L’homme qui créé un havre de paix..

En Creuse, au cœur de la forêt, Charles construit patiemment le village des enfants perdus, à l’abri des pollutions : de magnifiques cabanes dans les arbres, entre terre et ciel. Mûri de longue date, ce havre de paix et de création se veut à l’écoute de la nature, afin de révéler les beautés de ce qui est déjà là et où chacun retrouverait l’enfant qu’il porte en lui.

À Magnat l’Étrange, la porte des enfants-rêves…

Le feu crépite dans la cheminée. On se laisse enivrer par la danse de ses flammes et par la musique qui envahit la pièce, tout en humant l’odeur des champignons qui cuisent doucement dans la poêle. On les a ramassés cet après-midi, dans le sous-bois, entre deux descriptions des futures cabanes et le partage de nos rêves L’omelette ce soir consolera les corps qui ont bien travaillé.

Entre ciel et terre

Nous sommes chez Charles-Jules Dacla, qui est arrivé dans le sud de la Creuse il y a plus de quatorze ans, avec un projet bien précis : bâtir le village des enfants perdus, à l’abri des pollutions modernes et autres dévastations de la nature. Un village de cabanes dans les arbres où l’on vivrait entre terre et ciel, et où chacun retrouverait l’enfant qu’il porte en lui.

Sur les dix hectares de terrain qu’il a acquis peu à peu sur les flancs de la rivière du Puy des Bois, près de Magnat l’Étrange, le plan qu’il a dessiné est entièrement conçu pour rendre la beauté de la forêt accessible à l’homme, dans le respect de l’une comme de l’autre.

Aujourd’hui l’Éco Source Arboricole est bien vivante, elle a ouvert ses portes au public à l’été 2013. Sa première cabane, la Mère, a été découverte avec enchantement par de nombreux visiteurs. L’Asiatique, une yourte perchée sur une plate-forme toute ronde, l’a rejointe au cours de l’année 2014.

Encore toute jeune, et pour que les trois prochaines cabanes éclosent entre l’air et les arbres, l’Éco Source nécessite la force et la volonté des bras, des jambes et des cœurs dont la route croisera la sienne. Mener un tel projet, c’est aller proprement retourner le ciel et la terre.

Voyage initiatique

Le chemin a été aventureux jusque-là. À l’âge de 14 ans, Charles est émancipé et quitte la France, seul. Son périple durera trois ans et le conduira aux fins fonds de l’Asie, de l’Amérique, de l’Océanie et de l’Afrique. Au cours de ce voyage initiatique, il découvre la nature profonde, les hommes qui y vivent encore et qui l’ouvrent à une tout autre vision du monde.

« On peut réapprendre à vivre avec n’importe quel enfant de là-bas. Il n’y a qu’à se taire et à le suivre. Il faut voyager seul. Et avec rien. » Charles insiste sur la légèreté matérielle. Les sociétés d’hommes qu’ils rencontrent vivent en harmonie avec leur milieu. Chaque chose est essentielle, chacun est important, tient un rôle.

La notion d’abandon n’existe pas parce que « la famille, c’est l’environnement ; leur milieu, c’est eux-mêmes. » Ils ne semblent pas connaître la séparation artificielle que nous avons érigée entre l’homme et la nature. La vie est rythmée par la chasse, la pêche, les rituels de passage. Il se rappelle de l’importance de la beauté, et du jeu. Il a appris à rire de tout et, en marchant dans la jungle, à ne pas avoir peur. « Tu sens, tu sais. Il y a comme une reconnaissance. »


– Portrait de Charles, par Juliette –

Mais les récits qu’il fait et qui ont à peine vingt ans semblent déjà d’un autre temps. « Les tribus que j’ai rencontrées étaient en voie de babylonisation, j’ai vu les différentes étapes de ce processus, selon où chacune en était. Ces hommes sont martyrisés, haïs. On cherche à détruire leur mode de vie, et ils se retrouvent plongés dans l’alcool, envahis par la télé. Le mal vient à eux. »

Il rappelle la fragilité de la transmission de ces cultures, qui passe par l’oralité et non pas par l’écrit. Elles seraient pourtant, selon lui, un exemple à suivre pour comprendre à nouveau l’harmonie globale de la vie sur Terre, mais « on a peur de la vérité. » De ce voyage, il rentre en sachant qu’il doit construire un lieu de vie où le lien entre les hommes et l’environnement leur permettra de s’accomplir pleinement, et réciproquement. Il se met au travail.

L’apprentissage du métier

À 17 ans, il rejoint les Compagnons du Tour de France, dont la méthode d’enseignement se base sur trois principes essentiels : le métier, le voyage et la transmission directe. Il se forme à la charpente. Après trois ans de Compagnonnage, accompagné d’un perroquet et d’un âne qui porte tout le nécessaire de charpente manuelle, il se lance dans un « tour de France à l’ancienne ».

Alors qu’ils traversent la Creuse tous les trois, l’âne se blesse, ce qui les amène à s’arrêter sur une route boisée. C’est là qu’il rencontre Thierry Thévenin, cueilleur, herboriste et botaniste membre du Syndicat des Simples. Celui-ci lui transmet les secrets de l’herboristerie et de la culture durable dans les jardins d’Herbes de Vie.

