LE POINT ZÉRO DE L’EFFONDREMENT DU SYSTÈME
Ce texte est à mes yeux un texte indispensable. Écrit en 2010, il est d’une actualité brûlante et continuera probablement et hélas à l’être dans les années qui suivent.
Ce texte, et j’insiste, il faut le lire – même par petits bouts si sa longueur vous rebute – bien que j’aie fait le maximum pour rendre la traduction la plus littéraire possible en prenant garde de coller au texte. Je ne suis pas naturellement bilingue et ce fut un travail ardu et minutieux de plus de six heures. Il est possible que j’aie commis quelques petites erreurs et oublié quelques coquilles malgré la relecture, et je vous prie de m’en excuser.
Cet article est une réflexion indispensable sur des sujet majeurs en cette période électorale. Il peut aider chaque citoyen à réaliser ce vers quoi nous nous dirigeons sans coup férir si nous ne nous réveillons pas et n’entrons pas en résistance.
Ce tableau semblera trop noir à ceux qui ne s’informent pas régulièrement des dérives de notre société dans des blogs de contre-information généraliste et non dogmatique comme le nôtre. Comme c’est parfaitement démontré dans le texte, tout est fait pour cela. Coincé entre une peur savamment distillée et des illusions habilement entretenues, le gentil mouton moyen est conditionné à penser que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles alors qu’il est emmené à l’abattoir.
Y sont abordés un état des lieux sans concession de notre société et du système prédateur dans lequel nous vivons, l’effondrement inévitable qui s’en suit en toute logique, l’ analyse de la violence comme réponse et l’esprit indispensable de résistance que nous devons mettre en place pour y survivre. (Le portrait brossé est essentiellement celui des Etats Unis mais il est pour nous, vous le comprendrez, un miroir implacable, même s’il existe des détails négligeables typiques de la culture américaine.)
Je ne suis pas certaine qu’il m’aurait autant interpelée il y a six ans lorsqu’il fut publié. Les années qui se sont écoulées depuis lui ont donné raison et un poids d’autant plus grand à sa réflexion.
Galadriel
(Nb ce texte est un texte d’opinion. Il est donc discutable et peut ne pas correspondre sur certains point à votre propre analyse.)
Chris Hedges: Zero Point of Systemic Collapse
Aleksandr Herzen, parlant il y a un siècle à un groupe d’anarchistes de la question d’éliminer le tsar, rappela à ses auditeur que ce n’était pas leur boulot de sauver un système mourant, mais de le remplacer.
Alors que nous pensons que nous sommes les médecins. NOUS SOMMES LA MALADIE. Toute résistance doit reconnaître que le corps politique et le capitalisme global sont morts.
ll s’agit de transformer nos énergies en bâtissant des communautés durables pour faire face à la crise qui vient, car nous ne pourrons pas survivre et résister sans un effort de coopération.
Nous devrions arrêter de dépenser de l’énergie à essayer de réformer ou nous référer à ce qui est. Cela ne signifie pas la fin de la résistance, mais doit signifier des formes de résistance très différentes. Il s’agit de transformer nos énergies en bâtissant des communautés durables pour faire face à la crise qui vient, car nous ne pourrons pas survivre et résister sans un effort de coopération.
Ces communautés, si elle se replient dans un mode purement survivaliste sans se relier en cercle de plus en plus étendus aux communautés que représentent un état et la planète, elle s’effondreront moralement et spirituellement de la même façon que ces forces en jeu contre nous. Toutes les infrastructures que nous construisons à l’image des monastères du Moyen-Age, devraient chercher à maintenir vivantes les traditions intellectuelles et artistiques qui rendent possibles la société civile, l’humanisme et le bien commun.
L’accès au parcelles de terres agricoles sera primordial. Nous avons à comprendre, comme les moines médiévaux, que nous ne pouvons pas continuer à étendre plus largement la culture autour de nous du moins à court terme mais que nous pouvons être capables de conserver les codes moraux et la culture pour des générations au-delà de la nôtre. La résistance peut être parfois réduite à de petits, souvent imperceptibles actes de prudence comme tout ceux qui ont découvert et conservé leur intégrité dans la longue nuit du fascisme et du communisme du 20ème siècle.
