Politique fiction : Le parasite qui va vous manger le cerveau
Un texte très drôle de l’analyste politique Dimitri Orlov dont nous publions régulièrement ici les analyses. Il y a toujours une pointe d’humour ou d’ironie dans ses textes, mais celui-ci est franchement amusant. Vous ne regretterez pas les quelques minutes de lecture que vous prendront cet article car sur le ton de l’humour, c’est une réflexion sensée.
Par Dmitry Orlov – Le 16 décembre 2016 – Source Club Orlov
J’ai eu des difficultés à commenter la situation politique actuelle aux États-Unis, parce que c’était un peu trop comique, alors que j’anime un blog très sérieux. Mais j’ai décidé de faire de mon mieux. Maintenant, je vais aborder des questions sérieuses, de sorte que si vous lisez ceci, s’il vous plaît, abstenez-vous de toute légèreté et allégresse.
Vous avez peut-être déjà entendu dire que les Russes ont volé les élections présidentielles américaines. S’ils ne l’avaient pas fait, Hillary Clinton aurait été élue présidente, mais en raison de leur ingérence, nous sommes maintenant coincés avec Donald Trump et ses 1001 oligarques dirigeant le gouvernement fédéral pour les quatre prochaines années.
Il y a deux façons d’aborder cette question. L’une consiste à prendre l’accusation de piratage russe des élections américaines à sa valeur nominale, et nous allons le faire. Mais essayons d’abord une autre manière, parce que c’est plus rapide. Considérons l’accusation elle-même comme le symptôme d’un trouble non apparenté. C’est souvent la meilleure façon d’avancer. Supposons qu’une personne entre dans le bureau d’un médecin et dise : « Docteur, je crois que j’ai été empoisonné au schizophrénium. » Le médecin devrait-il convoquer l’équipe chargée des produits dangereux ou vérifier d’abord s’il y a vraiment schizophrénie ?
Donc considérons tout d’abord que le refrain « C’est les Russes ! » que nous entendons est un symptôme d’autre chose, dont les Russes ne sont pas la cause. Mon hypothèse de travail est que ce comportement est causé par un parasite du cerveau. Oui, cela peut sembler bizarre au début, mais comme nous allons le voir plus tard, la théorie des Russes qui auraient volé l’élection n’est pas moins bizarre.
Les parasites du cerveau sont connus pour modifier le comportement des organismes qu’ils infestent de subtiles manières. Par exemple, le Toxoplasma gondii altère le comportement des rongeurs, leur faisant perdre leur peur naturelle des chats, jusqu’à être attirés par l’odeur de l’urine de ces derniers, ce qui rend la tâche des chats plus facile. Il modifie également le comportement des humains, les amenant à prodiguer une affection excessive aux chats, jusqu’à télécharger compulsivement des photos de mignons petits chatons jouant avec une pelote de laine.
Mon hypothèse est que ce parasite cérébral particulier a été spécifiquement bio-conçu par les États-Unis, pour rendre ceux qu’il infecte haineux envers la Russie. Je soupçonne que le déclencheur neurologique qu’il utilise est le visage de Poutine, que le parasite est en quelque sorte enchâssé dans le cortex visuel. Ce virus a d’abord été déclenché sur les Ukrainiens sans méfiance, où son effet a été vu très clairement. Cette région historiquement russe, majoritairement russophone, culturellement russe et religieusement russe orthodoxe a soudainement vu éclater une épidémie de russophobie. L’Ukraine a coupé les liens économiques avec la Russie, entraînant une baisse de son économie, et a commencé une guerre avec ses régions orientales, qui faisaient tout récemment partie de la Russie et souhaitent de nouveau faire partie de la Russie.
