comme phase transitoire qui permet aux jeunes d’acquérir des connaissances et une expérience pour revenir, la réalité est bien différente,” affirme l’association dans un communiqué. Difficultés, déception et manque de foi en l’avenir transpirent dans les quelque 7000 témoignages recueillis par le site http://www.nonosvamosnosechan.net/ depuis le 26 février et distribués sur un planisphère.

« Estibaliz, 26 ans, infirmière, installée à Brighton, dénonce le « démantèlement de la santé publique ». Photo postée sur le site nonosvamosnosechan.net

La plupart provient de jeunes déjà installés à l’étranger, dont beaucoup expliquent que leur situation n’est pas toujours enviable, puisque souvent la précarité y est aussi de mise chez les jeunes. D’autres ont été postés par des Espagnols qui n’ont pas encore franchi le pas de l’exil mais ne voient pas d’autres solutions que de partir. Certains enfin ne veulent pas quitter leur pays : “Que se vayan ellos” (qu’ils partent, eux”, sous-entendus les politiques), disent-ils, en promettant de continuer de lutter en Espagne et en appelant à une “revolución ya” (révolution maintenant).

« Il faut inciter les jeunes à quitter le pays, si on ne veut pas qu’ils essaient de le changer… »
Dessin paru sur le site Nonosvamosnosechan.net.

Car la manifestation avait aussi pour but de dénoncer la politique actuelle menée par le gouvernement conservateur de Mariano Rajoy. “L’unique alternative au chômage est la précarité : le gouvernement opte pour la flexibilité et la temporalité des contrats”, affirme l’association, en référence aux réformes pour lutter contre le chômage des jeunes mises en place par le gouvernement qui s’inspirent des mini-jobs allemands.

Le problème “n’est pas seulement une stabilité professionnelle nulle, mais un manque d’indépendance qui élimine de notre horizon tout projet de vie stable et transforme les jeunes en des personnes dépendantes de leurs familles,” poursuivent les organisateurs.
Les sociologues et économistes s’inquiètent d’un phénomène qui pourrait déboucher à une explosion sociale. Contrairement à l’émigration espagnole des années 60, caractérisée par la faible qualification de la main d’oeuvre candidate au départ, ce sont souvent les jeunes les plus diplômés qui quittent aujourd’hui l’Espagne, une génération préparée, “la mieux formée de l’histoire de l’Espagne”, ne cesse-t-on d’entendre, et qui va apporter ses compétences ailleurs, faire profiter de la formation que l’Etat a financée à d’autres pays.

Ces jeunes reviendront-ils? Les témoignage publiés sur le site traduisent à la fois le désir et l’impossibilité de retourner en Espagne tant que la situation économique ne s’améliorera pas. Or combien de temps mettra le pays à sortir du marasme économique dans laquelle la crise l’a plongé? Cette année, l’Espagne continuera en récession et l’an prochain, les estimations les plus optimistes tablent sur une croissance d’1%. Or selon les économistes, il faut 2% de taux de croissance pour commencer à créer de l’emploi. Les jeunes, eux, ne veulent plus attendre pour commencer à vivre, disent-il.

Sandrine More – Journaliste au Monde

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