Nous sommes au sommet de l’une des périodes les plus lugubres de l’histoire humaine alors que les lumières brillantes de la civilisation s’éteignent et que nous retombons pour des décennies sinon des siècles dans la barbarie.
Les élites ont réussi à nous convaincre que nous n’avions plus la capacité de comprendre les vérités qui se révèlent à nous ou de lutter contre le chaos causé par la catastrophe économique et environnementale. Tant que la masse des gens égarés et effrayés nourrie d’images qui leur permettent d’halluciner sans fin sera maintenue dans cet état de barbarie, elle risque périodiquement d’exploser avec une furie aveugle contre la répression accrue de l’État, la pauvreté généralisée et les pénuries alimentaires. Mais elle manquera de moyens et de confiance en elle pour défier à l’aide de petits et grands outils les structures de contrôle. Le rêve que des révoltes populaires et des mouvements de masse disséminés briseront la domination de cette société élitiste est juste cela : un rêve.
Mon analyse rejoint celle de nombreux anarchistes. Mais il y a une différence cruciale :
Les anarchistes n’ont pas compris la nature de la violence. Ils saisissent que les racines s’étendent dans nos institutions politiques et culturelles, ils savent qu’ils doivent sectionner les tentacules du consumérisme mais ils croient naïvement que cela peut être contré par des formes physiques de résistance et des actes de violence. Il y a des débats à l’intérieur du mouvement anarchiste – comme ceux de la destruction de la propriété – mais à partir du moment ou vous commencez à utiliser des pains de plastic, des innocents mourront. Et lorsque la violence anarchiste commencera à perturber les mécanismes de la gouvernance, l’élite au pouvoir se servira de ces actes comme miroir pour justifier l’utilisation de forces disproportionnées et impitoyables contre les agitateurs réels ou supposés drainant la rage des dépossédés.
Je ne suis pas un pacifiste. Je sais qu’il arrive des moments, et même admettre que celui-ci peut éventuellement être l’un d’eux, où l’être humain est obligé de répondre à la répression croissante avec violence. J’étais à Sarajevo pendant la guerre de Bosnie. Nous savions très exactement ce que les forces serbes qui encerclaient la ville nous feraient si ils franchissaient les défenses et le système de tranchées autour de la ville assiégée. Nous avions l’exemple de la vallée de Drina ou de la ville de Vukovar, ou à peu près un tiers des habitants musulmans ont été tués et le reste enfermé dans des camps de transit ou de réfugiés.
Il y a des moments où le seul choix qui reste est de s’emparer d’une arme pour défendre votre famille, vos voisins, la ville. Mais ceux qui se révélèrent les plus aptes à défendre Sarajevo venaient invariablement d’un milieu criminel. Lorsqu’ils n’étaient pas entrain de tuer des soldats Serves, il pillaient les appartements des gens de la communauté Serbe à Sarajevo et souvent les exécutaient tout comme ils terrorisaient leur compagnons musulmans. Lorsque vous ingérez le poison de la violence, fusse pour une juste cause, il vous corrompt, vous déforme et vous pervertit.
La violence est une drogue, c’est en vérité la plus puissante drogue connue de l’humanité.
Les plus addictifs à la violence sont ceux qui ont accès aux armes et ont un penchant pour la force. Et ces tueurs remontent à la surface de n’importe quel mouvement armé et le contaminent avec le pouvoir séducteur et intoxicant qui est lié à leur habilité à détruire. J’ai vu cela guerre après guerre. Lorsque vous descendez ce chemin, vous finissez par laisser s’affronter vos monstres contre leurs monstres. Et le sensible, l’humain, le gentil, ceux qui ont une propension à encourager et protéger la vie sont marginalisés et souvent tués. La vision romantique de la guerre et de la violence est ainsi prévalente parmi les anarchistes et le côté noir mis de côté comme ils l’est dans notre culture dominante.
Ceux qui résistent en utilisant la force ne déferont pas cet État corporatiste ou ne soutiendront pas les valeurs culturelles qui le méritent si nous devons vivre un futur pire que le présent.
De mes nombreuses années comme correspondant de guerre au Salvador, Guatemala, Gaza et Bosnie, j’ai vu que les mouvements de résistance armée étaient toujours le fruit de la violence qui les avaient frappés. Je ne suis pas naïf au point de penser que j’aurais pu éviter ces mouvements armés si j’avais été un paysan salvadorien ou guatémaltèque, un palestinien gazaoui ou un musulman à Sarajévo, mais la violence en réponse à la répression est toujours une tragédie. Elle doit être évitée mais non au prix de notre propre survie.
