US/Israël : des relations qui se tendent..

Cet article sur l’influence du lobby juif dans la politique américaine se lit presque comme un thriller.  Nous en comprenons immédiatement l’importance, surtout si l’on a lu le billet de Thierry Meyssan sur la politique du Proche-Orient  posté hier.  

Les Etats-Unis sont en campagne pour les présidentielles. Le choix n’est pas très gai : comme chez nous, c’est la peste démocrate Hilary Clinton ou le choléra Jeb Bush, le frère de W.Georges Jr.  Gagnera sans doute celui qui aura récolté les  financements les plus importants et pourra employer les plus gros moyens de marketing… et de manipulation.  En attendant, tous les coups sont permis, même celui d’inviter le 1er ministre israélien dans l’espoir de faire capoter le plan d’Obama pour se sortir du guêpier du Proche-Orient. 

Cela nous concerne en premier chef  parce que nous sommes de gré ou de force les alliés de l’empire et que le Proche-Orient, comme l’indique son nom est aux portes de l’Europe.

La visite de Netanyahou aux États-Unis divise les juifs américains

New York, de notre correspondante.-  « Le but de mon discours n’est pas de me montrer irrespectueux envers le président Obama, ni envers ses honorables fonctions. J’ai beaucoup de respect pour les deux. » Tels furent les mots de Benjamin Netanyahou, hier, devant le public conquis de l’AIPAC (American Israel Public Affairs Committee), le puissant lobby américain pro-Israël réuni lors de sa grande conférence annuelle. « Dans une famille, les désaccords sont forcément désagréables, mais nous devons toujours nous rappeler que nous sommes une famille », osa encore le premier ministre israélien, accueilli en grande pompe par l’organisation dès le premier jour de sa tournée américaine. Une tournée des plus polémiques… D’où ces mots, cette volonté d’apaisement, arrivant si tardivement que cela en est presque comique.

Netanyahou devant l'Aipac, le 2 mars 2015

Car cette visite irrite au plus haut point la Maison Blanche depuis plusieurs semaines. Elle est vécue comme une provocation. Et il est difficile de croire que ce n’était pas le but recherché par les élus républicains quand ils ont invité le leader du Likoud en pleine campagne électorale à venir s’exprimer devant une session conjointe du Congrès, réunissant les élus de la Chambre et du Sénat, ce mardi.

L’affaire commence début janvier, quand le speaker de la Chambre des représentants, le républicain John Boehner, a l’idée d’inviter Netanyahou à Washington. Le but ? Que le premier ministre israélien vienne mettre en garde les élus américains contre les négociations en cours sur le nucléaire iranien, un dossier central pour Barack Obama. Qu’il dise ouvertement tout le mal qu’il pense de ces pourparlers réengagés en 2013 entre l’Iran et le groupe dit « 5+1 » (les cinq du Conseil de sécurité de l’ONU et l’Allemagne), devant se poursuivre jusqu’à fin mars (le point de Mediapart sur les avancées et les difficultés de ce dossier ici).

Sachant que, par là-même, Benjamin Netanyahou donne un coup de pouce aux élus à la Chambre et au Sénat déjà fortement opposés à ces négociations, et qui souhaitent au contraire voter de nouvelles sanctions commerciales à l’encontre de l’Iran. Un nouveau train de sanctions soutenu par le fameux lobby AIPAC, et auquel s’oppose fermement Barack Obama. Estimant que celui-ci ferait dérailler les négociations avec l’Iran, il a menacé d’y opposer son veto si jamais elles étaient votées par le Congrès.

En somme, John Boehner a envie de voir Benjamin Netanyahou critiquer vertement la politique étrangère du président des États-Unis, à Washington. Et ce projet, le chef de la majorité républicaine à la Chambre en fait d’abord part à Ron Dermer, l’ambassadeur d’Israël aux États-Unis, proche collaborateur du premier ministre israélien au point qu’il est parfois surnommé « le cerveau de Netanyahou ». L’ambassadeur est donc mis au courant avant la Maison Blanche qui, pour sa part, ne sera prévenue que quelques instants avant que l’invitation soit rendue publique, le 21 janvier… Ce n’est pas du tout l’usage : toute l’affaire devient problématique, tant sur le fond que sur la forme.

Cela n’empêche pas Benjamin Netanyahou d’accepter l’invitation, devenant ainsi le premier chef d’État étranger à venir s’exprimer devant le Congrès sans l’approbation de la Maison Blanche. Ces dernières semaines, il s’est même posé en « émissaire du peuple d’Israël », « en mission historique » afin de s’opposer à un « mauvais accord avec l’Iran ». Selon lui, un accord laissant à l’Iran la capacité d’enrichir son stock d’uranium, même de manière limitée, est dangereux. Il faudrait au contraire le lui interdire complètement. Ce n’est pas ce que prévoient les négociations en cours : elles visent « seulement » à empêcher l’usage militaire des stocks d’uranium enrichi de l’Iran. En contrepartie, les 5+1 s’engagent à lever certains des sanctions économiques qui frappent l’Iran.

