Quand Bruxelles permet aux Français de déshériter leurs enfants

Incroyable… La réglementation bruxelloise  sur les successions qui sera appliquée en 2015 va autoriser ceux qui le souhaitent d’échapper au strict encadrement qu’impose le droit français.

Imaginez une vieille dame multimilliardaire, héritière d’un grand groupe français de cosmétiques… ça ne vous dit rien ? Imaginez qu’elle se soit entichée d’un jeune photographe qui sait la faire rire… ça ne vous dit vraiment rien ? Et qu’elle soit en délicatesse avec sa fille unique ? Est-il encore utile de vous préciser à qui nous faisons allusion ? Et bien, aujourd’hui, cette vieille dame, bien conseillée, pourrait parfaitement rédiger un testament qui retirerait à sa fille l’essentiel de ses droits à la succession. Le plus légalement du monde.

Comment est-ce possible ? La loi française ne protégerait-elle plus les enfants et les conjoints en leur réservant une part minimum de l’héritage, ce que les notaires appellent dans leur jargon, la réserve héréditaire ? A vrai dire, la France tient à cette spécificité juridique. L’actuelle garde des Sceaux elle-même l’a réaffirmé l’an passé. Répondant à la question écrite d’un député, Christiane Taubira a jugé que ce principe « assure un équilibre entre le respect des droits successoraux des héritiers réservataires et la libre disposition du patrimoine ». Sauf qu’il y a désormais une faille dans l’édifice. Une faille introduite par Bruxelles. Dès 2015, les Français vont en effet pouvoir faire jouer une modification de la réglementation européenne pour disposer plus librement de leur fortune.

Ce que change la réglementation européenne

Le texte qui entre en application le 17 août 2015 révolutionne en effet les régimes de succession des 28 pays de l’Union Européenne. Il prévoit qu’au décès d’un citoyen de l’UE, les règles qui encadrent une succession soit celle de l’Etat où il résidait et non celle de son pays d’origine. Et cette mesure révolutionnaire concernera tous ses biens. De quoi changer la donne pour les millions d’Européens qui se sont expatriés dans un autre pays de l’UE. D’ores et déjà, on recense 450.000 successions internationales à l’intérieur de l’Union. Et on peut parier que ce chiffre va encore progresser avec tous ceux -plus nombreux qu’on ne le croit- qui souhaitent déshériter des enfants avec lesquels ils sont brouillés ou qui veulent pouvoir léguer l’intégralité de leur fortune à une cause qui leur est chère.

Cela vaut pour les Français mais aussi pour les citoyens d’autres pays où le législateur protège la descendance des sautes d’humeur des géniteurs. D’une façon générale, les pays du Sud, de droit latin, sont des adeptes de la réserve héréditaire. Les enfants et le conjoint -légal- est protégé non seulement en France, mais en Espagne, au Portugal, en Italie ainsi qu’en Allemagne. Et puis il y a les pays dont le droit est issu de la Common Law anglo-saxonne, qui laissent les testateurs (nom juridique de celui qui a rédigé son testament) libres de leur choix. De l’autre côté de la Manche, la « réserve héréditaire » n’existe tout simplement pas !

Un Français installé en Angleterre, en Ecosse, au Pays de Galles et en Irlande du Nord, pourra donc avantager, par testament, les personnes de son choix sans que leurs enfants puissent y trouver à redire. Il pourra également priver un ou plusieurs de ses enfants de tout héritage. Idem pour le conjoint, nettement moins protégé par la loi britannique que par les lois « continentales » puisqu’il (ou elle) n’a droit qu’à un dédommagement financier fixé par un juge et, de surcroît, plafonné.

Tous les biens sont concernés

L’autre intérêt de cette nouvelle réglementation, c’est qu’elle s’appliquera à tous leurs biens et plus seulement à ceux du pays de résidence. On voit tout de suite l’avantage : avec un modeste pied à terre à Londres, un Français qui possède des propriétés dans plusieurs pays européen pourra désormais disposer librement de tous ces biens. « Attention, il faut que l’installation soit effective » prévient Jean Pierre Sagaud, notaire à Paris et membre du Conseil Notarial de l’Union Européenne. « Pas question d’utiliser une boite à lettre dans tel ou tel pays pour bénéficier de ce dispositif. »

Une petite précision, tout de même: la nouvelle loi européenne concerne le traitement civil de la succession. Mais son traitement fiscal, lui, reste identique et il est du ressort de chaque pays. Si un exilé fiscal britannique transmet ses biens à des Français et que le trésor britannique perçoit des droits, le fisc français réclamera aux héritiers français la différence entre les droits déjà versés et ceux qu’il a calculés. Comme quoi, il est plus difficile d’échapper au fisc Français qu’à sa famille!

POUR EN SAVOIR PLUS :

Voici les règles encadrant les successions, pays par pays (cliquez sur le pays pour lire les informations)

ALLEMAGNE/AUTRICHE/BELGIQUE/CROATIE/ESPAGNE/GRECE/ITALIE/LUXEMBOURG/PAYS-BAS/PORTUGAL/REPUBLIQUE TCHEQUE/ROYAUME-UNI/SUEDE

SOURCE DE L’ARTICLE :Challenges via rue 89

 

 

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