La démocratie, un système pensé idéalement pour gérer le statu quo a été corrompu et dompté pour servir servilement ce statu quo. Comme l’écrit John Ralston Saul, nous avons subi (cela) « à coup d’état »(en fr. ndlr) dans un lent mouvement. Et la coupe est pleine. Il ont gagné, nous avons perdu. L’incapacité abjecte des décideurs à obliger les entreprises, les états industrialisés vers une réforme environnementale sérieuse pour squizzer l’aventurisme impérial et pour bâtir une politique humaine envers les masses des pauvres du monde provient d’une inaptitude à analyser les nouvelles réalités du pouvoir. Le cadre du pouvoir s’est irrévocablement modifié et donc le paradigme de la résistance aussi.
Il existe un tas de débats cette dernière année sur comment Barack Obama pourrait être un président de la mutation. Mais cela a fait flop. Une mutation exige beaucoup plus que d’élire un candidat télégénique. Le gouvernement actuel aurait des années de devant lui d’une guerre de siège contre des intérêts profondément injustes, qui défendent un système politique extrêmement dysfonctionnel – Paul Krugman « Missing Richard Nixon » The New York Times 30 aout 2009
Trop de mouvement de résistance continuent d’acheter l’idée d’une politique électorale de façade, des parlements, des constitutions, des projets de loi, du lobbying et de l’apparition d’une économie rationnelle. Les leviers du pouvoir sont devenus tellement contaminés qu’ils ont besoin des voix de citoyens qui sont perdu leur pertinence.
L’élection de Barack Obama fut encore un autre triomphe de la propagande sur le fond, une manipulation habile et une trahison du public par les médias de masse. Nous avons confondu le style et l’aspect ethnique – une tactique publicitaire promue par United Color of Benetton et Calvin Klein – avec une politique progressiste et un véritable changement.
Nous avons mélangé émotion et savoir. Mais le but, comme avec toutes les marques était de faire de nous des consommateurs passifs qui confondent la marque et l’expérience. Obama, maintenant une célébrité mondiale, est un label. Il n’avait presque aucune expérience à part deux années au Sénat, manquait de fondement moral et fut vendu comme n’importe quel objet à tous les gens.
La campagne d’Obama fut élue publicité de l’année en 2008 et a dépassé les seconds finalistes tel Apple et Zappos.com. Vérifiez-le auprès des professionnels. La marque Obama fut un produit de rêve des marketeurs. Le président fait une chose, et l’étiquette Obama vous en fait croire une autre. Telles est l’essence d’un marketing réussi. Vous achetez ou faites ce que les publicitaires veulent selon ce qu’ils font naitre comme émotion.
Nous vivons dans une culture caractérisée par ce que Benjamin De Mott appelait la « la junk politics » . Ces politiques dépotoir ne demandent ni la justice, ni la réparation des droits. Elles créent plus de questions qu’elles n’en clarifient. Cela évite le vrai débat autour de scandales fabriqués, de potins et de spectacles de célébrités. Elles affichent un éternel optimisme, louent sans fin notre force morale et de caractère et communique dans un langage : « sentez votre douleur ». Le résultat de cette politique foutoir est que rien ne change, et que : » l’interruption des processus est nulle et que ce sont des pratiques qui renforcent les systèmes d’avantages socio-économiques existants et interconnectés »
La croyance culturelle que nous pouvons faire que les choses arrivent en pensant, visualisant et les voulant, en puisant dans notre force interne ou en comprenant que nous somme vraiment exceptionnel est une pensée magique. Nous pouvons toujours faire plus d’argent, atteindre de nouveaux quotas, consommer de nouveaux produits et avancer dans notre carrière si nous avons suffisamment la foi.