Tout le monde s’accorde à dire que les objectifs sont assez minces, et déjà très compliqués à atteindre. Pour autant, Barack Obama et ses partenaires du groupe 5+1 y tiennent, le président américain l’a encore répété lundi soir. Accordant un entretien à l’agence de presse Reuters, il a aussi abordé ses désaccords avec Benjamin Netanyahou sur le sujet, tout en précisant que ceux-ci ne devaient pas causer de « dommages irrémédiables » aux relations entre les deux pays.

Sauf que depuis fin janvier, ces désaccords et la venue de Netanyahou à Washington ont manifestement réussi à produire quelques dégâts. Ils ont jeté un froid, déjà. Le président a beau minimiser les dommages, il ne rencontrera pas Benjamin Netanyahou lors de cette tournée américaine. Ni le vice-président Joe Biden, qui se trouve opportunément au Guatemala ; ni le secrétaire d’État John Kerry, qui est justement en Europe afin de poursuivre les négociations sur le nucléaire iranien.

Du côté du Congrès, c’est un peu la panique chez les élus démocrates. Écouter le discours du premier ministre israélien revient presque à désavouer la politique étrangère du président Obama… Dimanche, une trentaine d’élus démocrates avaient déjà annoncé qu’ils n’assisteraient donc pas à ce discours.

Parmi eux, des démocrates de confession juive, un groupe d’élus particulièrement embêtés par cette affaire (sachant que tous les élus de confession juive au Congrès, à l’exception d’un seul, sont démocrates). Connus pour leur soutien quasi indéfectible à Israël, les voilà incertains et divisés. Certains boycottent le discours, d’autres disent y aller à reculons, d’autres réservent leurs commentaires pour après… L’élu de Californie Alan Lowenthal a déclaré qu’il n’hésiterait pas à prendre la parole si jamais Benjamin Netanyahou « franchissait la limite » et critiquait directement le président.

Steve Cohen préfère quant à lui ne pas cautionner le geste de Netanyahou. « Je suis du côté d’Israël et je l’ai toujours été, mais ce discours n’est pas au sujet d’Israël », a déclaré cet élu démocrate du Tennessee. Accusant le premier ministre israélien d’utiliser le Congrès à des fins électorales afin de séduire son électorat de droite en Israël, il a ajouté : « Netanyahou n’est pas Israël, tout comme George W. Bush n’était pas l’Amérique. »

L’appel de 200 anciens généraux et officiers

Ces déclarations font finalement écho aux critiques essuyées par Netanyahou en Israël, où des voix plutôt inhabituelles se sont élevées pour dénoncer sa démarche. Ce sont par exemple les quelques 200 anciens généraux et officiers du renseignement israéliens l’engageant, dimanche, à annuler son discours afin de ne pas mettre en danger leur alliance stratégique avec les États-Unis, leur puissant allié.

En Israël comme aux États-Unis, on sent donc de la colère et de l’incompréhension de la part d’élus se demandant pourquoi il a fallu mettre une dose de divisions et de tensions partisanes là où il n’y en avait quasiment pas : au cœur des relations entre Israël et les États-Unis.

Eh bien, parce que ces divisions et ces tensions étaient déjà là, répondent chercheurs et experts. Cette affaire les a seulement rendues plus visibles. Depuis quelques années, elles sont légèrement plus marquées donc plus palpables, tant chez les élus, au sein des organisations juives aux États-Unis, qu’au sein de la population américaine.

Rappelons d’abord que les relations entre Barack Obama et Benjamin Netanyahou sont tendues depuis l’entrée en fonction des deux hommes, en 2009.

Elles ont été marquées par les clashs à répétition, sur le thème de la construction de nouvelles colonies israéliennes en territoire occupé, à cause de désaccords sur les termes d’un potentiel accord de paix… En 2012, Benjamin Netanyahou soutient ouvertement le candidat républicain Mitt Romney face à Barack Obama, affirmant ainsi un peu plus l’alliance du Likoud avec le parti républicain.

Deux ans plus tard, à l’été 2014, quand éclate la guerre à Gaza, Philip Gordon, le coordinateur de la Maison Blanche pour le Moyen-Orient, formule très clairement le malaise de l’exécutif américain face au gouvernement israélien de Netanyahou : « Comment peuvent-ils vouloir la paix s’ils refusent de tracer une frontière, de mettre fin à l’occupation, de permettre aux Palestiniens d’avoir droit à la souveraineté, à la sécurité, à la dignité ? (…) Ils ne peuvent pas indéfiniment maintenir leur contrôle militaire sur un autre peuple. Non seulement c’est mal, mais c’est aussi la recette pour produire de la colère et l’instabilité. »

Sauf qu’à chaque période de friction de ce type avec l’exécutif américain, Benjamin Netanyahou peut minimiser la crise en comptant sur l’aide du puissant lobby AIPAC, remuant invariablement ciel et terre pour obtenir le soutien bipartisan des élus du Congrès à Israël. Ainsi à l’été 2014, en pleine guerre, le Sénat américain vote sans broncher une résolution soutenue par AIPAC reconnaissant à Israël son « droit à défendre ses citoyens ».