De mieux en mieux équipé pour mettre en œuvre le projet qui l’anime, Charles poursuit son chemin en se formant au travail acrobatique et à la construction de parcours d’aventure et de cabanes dans les arbres.

La rencontre avec la rivière

Au printemps 2004, alors qu’il vit en Creuse depuis quelques années, c’est la rencontre avec la rivière du Puy des Bois qui est déterminante. L’eau chante que c’est auprès d’elle que doit naître le village, et elle retient Charles à ses côtés. Dans le seul département français non encore éventré par les autoroutes, épargné par le secteur industriel, au cœur du Parc Naturel du Plateau de Millevaches, les premières graines de l’Éco Source sont lancées.

Charles achète une parcelle de terrain, puis une autre, jusqu’à, peu à peu, obtenir dix hectares d’une forêt luxuriante et de clairières, ces « prairies perdues au milieu des bois ». La mixité des sols permet d’augmenter la biodiversité du terrain, d’imaginer un potager en permaculture. C’est un havre de paix et de nature qui se trouve là, dans une France où de tels espaces se font rares.

« Révéler ce qui est déjà là »

« Le projet, c’est de toucher au minimum. Révéler les beautés de ce qui est déjà là. Voir. » Avant de donner le premier coup de hache ou de poser la première planche de bois, Charles passe des mois à observer et à connaître les arbres, les roches, les animaux, à comprendre l’organisation et l’architecture naturelle du lieu.

« Il faut suivre les chemins que prennent les animaux, c’est ceux qui seront les plus justes. » Ceci explique sans doute l’interminable créativité du cheminement de l’Éco Source, les sinuosités sans fin qui s’y dessinent et en épousent les reliefs, parsemés d’arbres fruitiers. « Tout doit être rond, beau, dans l’amour. C’est un lieu féminin. »

Chaque étape de la construction est soumise à la méditation et à la réflexion. « Juste après le coucher du soleil : c’est l’heure. » C’est dans la pénombre du crépuscule que Charles voit. C’est à ce moment si particulier du jour que les formes et les contrastes se révèlent. « Ce travail se situe entre mon potentiel de création, tout en restant très simple, et ce que révèle le lieu de ses harmonies propres. » Puis il retourne voir. « Il faut prendre du temps. »

« Avec la main gauche et les dents »

Un temps d’ouvrage auquel on n’est sans doute plus très habitué. Ce temps, il le prend depuis dix ans. Loin d’avoir chômé, il a survécu à plusieurs épreuves. Moins d’un an après sa découverte du lieu, la vie fait connaître à Charles-Jules deux graves accidents et un coma qui le rendent hémiplégique et le déclarent handicapé. Il n’abandonne pas sa mission et dès la fin de l’été 2005, il se remet à l’œuvre et poursuit la réalisation de la première cabane.

Envers et contre toutes les prédictions de la médecine moderne occidentale, grâce à un maître de médecine chinoise (acupuncture), il récupère la motricité de la partie de son corps qui avait été paralysée.

« Ce qui m’a sauvé ? La foi et l’eau. » En allant chaque jour à la piscine, il a récupéré un centimètre de la hauteur qu’il avait perdue suite aux accidents. Ses amis disent que la Mère, il l’a construite « avec la main gauche et les dents. »

Pendant des années, à tous les stades de son évolution, Charles vit dans cette cabane nichée entre deux hêtres et un pin sylvestre, faite entièrement de bois et de surface transparente, sur deux niveaux, le « rez-de-chaussée » – à 6 mètres de hauteur ! – de 13 m2 et l’étage de 9 m2. Elle présente désormais tout le nécessaire pour profiter d’une immersion en pleine nature sans manquer de rien, mais sans superflu.

Périple administratif

En août 2013, le nid douillet est officiellement ouvert comme Chambre d’Haute. Il reçoit ses premiers clients enchantés qui dorment à la lumière des étoiles sous le toit de verre, se succèdent jusqu’à l’automne, et même jusqu’aux derniers jours de la saison pour quelques vaillants amoureux !

L’Éco Source Arboricole a intégré le réseau des Gîtes de France qui depuis le début soutient le projet, très enthousiaste et encourageant face à la singularité de sa démarche, tout comme Cabanes de France et le Guide du Routard qui le désigne comme un coup de cœur.

Cependant, il a fallu d’abord à Charles traverser un petit périple administratif. Au démarrage, le terrain n’était pas constructible, mais il existait un vide juridique par rapport aux constructions « dans les arbres », sans fondations en dur.

En 2011, après le passage de la loi Loppsi 2, Charles reçoit un procès-verbal. Alors qu’il avait démarré et souhaitait acheminer son projet dans la discrétion, il se retrouve face à ces problèmes législatifs, et doit faire appel à des avocats pour obtenir de l’aide. « Qu’est-ce qu’il fallait faire ? Une déclaration simple de travaux, jouer sur l’objectif artistique du projet, et demander l’autorisation post-construction. »

Suite et fin de l’article : http://www.reporterre.net/spip.php?article6721

Source, photos et dessin : Juliette Kempf pour Reporterre

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