Cette pensée magique nous a été prêchée à travers le spectre politique d’Oprah Winter (présentatrice très célèbre de la TV US ndlr), des champions sportifs, Hollywood, des gurus auto-promus et des démagogues chrétiens, elle est largement responsable de notre effondrement économique et environnemental depuis que chaque Cassandre qui voyait la catastrophe arriver fut écarté pour cause de « négativité ». Cette croyance qui permet aux hommes et aux femmes de se comporter comme des petits enfants, délégitime et discrédite toute implication et toute inquiétude. Elle exacerbe le désespoir et la passivité. Elle favorise un état d’auto-illusion. Le but, la structure et la cible des états élitistes ne sont jamais sérieusement questionnés. Toute question qui engage la critique de l’élite est obstructive et négative. Et cela pervertit la voie que nous avions choisi pour nous mêmes, notre pays et le monde naturel. La nouveau paradigme du pouvoir rassemble en une bizarre idéologie un progrès illimité et un impossible bonheur en transformant les nations, y compris les US en monstres.
Nous n’éviterons pas notre Götterdämmerung (Crépuscule des Dieux ndlr) spécialement aux Etats-Unis. Obama, comme le premier ministre canadien Stephen Harper et autres dirigeants de nations industrielles s’est montré le même instrument lâche devant cet état corporatiste que Georges W. Bush. Notre système démocratique a été transformé dans ce que le philosophe politique Sheldon Wolin appelle un totalitarisme à étiquette inversée.
Le totalitarisme inversé, contrairement au totalitarisme classique, ne tourne pas autour d’un démagogue ou d’un leader charismatique. Il trouve son expression dans l’anonymat des Etats-entreprise. Il vise à chérir la démocratie, le patriotisme, la liberté de la presse, les systèmes parlementaires et les constitutions tout en manipulant et corrompant les leviers internes pour subvertir et déjouer les institutions démocratiques. Les candidats politiques sont élus par des votes populaires de citoyens, mais ce sont des armées de lobbyistes qui établissent les règles à Washington, Ottawa ou toute autres capitales d’Etat, qui rédigent les lois ou permettent au législateur de les contourner. Le groupe des médias contrôle de très près ce que nous lisons, voyons ou écoutons et impose une discrète uniformité d’opinion. La culture de masse détenue et diffusée par les entreprises de presse nous abreuvent de trivialités, de spectacles et potins de célébrités. Dans les régimes totalitaires classiques comme le fascisme nazi ou le communisme soviétique, l’économie était subordonnée à la politique . Sous le régime du totalitarisme inversé, l’envers est vrai. L’économique domine le politique et avec cette domination naissent les différentes formes de cruauté.
Le totalitarisme inversé exerce sont pouvoir absolu sans recourir à des formes de contrôle grossières comme les goulags, les camps de concentration ou la terreur de masse. Il maîtrise la science et la technologie pour ses noires finalités. Il renforce l’uniformité idéologique en utilisant les systèmes de communication de masse pour inculquer la consommation dérisoire comme une pulsion interne et substitue à la réalité nos illusions sur nous-mêmes. Il n’élimine pas forcément les dissidents tant que ceux-ci restent inopérants. Et tandis qu’il nous détourne de nous-mêmes il démonte les bases manufacturières, dévaste les communautés, déchaînes des vagues de misère et déplace les emplois dans les pays où les fascistes ou les communistes savent maintenir les travailleurs en rang. Il fait tout cela tout en faisant flotter le drapeau et la bouche remplie de slogans patriotiques. Les Etats-Unis sont devenus la vitrine de la façon dont la démocratie peut être gérée sans paraître supprimée,
écrit Wolin.
L’exercice et la psychologie de la publicité, la règle des « forces du marché » dans beaucoup de domaines autres que les marchés, l’avancée continuelle de la technologie qui encourage la création de fantaisies :(jeux électroniques, avatars virtuels, voyages spatiaux) la saturation par les mass médias de la propagande dans chaque foyer et la prise en main des universités ont rendu otage la plupart d’entre nous. Les racines de l’impérialisme qui est toujours incompatible avec la démocratie a vu les fabricants d’armes et les militaires monopoliser 1 trillon de dollars par an dans les dépenses liées à la défense au US alors même que la nation fait face à un effondrement économique. L’impérialisme militarise toujours la politique. Cette militarisation, comme le remarque Wolin se combine aux fantasmes du culte des héros, aux histoires de prouesses individuelles, de jeunesse éternelle, de beauté par la chirurgie, d’action mesurée en nanosecondes et d’une culture chargée de rêves qui permet d’étendre sans fin le contrôle et l’éloignement d’une grande partie de la population de la réalité.
