Débat des présidentielles : Le coup de gueule de Grisebouille
UN CAS D’ÉCOLE SUR L’IDÉOLOGIE DOMINANTE
Publié le 4/04/2017
Vous m’entendez souvent gueuler sur le fait que les médias et les pouvoirs politiques s’organisent largement autour d’une idéologie dominante partagée et dont il est impossible de sortir (relire Le cadre, En marche (ou crève) ou encore Fakir contre le reste du monde). Enfin, je dis « moi », mais je ne suis pas le seul, hein.
Hier, j’ai vu passer une infographie concernant le débat de la présidentielle organisé ce soir à la télé. Et ça m’a fait sourire tellement c’est un cas d’école : on va débattre, oui, mais sur des questions pré-établies et donc dans un cadre bien défini (je passe sur le format et les temps de paroles ridicules, pour une fois qu’ils sont également repartis entre les 11 candidats…).
Allez, on y va ? Trois grands thèmes seront imposés aux candidats, donc, trois piliers de l’idéologie dominante :
Comment créer des emplois ?
Un classique. Notez qu’en remplaçant « comment » par « pourquoi », on sortirait du cadre idéologique. Ça serait vachement intéressant, d’ailleurs. Oui, pourquoi veut-on créer des emplois ? S’il y a peu d’emplois, c’est peut-être qu’il n’y en a pas besoin de plus, non ?
Ah oui, mais les gens sont au chômage. Donc c’est pour lutter contre l’inactivité ? Pourtant les chômeurs ne sont pas inactifs. Il y en a pas mal qui travaillent, d’ailleurs. Ils ne sont pas employés, oui. Excusez-moi d’être tatillon, mais c’est différent.
Ah oui, mais le chômage ça provoque la pauvreté. Okay, donc l’emploi est juste un moyen de redistribuer mieux la richesse. On créée des bullshits jobs, on invente une activité sans but, sans sens, aliénante, pour générer des salaires. Payez quelqu’un pour creuser un trou, payez quelqu’un pour le reboucher : bravo, vous avez créé deux emplois. Est-ce qu’on ne pourrait pas imaginer des méthodes moins stupides pour redistribuer mieux la richesse ?
Mais non, ces questions ne sont pas intéressantes, d’ailleurs on les a déjà tranchées pour vous. Il FAUT créer de l’emploi, c’est acté, c’est bon, c’est comme ça. On vous demande juste comment. C’est pas intéressant, ça ?
Comment protéger les français ?
Aaaah, une très bonne question. On va parler protection de la sécurité sociale, réduction de la pauvreté, augmentation des retraites, etc. Ah non ? Pourtant ce qui menace les français, c’est surtout la précarité, non ? Whirlpool qui délocalise, tout ça ? 15% de de la population sous le seuil de pauvreté ?
Bon okay, ça, c’est pas assez spectaculaire. Vous voulez parler des dangers mortels ? C’est vrai que ça fait peur, ça.
- Le cancer, 150000 morts par an, on va augmenter le budget de la recherche, du coup ? Essayer de réduire la pollution de l’air qui est un cancérogène avéré et qui atteint des sommets de plus en plus fréquemment ?
- L’obésité, 50000 morts par an, on va s’attaquer aux salopards de l’industrie agroalimentaire qui nous font bouffer de la merde en nous pourrissant le cerveau à coup de pubs ? On va interdire ces pubs, peut-être ?
- La dépression, 10000 suicides par an, on va réfléchir à ce qui provoque la détresse dans ce pays ? Et même, à pourquoi nous sommes de si gros consommateurs d’antidépresseurs ?
- Les accidents de la route, 5000 morts par an, on va mettre des autocollants « Conduire tue » sur chaque bagnole, tuer le marketing en obligeant tous les véhicules à avoir la même forme et la même couleur, développer massivement les transports en commun les plus sûrs pour flinguer le marché des véhicules privés ?
Mais non, ces questions ne sont pas intéressantes, d’ailleurs on les a déjà tranchées pour vous. On va parler TERRORISME, 120 morts par an. Et je suis gentil, je moyenne sur les deux dernières années, soit deux années noires : si on fait une moyenne plus longue, on est plus proches de zéro. Mais ça fait peur et puis c’est pratique pour nous faire bouffer de la loi sécuritaire au kilomètre. Oh, et j’habite Nice, hein, donc me faites pas le coup du « c’est facile de dire ça quand on n’est pas concerné ».