Jusqu’à présent ça marche parfaitement : les bio-ingénieurs américains qui ont créé ce virus ont obtenu l’effet qu’ils voulaient, transformant une région russe en une région antirusse. Mais comme cela arrive souvent avec les agents biologiques, il s’est avéré difficile de le garder sous contrôle. Ses victimes suivantes se sont révélées être l’OTAN et le Pentagone, dont la direction a commencé à prononcer de façon compulsive l’expression « agression russe » d’une manière suggérant le syndrome de La Tourette, entièrement indifférente à l’absence totale de preuves d’une telle agression pouvant être présentées pour une analyse objective. Eux, ainsi que les Ukrainiens, ont continué à bavarder sur l’ « invasion russe », agitant des images de tanks russes vieilles de plusieurs décennies, qu’ils ont téléchargées des comptes de leurs amis sur Facebook.
De là, le parasite cérébral s’est propagé à la Maison Blanche, à la campagne présidentielle de Clinton, au Comité national démocrate et à son équipe de presse, qui parlent de « piratage russe ». Aucune preuve tangible d’un tel « piratage russe » n’est venu étoffer ce brouhaha festif.
Ceci, pour moi, semble être l’explication la plus simple, qui correspond aux faits. Mais pour être juste et équilibré, examinons également l’autre perspective : que les revendications de « piratage russe » devraient être prises à leur valeur nominale. La première difficulté que nous rencontrons est de comprendre que ce qui est appelé « piratage russe » n’est pas du piratage mais des fuites. Des piratages se produisent lorsque des parties non autorisées entrent sur un serveur et volent des données. Les fuites se produisent lorsqu’un initié – un « lanceur d’alerte » – viole les règles du secret et/ou de la confidentialité, pour libérer dans le domaine public des preuves d’actes répréhensibles. Dans ce cas, les preuves de fuite sont prima facie : les données en question attestaient-elles d’actes répréhensibles ? Oui. Ont-t-elles été rendues publiques ? Oui. L’identité de ce/ces lanceur(s) d’alerte est-elle restée secrète ? Oui, avec raison.
Mais cela n’exclut pas le piratage, car ce qu’un lanceur d’alerte peut faire, un pirate peut aussi le faire, bien que plus difficilement. Pratiquer des fuites est facile : vous voyez des preuves d’actes répréhensibles, vous en prenez ombrage, vous les copiez sur une clé USB, vous la passez en contrebande hors des locaux, et vous la téléchargez sur Wikileaks grâce au hotspot wifi public d’un vieux portable que vous avez acheté d’occase puis que vous jetez. Mais qu’est-ce qu’un pauvre hacker peut faire ? Vous devez pirater serveur après serveur, en courant le risque de vous faire attraper à chaque fois, seulement pour constater que les serveurs contiennent des minutes de réunions publiques, d’anciens communiqués de presse, des sauvegardes de sites Web publics et – preuve incriminante ! – une série de photos de chatons jouant avec une pelote de laine, téléchargées par une secrétaire contaminée par Toxoplasma gondii.
La solution, bien sûr, est de créer quelque chose qui vaut d’être piraté, ou fuité, mais c’est un problème beaucoup plus difficile. Ce que les Russes auraient dû faire, alors, c’était de s’attaquer à la fidèle Hillary Clinton qui lave-plus-blanc, si digne de confiance avec son image immaculée, d’infiltrer la Fondation Clinton, la campagne présidentielle de Hillary et le Comité national démocratique, et de les manipuler pour leur faire faire des choses qui, une fois fuitées (ou piratées), retourneraient à coup sûr l’électorat contre Clinton. Oui Monsieur, Camarade Poutine !
Ces Russes pour sûr sont intelligents ! Ils ont réussi à transformer la DNC en une opération anti-Bernie Sanders, le privant de votes électoraux à travers une variété de pratiques sournoises, tout en appelant aux sentiments antisémites dans certaines parties du pays. Ils ont réussi à manipuler Donna Brazile en lui faisant remettre à Clinton les questions du débat présidentiel lors de la campagne. Ils ont même réussi à convaincre certains oligarques ukrainiens et princes saoudiens d’accorder des millions à la fondation Clinton en échange de certaines concessions futures en politique étrangère. La liste de ces subterfuges russes dignes de fuite croit sans cesse… Mais qui peut les arrêter ?
