Conte de la nuit qui vient

Il est une fois un homme qui rêve d’autre chose que la fausse « belle paix » républicaine que voilà ! Un homme qui déteste qu’on l’oblige à danser la ronde des marlous, tube planétaire sur lequel les studios hollywoodiens ont misé et qui rapporte gros. Depuis l’attentat chez Charlie, plus moyen pour lui de vivre en paix avec ses convictions, sans qu’au moindre écart de langage, au moindre doute exprimé sur le bouillon musical qu’on le force à déglutir – parce que oui, c’est imbuvable ! –, un regard biaisé, plein de sous-entendu, culpabilisant, ne le place dans les bas rayons de l’étagère où il ne cherche nullement à y être. Que peut-il contre cela ?… La trouille est si fortement collée aux parois que même muni d’une canne et de la débistreuse pour éliminer les goudrons, après des heures d’efforts, le conduit de cheminée est toujours aussi sale et la facture aussi salée. Gueuler, comme il le fait assez distinctement devant le tas d’immondices qu’on lui déverse dessus, exigeant réparation ? Cela est aussi improductif que dangereux pour sa santé morale et peut-être bientôt physique. Car très vite, la microsphère, le village, le gouvernement, la nation, le monde, colportant des bruits absurdes, calomnieux, comme quoi le gars gentil que tout le monde connaît depuis des années, vire surréaliste, paranoïaque, fou, évoque complots, magouilles, coups tordus républicains, théories absconses, accusant notre belle république des pires sournoiseries ! Les rumeurs à son sujet vont d’un train d’enfer, chacun, pour préserver son bien-être, sa petite misère quotidienne, son « honorabilité », cherchant à se prémunir contre un tel fumiste, le fuit, détournant la tête ou changeant de trottoir à son passage, apportant dès lors son effort à la déconstruction de l’homme honnête, à le fracasser contre le mur aux fondations solides de la bêtise et de l’ignorance collective. De plus en plus isolé, enragé, mis à l’index par la communauté, mais accroché aux valeurs qui ont fondé la république, l’homme persiste et signe, cherche dans la poussière des manuels des vieilles formules, comme liberté, égalité, fraternité, dénonce, chaque fois que l’occasion lui est donnée, ce qui n’a jamais cessé, l’exploitation de l’homme par l’homme, la haine, l’esclavage, la misère, le crime, que sais-je encore… Fou d’une colère légitime, d’une douleur soudaine et néfaste, habité par le dégoût, cet homme sociable, jadis urbain, agréable de contact, charmant, plein d’une révolte généreuse, s’éloigne de la belle institution corrompue, fait le dos rond. Semblablement au marin pris dans le mauvais temps, il attend l’accalmie, que le ciel dégage ses saletés…
Aux dernières nouvelles, accusé de complotisme actif, il a été cueilli sans ménagement, à l’heure « légale », par une poulaille très remontée. Interrogé pendant des longues heures il a été mis à l’ombre dans un sous-sol spécialement aménagé pour les gars de son espèce, dans un cachot où seule brille la lumière de son esprit. Mais une chose est sûre, il le sait, il le dit, il le répète : si on peut emprisonner l’homme, le torturer, le réduire en bouillie, il n’existe pas de barreaux assez solides pour retenir la pensée.

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