Ceux qui contrôlent les images nous contrôlent. Et tandis que nous avons étions fascinés par des nuages en celluloïd sur les murs de la caverne de Platon, ces forces marchandes, exaltant les avantages de la privatisation ont, dans les faits, démantelé les institutions de la social-démocratie (sécurité sociale, syndicats, services sociaux, services de santé publique et logements sociaux) et renversé les idéaux sociaux et politique du New Deal.
Les tenants de la globalisation et d’un capitalisme dérégulé ne perdent pas leur temps à faire l’analyse d’autres idéologies. Ils en ont une, ou éventuellement un plan d’action soutenu par une idéologie et la suivent avec soumission. Nous avons à gauche des douzaines d’analyses de d’idéologies concurrentes sans aucun plan cohérent de notre part. Cela nous a laissé patauger tandis que les forces de l’entreprise ont démoli impitoyablement la société civile.
Nous vivons l’un des grands retournement sismiques de la civilisation. L’idéologie de la globalisation, comme toute inévitable vision utopique, apparait comme une tromperie. Le pouvoir élitiste, perplexe et confus, s’attache aux principes désastreux de la mondialisation et à son langage dépassé pour masquer le vide politique et économique qui se dessine. L’idée absurde que le marché seul devrait déterminer les constructions économiques et politiques a conduit les nations industrielles à sacrifier d’autres domaines d’importance humaine – de la condition de travail, à l’imposition, le travail des enfant, la faim, la santé, la pollution – sur l’autel du libre-échange. Il laisse le monde des démunis bien pire et les US avec la plus grosse dette qu’elle ne pourra jamais rembourser de l’histoire de l’humanité. Les sauvetages massifs, plans de relance, cadeaux, la dette à court terme ajoutés aux guerres impériales que nous ne pouvons plus nous permettre obligeront les US à lutter pour financer cette année près de 5 milliards de dollars de dettes. Cela demande à Washington de vendre aux enchères environ 96 milliards de dollars de dettes par semaine. Une fois que la Chine et les États riches en pétrole se retireront du jeu, ce qui arrivera un jour, la Réserve Fédérale deviendra l’acheteur en dernier ressort. La FED a peut-être imprimé ces deux dernières années deux trillions de nouveaux dollars et le rachat par elle de notre dette verra l’impression de trillions supplémentaires. C’est ainsi que l’inflation et plus encore l’hyperinflation, transforme le dollar en détritus. Et de ce point de vue, le système entier s’effondre.
Imaginez les principaux économiste passant un peu de temps dans la nature sauvage. Peut-être le directeur de la Réserve Fédérale pourrait-il passer un après-midi debout à l’embouchure de la rivière Tsiu sur les côtes perdues à peine explorées de l’Alaska central, et les corps luisants des saumons argenté gonflés par l’effort pour la remonter. (E.F. Schumacher Society, smallisbeautifull.org)
Tous les standards traditionnels et les croyances sont brisées dans une crise économique sévère. L’ordre moral est renversé. Les gens honnêtes et travailleurs sont éjectés tandis que les gangsters, profiteurs et spéculateurs s’en vont avec des millions. L’élite se mettra à l’abri comme l’a écrit Naomi Klein dans la Stratégie du Choc, dans des résidences impénétrables où elles auront accès au services, nourriture, équipement et sécurité refusés au reste d’entre nous.
Nous allons entamer une période de l’histoire de l’humanité ou il n’y aura que maîtres et serfs. Les forces d’entreprise qui cherchent à faire alliance avec la droite chrétienne radicale et d’autres extrémistes utiliseront la peur, la rage vis à vis des élites et le spectre des dissidents de gauche et du terrorisme pour imposer des contrôles draconiens et écraser sans pitié des mouvements d’opposition. Et lorsqu’ils l’auront fait, il feront flotter le drapeau américain, chanter des airs patriotiques, promettrons loi et ordre en serrant la croix chrétienne. Le totalitarisme comme le soulignait George Orwell, n’est pas tant un âge de foi qu’un âge de schizophrénie.