Aussi, les Russes ont clairement dû d’abord corrompre la Fondation Clinton, la campagne présidentielle Clinton et le Comité national démocratique, juste pour les rendre intéressants à pirater. Mais ici, nous avons un problème. Vous voyez, si vous pouvez pirater un serveur, donc tout le monde le peut. Supposons que vous laissez votre porte avant déverrouillée, se balançant dans la brise, et que longtemps après, des choses disparaissent. Bien sûr, vous pouvez blâmer le voisin que vous aimez le moins, mais alors pourquoi quelqu’un vous croirait-il ? N’importe qui aurait pu passer cette porte et prendre vos affaires. Il est donc difficile de faire autre chose que de jeter des accusations vaines contre la Russie en ce qui concerne le piratage. Mais le travail pour corrompre l’incorruptible Hillary Clinton est entièrement une autre affaire.
L’ultime réalisation de la Russie a été d’amener Hillary Clinton à se référer à plus de la moitié de son électorat comme à « un panier de déplorables », et ceci n’a pas été un mince exploit. Il faut une superpuissance pour orchestrer une bévue politique de cette ampleur. C’est ce qu’elle a fait devant un public LGBT à New York. Maintenant, Hillary n’est pas un perdreau de l’année quand il s’agit de politique nationale : elle a traversé quelques élections fédérales, et elle a assez d’expérience pour savoir que se mettre à dos plus de la moitié de son électorat d’un seul coup n’est pas une chose particulièrement intelligente à faire. De toute évidence, elle était en quelque sorte hypnotisée pour prononcer ces mots… sans doute par un opérateur russe hyper-intelligent et basé dans l’espace.
L’opération dissimulée de la Russie dans la subversion de la démocratie américaine a commencé avec les Russes envoyant un agent dans les régions jusqu’ici inexplorées de l’Amérique, pour voir à quoi elles ressemblent. Penché sur son bureau, Poutine a sorti une carte des États-Unis et d’un coup de crayon, il a légèrement ombragé une zone au sud de la ligne Mason-Dixon, à l’ouest de New York et de la Pennsylvanie, et à l’est des Rocheuses.
Laissez-moi être bien clair. J’ai des loyautés divisées. J’ai passé la plus grande partie de ma vie à faire le tour des élites transnationales de la côte Est, mais j’ai aussi passé quelques années à travailler pour une très grande entreprise d’équipement agricole du Midwest et une très grande imprimerie du Midwest. Je connais la culture et le terrain assez bien. Je suis sûr que ce que l’agent russe a rapporté, c’est que la terre est largement peuplée de blancs d’origine anglo-irlandaise, écossaise, allemande et slave, qu’ils sont machistes, que leurs femmes (car il s’agit d’une culture tout à fait masculine ) ont tendance à voter de la même manière que les hommes pour la paix des ménages, qu’ils n’aiment pas beaucoup les gens à la peau noire ou les homosexuels, et que beaucoup d’entre eux considèrent la côte Est et la Californie comme des antres d’iniquité et de corruption, sinon des modernes Sodome et Gomorrhe.
Et alors Vladimir Poutine a lu ce rapport, et a émis cet ordre : « Faites en sorte que Clinton leur crache à la gueule. » Et c’est ainsi : à son insu, en utilisant des moyens néfastes, Hillary a été programmée sous hypnose pour prononcer l’expression « Un panier de déplorables ». Un opérateur russe caché dans l’auditoire des militants LGBT a flashé un signe déclenchant le programme dans le cerveau surmené d’Hillary, et le reste c’est l’histoire. Si c’est ce qui s’est réellement passé, alors Poutine devrait être nommé officier des opérations spéciales de l’année, tandis que tous les autres « dirigeants mondiaux » devraient tranquillement se faufiler par l’entrée de service, s’asseoir par terre dans le jardin et manger de la merde, puis la vomir dans leurs mains et s’en frotter les yeux tout en pleurant. Comment peuvent-ils jamais espérer le battre ?
