Too big to jail, ou l’impunité des banquiers

Dans le capitalisme, seule la faillite est dissuasive.

Une vraie Bérézina ! Preuve de l’impuissance des États et la défaite des nations devant un mur d’argent qui ne fut jamais plus puissant.

Après le traité d’Union bancaire adopté le 19 décembre par le Conseil européen, Moscovici y alla de son lyrisme : « L’Europe redevient synonyme de progrès », et Michel Barnier, le commissaire aux Marchés financiers qui se verrait bien calife à la place de Manuel Barroso, tweetait triomphant : « Grand pas franchi. Contribuables ne seront plus premiers à payer pour erreurs des banques. »

La surveillance par la BCE des 130 plus grandes banques européennes est certes une décision salutaire et bienvenue. C’est le second pilier prévu pour 2016, dit de « sauvetage des banques en faillite », qui pose problème avec l’application de la jurisprudence chypriote : le bail-in (les clients passent à la caisse) avant le bail-out (l’État éponge les pertes comme après le krach de 2008). Le chœur des contribuables est invité à se réjouir mais pas celui des épargnants ! Voilà un hold-up d’un nouveau genre.

Un fonds de mutualisation bancaire qui ne sera abondé qu’en 2026 garantira les dépôts en dessous de 100.000 €. Au-delà, les clients payeront. Ils seront peut-être incités à éviter les banques offrant des rendements farfelus, les capitaux douteux ou mafieux préféreront d’autres cieux et les spéculateurs joueront moins sur l’euro, ce qui diminuera la pression à la hausse sur notre devise.

Mais que n’avait-on entendu des deux côtés de l’Atlantique sur Lehman Brothers, Goldman Sachs et les escroqueries de Madoff, sur les banquiers voyous, la complicité des agences de notation et la nécessité de les brider. Eh bien rien, car ce mécanisme est une assurance tous risques pour les véreux. On tue le moral hazard. Dans le capitalisme, seule la faillite est dissuasive.

Malgré l’ire des citoyens et la pression de la rue (Occupy Wall street, mouvement des 99 %), les Européens et les États-Uniens se sont aplatis devant les seigneurs de la finance, Obama en tête. Rappelons qu’après la crise de 1929, les trusts furent démantelés et la séparation banque de dépôt/banque d’affaires strictement appliquée.

La conception qui s’est imposée – incarnée par le trio Greenspan-Bernanke-Yellen à la tête de la Fed – serait que les gros acteurs too big to fail (trop gros pour faire faillite) stabilisent les marchés, et l’orgie de liquidités est bonne pour l’économie. Eric Holder, ministre de la Justice, l’avait admis en mars 2013 : les banquiers sont aussi too big to jail (trop gros pour aller en taule). S’attaquer à eux mettrait à terre tout le système financier et l’on renonce donc à la seule solution pérenne : le démantèlement des grandes banques.

L’étrange mansuétude pour nos fat cats (nos gras financiers) eu égard aux scandales de subprimes et de titrisation, aux réseaux d’évasion fiscale, à la tolérance des paradis fiscaux, au blanchiment de l’argent sale s’explique in fine. Hors les amendes dérisoires, ils sortent indemnes du krach de 2008, de la grande récession et de la crise des dettes souveraines dans laquelle nous nous débattons encore.

Les peuples voulaient voir des banquiers pendus haut et court, leurs firmes traînées devant les tribunaux, et ils assistent à l’explosion des bonus, des profits et des cours boursiers. Quelle morgue ! La violence populaire se nourrit toujours de l’impunité des puissants.

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