Bien entendu, ne croyez pas qu’on va aller chercher les causes du côté de nos politiques extérieures (guerres, exploitation post-coloniales des ressources dans les pays instables, commerce d’armes avec des pourritures, etc.). Ou même simplement se pencher sur l’idée de nationaliser Lafarge qui collabore avec l’État Islamique (on l’avait fait pour Renault qui avait collaboré avec les nazis pendant la guerre, hein) ou de foutre leurs dirigeants en taule pour haute trahison. Non, la politique anti-terroriste, ça sert à mettre le peuple au pas, pas les puissants véreux qui sont responsables.
Comment mettre en œuvre votre modèle social ?
Encore une question classique. Vous le sentez, là, qu’ils vont galérer, ceux qui en proposent un, de modèle social ? (Et déjà, ils ne sont pas nombreux…)
Le sous-texte, bien sûr, c’est qu’un modèle social, ça coûte cher, et que c’est annexe au reste. C’est l’humanité qui est au service de l’économie, pas l’inverse. Qu’importe la pauvreté massive pourvu qu’on ait la croissance. 13 millions de pauvre en Allemagne, mais circulez, y’a rien à voir, c’est le modèle. Qu’importent les pics de pollutions et les pics de burn-out, pourvu qu’on soit productifs.
Le modèle social, c’est bien, c’est mignon, mais on verra plus tard, si on est capables de le faire. Sinon, vous continuerez de crever la dalle en attendant les lendemains qui chantent. Ça fait jamais que trente ans que vous les attendez, les lendemains qui chantent. C’est pas un quinquennat de plus ou de moins qui devrait vous chagriner.
Pardon ? Vous aviez d’autres questions ? Comment mettre en œuvre une économie sociale et solidaire ? Comment mettre en œuvre une organisation du travail écologique et décente ? Comment mettre en œuvre la redistribution des richesses ?
Mais non, ces questions ne sont pas intéressantes, d’ailleurs on les a déjà tranchées pour vous. L’organisation économique, le monde du travail, tout ça, c’est du fixe, c’est du cadre, c’est là, ça bouge pas et d’ailleurs on t’a demandé ton avis ? Non, la variable d’ajustement, c’est le modèle social, c’est ton niveau de vie, ce sont nos richesses communes.
Changez rien, les gars, le débat nous passionne. Quel taux d’abstention annoncé, déjà ?
Grise Bouille
https://grisebouille.net/debat-des-presidentielles-un-cas-decole-sur-lideologie-dominante/
L’édito de Bruno Berthez est pas mal non plus et rejoint plus ou moins celui de Grise Bouille. Il est ici :
Analyse du débat, Macron séduit encore le dernier carré
A PROPOS :
France 2 annule son grand débat prévu le 20 avril à 3 jours du premier tour devant le refus d’Emmanuel Macron et de Jean-Luc Mélenchon de s’y rendre suivi par Marine Le Pen et François Fillon. Il sera remplacé par la diffusion d’entretiens.
Jean-Luc Mélenchon est particulièrement pointé du doigt par certains et accusé de ne pas respecter la démocratie sous le prétexte qu’il prive les petits candidats d’une tribune.
Que ceux qui ont visionné les divers débats et entretiens me contredisent : Les « petits » candidats sont très mal traités par les journalistes : ils sont considérés au mieux avec indifférence, condescendance, ironie, au pire avec mépris sinon hargne. Ils ne gagnent pas grand chose à ces grands messes dont il ne sort rien. Je ne suis pas certaine que le débat sur BFMTV ait fait gagner des points à Poutou, Arthaud, Cheminade, Lassale et même Asselineau qui s’est montré en-dessous de ce qu’il est d’habitude. Seul, N. Dupont-Aignan a à peu près tiré son épingle du jeu.
La date a été prise par France-Télévision au débotté sans consultation préalable et elle est beaucoup trop proche des élections. Le 20 avril est le jour de clôture de la campagne pour le premier tour, il est facile de comprendre qu’il est important pour les candidats.
JLM n’a pas dit qu’il ne voulait pas débattre, il a dit que la date ne s’intégrait pas dans son planning et qu’il était ouvert pour discuter d’autres dates avant le 17 avril.
Je rappelle que les programmes télé sont beaucoup plus souples que l’on essaye de nous le faire croire pour mettre l’annulation sur le dos des candidats. Si un événement majeur et imprévu arrivait genre attentat chez nous, immédiatement les chaines de télé annuleraient leur programme de la journée entière pour en diffuser un autre avec débat et tutti quanti et ce, au pied levé.
Personnellement, je trouve très bien que Macron et Mélenchon aient montré que ce 4ème pouvoir tout puissant pouvait être renvoyé à la niche et qu’ils étaient capable de leur dire non.
Galadriel
IMAGE A LA UNE : La Tribune (Crédits DR)