Ou nous pouvons revenir à ma théorie parasite du cerveau. Ne semble-t-elle pas beaucoup plus saine, maintenant ? Non seulement c’est beaucoup plus simple et plus crédible, mais elle a aussi certains mérites prédictifs, plus que celle du « piratage russe ». Vous voyez, quand du parasitisme est impliqué, il y a rarement un seul symptôme. Habituellement, il y a toute une grappe de symptômes. Et donc, juste pour des raisons de comparaison, regardons ce qui est arrivé à l’Ukraine depuis qu’elle a été infectée par le Parasite Cérébral Ukrainien, et comparons cela à ce qui se passe aux États-Unis maintenant que le parasite s’est répandu ici aussi.
1. L’Ukraine est gouvernée par un oligarque – Petro Porochenko, le « roi du chocolat » – avec une clique d’autres oligarques qui ont reçu des gouvernements régionaux et des ministères. Et maintenant, les États-Unis sont sur le point d’être gouvernés par un oligarque, Trump, le « roi du casino » – avec une clique d’autres oligarques, d’ExxonMobil à Goldman Sachs.
2. L’Ukraine a répudié ses accords commerciaux avec la Russie, faisant échouer son économie. Et maintenant Trump promet de repousser, et peut-être renégocier, une variété d’accords commerciaux. Pour un pays qui a connu d’énormes déficits commerciaux structurels depuis des décennies et qui les paie en émettant constamment des dettes, cela ne sera pas facile, ni sûr.
3. L’Ukraine a été soumise non pas à une, mais à deux révolutions de couleur, promues par nul autre que cet odieux oligarque George Soros. Les États-Unis sont maintenant confrontés à leur propre révolution de couleur – la révolution pourpre – payée par ce même Soros, dans le but de renverser les résultats de l’élection présidentielle et de faire dérailler l’intronisation de Donald Trump par une variété de stratagèmes de plus en plus désespérés, de manifestations, de récits de votes et de tentatives de manipulation du collège électoral.
4. Depuis quelques années, l’Ukraine est engluée dans une guerre civile sanglante et futile. À ce jour, les troupes ukrainiennes (avec le soutien de l’OTAN) lancent des missiles dans les districts civils de l’est du pays et sont décimées en retour. Jusqu’à présent, la victoire de Trump semble avoir apaisé les « déplorables », mais si la Révolution pourpre réussissait, les États-Unis pourraient également connaître une agitation sociale majeure, pouvant tourner à la guerre civile.
Le Parasite Cérébral Ukrainien a dévasté l’Ukraine. Il est maintenant allé trop loin pour qu’il y ait beaucoup de choses à faire à ce sujet. Les meilleures personnes ont quitté le pays, surtout pour la Russie, et tout ce qui reste est une coquille creuse et pourrie. Mais faut-il que cela finisse de cette façon pour les États-Unis ? J’espère que non !
Il y a, je crois, deux possibilités. L’une est de voir ceux qui poussent l’histoire du « piratage russe » ou de l’« agression russe » comme des adversaires politiques. Une autre est de les considérer comme des malades mentaux temporaires. Oui, leurs cerveaux sont infectés par le Parasite Cérébral Ukrainien, mais cela signifie simplement que leurs opinions doivent être ignorées – jusqu’à ce qu’ils se sentent mieux. Et puisque ce parasite particulier du cerveau influence spécifiquement le comportement social, si nous refusons de récompenser ce comportement par un renforcement positif – en le reconnaissant – nous supprimerons ses symptômes les plus débilitants, forçant finalement le parasite à évoluer vers une forme plus bénigne. Comme pour de nombreuses maladies infectieuses, la lutte contre ces maladies commence par une meilleure hygiène – dans ce cas, l’hygiène mentale. Et voici ma prescription : quand vous voyez des gens parler de « piratage russe » ou d’« agression russe », soyez miséricordieux et charitable envers eux en tant qu’individus, parce qu’ils sont temporairement handicapés mais ne reconnaissent pas leur folie, et essayez plutôt de les inciter à apprendre à la contrôler.
Dmitry Orlov
Traduit par Hervé, vérifié par Wayan, relu par nadine pour le Saker Francophone
VIA : Agoravox