« Une société devient totalitaire quand ses structures deviennent artificielles de façon flagrantes. écrivait-il. C’est quand ses classes dirigeantes ont perdu leurs fonctions mais réussissent à s’accrocher au pouvoir par la force ou la fraude »
Nos élites ont usé de la fraude. La force est la seule chose qu’ils ont abandonnée. Notre médiocre élite en déroute est entrain d’essayer désespérément de sauver un système qui ne peut l’être. Plus important elle tente de se sauver elle-même. Toutes les tentatives pour travailler dans ce système dégradé et cette classe de puissants courtiers se révélera inutile et la résistance doit répondre à la dure réalité nouvelle d’un ordre capitaliste global qui s’accrochera au pouvoir à travers des formes toujours croissantes de répression brutale et ouverte.
Une fois que le crédit se tarira pour le citoyen moyen, une fois que le chômage massif aura créé une sous-classe permanente et enragée et que les biens manufacturés bon marché qui sont les opiacés de notre culture de produits disparaitront, nous évoluerons probablement vers un système qui ressemblera plus étroitement au totalitarisme classique. Des formes de répression de plus en plus plus violentes, devront être employées à mesure que les mécanismes de contrôle plus doux favorisés par le totalitarisme inversé se décomposent. Ce n’est pas un hasard si la crise économique converge vers la crise environnementale. Dans son livre : La grande transformation (1944) Karl Polanyi a exposé les conséquences dévastatrices – dépressions, guerres, totalitarisme – qui se développent à partir d’un marché libre soi-disant auto-régulé. Il saisissait que le fascisme comme le socialisme avait leur racines dans une société de marché qui refusait de fonctionner. Il alertait sur le fait qu’un système financier dérive toujours, sans contrôle gouvernemental lourd, vers un capitalisme mafieux – et un système politique mafieux – qui est une bonne description de notre structure financière et politique. Un marché auto-régulé, a écrit Polanyi, transforme les êtres humains et l’environnement naturel en marchandises, une situation qui assure la destruction et de la société et de l’environnement.
L’hypothèse du libre-échange selon laquelle la nature et les êtres humains sont des objets dont la valeur est déterminée par le marché permet à chacun d’être exploité à des fins lucratives jusqu’à l’épuisement ou l’effondrement.
Une société qui ne reconnaît plus que la nature et la vie humaine ont une dimension sacrée, une valeur intrinsèque au-delà de la valeur monétaire, commet un suicide collectif. Ces sociétés se cannibalisent jusqu’à ce qu’elles meurent. C’est ce que nous subissons.
Si nous construisons des structures autonomes qui nuisent le moins possible à l’environnement, nous pouvons faire face à l’effondrement à venir. Cette tâche sera accomplie grâce à l’existence de petites enclaves physiques qui auront accès à une agriculture durable, seront capables de se détacher autant que possible de la culture commerciale et pourront être largement auto-suffisantes. Ces communautés devront construire des murs contre la propagande électronique et craindre la peur qui sera émise sur les ondes. Le Canada est probablement un endroit plus accueillant pour faire cela que les Etats-Unis étant donné le fort courant de violence qui y règne. Mais dans chaque pays, ceux qui veulent survivre ont besoin de terrains isolés et également éloignés des territoires urbains qui verront s’installer des déserts alimentaires dans les centres-villes ainsi que la violence sauvage, ne s’infiltrant dans ces zones urbaines que des produits et des marchandises prohibitivement coûteux, la répression de l’État devenant de plus en plus dure.
L’utilisation de plus en plus évidente de la force par les élites pour maintenir le contrôle ne doit pas mettre fin aux actes de résistance. Les actes de résistances sont des actes moraux. Ils commencent parce que la conscience populaire comprend l’impératif moral de contrer un système d’abus et de despotisme. Ils doivent être réalisés non pas parce qu’ils sont efficaces mais par parce qu’ils sont justes. Ceux qui entreprennent ces actions sont toujours en petit nombre et écartés par ceux qui cachent leur couardise derrière leur cynisme. Mais la résistance, bien que marginale, continue à affirmer la vie dans un monde inondé par la mort. C’est l’acte de foi suprême, la forme la plus élevée de spiritualité et la seule voie qui rend l’espoir possible.
Ceux qui réalisent de grands actes de résistance sacrifient souvent leur sécurité et leur confort, passent souvent du temps en prison et dans certains cas, sont éliminés. Ils ont compris que vivre dans tout le sens du mot, est d’exister en tant qu’êtres humains libre et indépendants, défiant l’injustice même dans la nuit noire de la répression.