Ce schéma s’est répété à de nombreuses reprises. Cela permet de mieux comprendre pourquoi l’AIPAC a pu penser qu’il en serait de même sur le dossier iranien, que de nouvelles sanctions contre l’Iran seraient facilement et massivement votées par les élus du Congrès, et qu’Obama ne réussirait pas à s’y opposer, ce qui freinerait encore un peu plus les négociations en cours. Erreur de calcul : cet accord avec l’Iran, aussi complexe voire inatteignable qu’il soit, Barack Obama y tient, il ne lâche rien. Il a donc mis de l’ordre dans les rangs démocrates et même menacé de mettre son veto si jamais une loi de ce type atterrissait sur son bureau. Et ce n’est pas le discours de Benjamin Netanyahou au Congrès qui devrait y changer quelque chose.

L’affaire du discours de Netanyahou a donc seulement le mérite de clarifier la situation : pour un nombre grandissant d’élus américains, soutenir Israël est une chose, soutenir Netanyahou en est une autre. Et si ce dernier plaît toujours autant aux républicains, il fait beaucoup moins l’unanimité chez les démocrates.

L’AIPAC en est le témoin, comme l’explique très bien cette grande enquête du New Yorker parue en septembre sur le puissant lobby formé dès 1963. Cette organisation aimant se définir depuis sa création comme sans affiliation partisane – tant aux États-Unis qu’en Israël – se retrouve à incarner précisément l’inverse : une association de soutien à Netanyahou et au Likoud, en phase avec les républicains, mais en désaccord avec Barack Obama et des élus démocrates.

C’est un changement notoire, souligne le New Yorker. Le lobby ne réussit plus à mobiliser aussi facilement les élus américains de tous bords, car certains d’entre eux, tout en soutenant Israël, se disent de plus en plus sceptiques quant à la politique de son gouvernement. Et cette tendance s’observe tant chez les élus qu’au sein des organisations juives, de la population américaine de confession juive et/ou de tendance démocrate.

Résumant plusieurs études récentes sur le sujet, l’auteur de l’enquête écrit :

« Aujourd’hui, un nombre croissant de juifs américains, tout en restant dévoués à Israël, en ont assez du peu de progrès du processus de paix avec les Palestiniens. Beaucoup d’entre eux estiment que l’AIPAC ne les représente pas. Une étude du Pew Reasearch Center conclut que seuls 38 % des juifs américains estiment que le gouvernement israélien a sincèrement pour objectif de parvenir à la paix. 44 % pensent que la construction de nouvelles colonies porte atteinte à la sécurité nationale d’Israël. Dans un sondage Gallup de fin juillet, seulement un quart des américains âgés de moins de 30 ans estimaient que les agissement d’Israël à Gaza étaient justifiés. Comme me l’expliquait le rabbin Jill Jacobs, directeur de l’organisation orientée à gauche ‘T’ruah – Un appel rabbinique pour les droits de l’homme’ : « Beaucoup de jeunes de 20 ou 30 ans me disent qu’ils ont une bonne vie ici, qu’ils ne voient pas pourquoi ils devraient s’inquiéter pour un pays du Moyen-Orient qui ne représente pas ce qu’ils sont en tant que juifs. Ils me disent qu’ils sont fiers de ce qui se passe ici et ne vont pas envoyer de l’argent là-bas ». »

Cette évolution s’est encore traduite par la formation de nouveaux groupes de pression à Washington, comme le lobby J Street. Créé en 2008, il se veut une alternative libérale à l’AIPAC, se définissant comme « pro-paix », tout en étant pour le moment nettement moins doté financièrement et puissant politiquement. En février, cet organisme investissait tout de même dans une campagne de publicités publiées dans des quotidiens américains, sur lesquelles on pouvait lire : « M. le Premier Ministre Netanyahou : le Congrès n’est pas un instrument au service de votre compagne électorale. »

« Pendant longtemps, les points de vue sur les problèmes israéliens étaient bien plus divers en Israël qu’à l’intérieur de la communauté juive américaine. Désormais, on commence à observer cette diversité d’opinions ici, parmi la communauté juive », commentait ainsi l’élu juif démocrate Adam B. Schiff, dans un article du New York Times dédié à ces évolutions au sein de la communauté juive américaine.

Qu’attendre de ces changements ? Un débat plus serein, une politique américaine plus neutre à l’égard d’Israël ? Pas dans l’immédiat.

Pour l’instant, seul le désaccord entre Barack Obama et Benjamin Netanyahou sur l’Iran a été très clairement exprimé. De là à ce que le président américain critique plus vertement les choix politiques de Benjamin Netanyahou, ou « adhère aux initiatives européennes pour faire pression sur son gouvernement ignare », tel que le suggère sans détour le chercheur israélien Bernard Avishai dans le New Yorker, il y a un pas que Barack Obama ne franchit pas.

Iris Doroeux pour :

http://www.mediapart.fr/journal/international/030315/la-visite-de-netanyahou-aux-etats-unis-divise-les-juifs-americains

(édition abonnés)

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