Lorsque le pasteur dissident Dietrich Bonhoeffer fut sorti de sa cellule d’une prison nazie pour être emmené à la potence, ses derniers mots furent :
C’est la fin pour moi, mais aussi le commencement
Bonhoeffer savait que la plupart des citoyens de cette nation étaient complices par leur silence de cette vase entreprise d’extermination. Mais bien que le désespoir semblait visible sur le moment, il affirma ce que nous devons tous affirmer. Il ne refusa pas la mort. Il n’eut pas une attitude de survie individuelle.Mais il comprit que sa résistance et même sa mort étaient des actes d’amour. Il a combattu et est mort pour la sainteté de la vie. Il donna, même à ceux qui ne le rejoignirent pas, un autre récit, et son défi finalement condamna ses bourreaux.
Nous devons continuer à résister mais faites-le maintenant avec la constatation dérangeante que le changement significatif ne se produira probablement pas dans votre vie. Cela rend la résistance encore plus difficile. Cela déplace la résistance du tangible et de l’immédiat vers le sans forme et l’indéterminé. Mais renoncer aux actes de résistance est une mort intellectuelle et spirituelle. C’est se rendre à l’idéologie déshumanisante du capitalisme totalitaire. Les actes de résistance gardent vivant une autre histoire, soutiennent notre intégrité et encouragent d’ autres que nous ne croiserons peut-être jamais à se tenir debout et porter la flamme que nous leur transmettons.
Aucun acte de résistance n’est inutile, que ce soit de refuser de payer des impots, se battre pour la Taxe Tobin, travailler à changer les paradigmes économiques néo-classsiques, révoquer une chartre d’entreprise, pétitionner sur internet à l’échelle mondiale, utiliser Twitter pour catalyser une réaction en chaîne de refus de l’ordre néolibéral . Mais nous devons résister et avoir la conviction que la résistance vaut la peine car nous ne changerons pas immédiatement la configuration terrible du pouvoir. Et dans cette longue, longue bataille, une communauté qui nous soutiendra émotionnellement et matériellement sera la clé d’une vie de défi.
Le philosophe Théodore Ardono, écrivait que la préoccupation exclusive des questions personnelles et l’indifférence à la souffrance des autres au-delà du groupe auto-identifié est ce qui a finalement rendu le fascisme et l’Holocauste possible :
L’incapacité de s’identifier à autrui était incontestablement la condition psychologique la plus importante qui a fait que quelque chose comme Auschwitz ait pu se produire parmi des gens plus ou moins civilisés et innocents.
L’indifférence à la situation difficile des autres et l’élévation suprême du moi est ce que l’État marchand cherche à inculquer en nous. Il utilise la peur aussi bien que l’égoïsme pour gommer la compassion humaine. Nous devons continuer à lutter contre les mécanismes de la culture dominante pour aucune autre raison que de préserver au travers d’actes, petits, insignifiants notre humanité commune. Nous devons résister à la tentation de nous réfugier dans notre quant à soi et d’ignorer la cruauté au seuil de nos portes. Ce défi, cette capacité à dire non, c’est ce que les forces psychopathiques qui contrôlent nos systèmes vitaux cherchent à éradiquer. Aussi longtemps que nous serons déterminés à défier ces forces nous aurons une chance, si non pour nous-mêmes au moins pour ceux qui suivront.
Tant que nous défions ces forces nous restons vivants, et pour l’instant, c’est la seule victoire possible.
Chris Hedge
Chris Hedges, est un journaliste gagnant du Prix Pulitzer pour le New York Times. Il est l’auteur de plusieurs livres dont des best-sellers « La guerre est une force qui nous donne un sens » et son dernier « Empire d’illusion: la fin de l’alphabétisation et le triomphe du spectacle ». Il est marié à l’actrice canadienne Eunice Wong. Ils ont un fils, Konrad, qui est aussi Canadien.
http://www.adbusters.org/article/chris-hedges-zero-point-of-systemic-collapse/
TRADUCTION : Galadriel pour les brinsdherbes
Vous pouvez copier ce texte à condition que soit mentionné explicitement le blog des brindherbes et l’auteur de la traduction. Merci.