Culture et traditions : Noël en Provence
Je vous l’avoue, je craque un peu à parcourir les infos de médias en médias, de blogs en blog. Ça m’arrive de temps en temps, j’atteins le niveau d’alerte proche du débordement… De plus, c’est Noël pour moi aussi, et cette année il est un peu plus agité que les précédents.. Donc, je me suis dit que pour sortir des attentats, des élections, des impots, des pizza-gate, des Trumperies, des Poutineries et arrêter un peu de surfer sur l’océan des analyses et déclarations sur Alep, nous allions nous prendre une bolée d’air qui sent bon les épices et le feu de bois avec un indéfinissable parfum de suranné.
Voici le récit d’un Noël Provencal traditionnel.
Tout commence le 4 Décembre, jour de la Ste Barbe, c’est le départ de la période dite « Calendale » qui ne s’achèvera qu’à la Chandeleur le 2 février. Entre ces deux dates, c’est une succession de traditions, de fêtes, de rites et de coutumes qui sont plus ou moins suivies selon les villages, selon les familles.
Le 4 décembre, il faut faire germer des graines de blé dans trois soucoupes couvertes de coton humide. (Les petits sachets de graines de blé sont vendus dans presque toutes les boulangeries au profit d’œuvres caritatives). Si les tiges poussent droites et vertes, l’année sera prospère. Ces petits champs miniatures prendront place ensuite dans la crèche familiale,
La Crèche et les santons :
Pour préparer la crèche, de nombreuses foires aux santons s’organisent dans toute la Provence dès mi Novembre. Le vrai santon du provençal « Santoun » (petit saint) est en argile, il est crée artisanalement à la main et avec amour. Les santons doivent ensuite prendre figure humaine, une allure, un caractère et même un rang social…
Ils représentent les habitants du village se rendant à la crèche : joueurs de pétanque, marchands de poisson, docteurs, boulangers, bergers … La crèche authentique est en fait une représentation idéale du village provençal et de son petit monde. Cette tradition est présente dans chaque département de la Provence mais plus forte dans les Bouches du Rhône. Il existe une centaine d’ateliers entre Marseille, Aubagne, Aix en Provence, Arles.
Le gros souper et les 13 desserts
Le gros souper est servi le soir de Noël, avant de se rendre à la messe de minuit. Rien n’est laissé au hasard, il y a une symbolique derrière chaque plat et les chiffres sont importants : La table est couverte de 3 nappes blanches – 3 pour les 3 personnes de la Trinité – avec 3 chandeliers blancs allumés et 3 soucoupes de blé germé de la Ste Barbe. Surtout pas de gui réputé porte-malheur…!
Le gros souper est paradoxalement composé de 7 plats maigres en souvenir des 7 douleurs de Marie, il est servi avec 13 petits pains suivi des 13 desserts représentant la Cène avec les 12 apôtres et Jésus.
Les plats maigres servis diffèrent d’un coin de Provence à l’autre, on retrouve souvent la carde et le céleri, le choux-fleurs, les épinards et la morue, l’omelette, les escargots, la soupe à l’ail … mais jamais de viande uniquement des poissons, des coquillages, des gratins, des légumes, des soupes, de l’anchoïade. La seule abondance est celle des treize desserts.
Les treize desserts sont dégustés au retour de la messe, ils resteront sur la table pendant les 3 jours suivant, jusqu’au 27 Décembre :
les 4 mendiants : figues sèches (Franciscains), amandes (Carmélite), raisins secs (Dominicains) et noix (Augustins),
les dattes : symbole du Christ venu de l’Orient,
les nougats (le noir et le blanc) pour le pénitent blanc et le pénitent noir selon certains, pour d’autres le nougat blanc, doux et onctueux représente la pureté et le bien, le nougat noir plus dur et cassant évoque l’impur et les forces du mal…
la fougasse à l’huile d’olive (la pompe) : galette ronde aplatie à l’huile d’olive,
la pâte de coing ou fruits confits dans la région d’Apt ou de Carpentras,les oreillettes (petite gaufre légère et fine),
les fruits frais : mandarines, oranges, poires, raisins et melons d’hiver conservés pour cette occasion.
La messe de minuit
Partout vous entendrez des chants de Noël provençaux, pour célébrer ce moment sacré certains seront accompagnés de flûtes et tambourinaires. Dans quelques villages, la messe pourra être en provençal. La messe peut être composée d’une crèche vivante où les personnages de la crèche sont représentés par les habitants du village costumés : la Sainte famille (Jésus, Marie, Joseph), les Rois Mages et les bergers.
Vous pourrez aussi assister dans certains village au rituel de la cérémonie du Pastrage pendant la messe de minuit : un agneau nouveau né est apporté en offrande (il est vivant et on ne lui fait aucun mal) soit dans une charrette décorée, garnie de paille et feuillages soit dans les bras des bergers qui sont venus à l’église en procession après avoir traversé les collines. Certaines messes de minuit avec pastrages sont très connues et attire beaucoup de monde, en particulier Allauch, St Rémy de Provence, Tarascon et St Michel de Frigolet, Barbentane, Fontvieille, Rognonas.
Une pastorale peut accompagner la messe : c’est une représentation de la Nativité théâtralisée, chantée et parlée en provençal par des personnages costumés en habits provençaux. La Pastorale la plus répandue est la Pastorale Maurel mais il en existe 250 versions différentes qui racontent des histoires de village et de traditions de Noël.
Ces traditions se perpétuent de générations en générations et se vivent en communauté : les pastorales, les veillées calandales avec le gros souper et les treize desserts sont organisés en groupe, au moulin, ou à la salle des fêtes, ou même à l’église…, quelques fois avant le 24 Décembre pour permettre à chacun de fêter Noël en famille plus classiquement comme partout ailleurs en France avec foie gras, dinde aux marrons, bûche au chocolat.
Bûche de Noël en Provence
Les Provençaux apportaient au foyer le joyeux cariguié, ou vieux tronc d’olivier choisi pour brûler toute la nuit; ils s’avançaient solennellement en chantant les paroles suivantes : Caclio fio. Cache le feu (ancien).
Bouto fio. Allume le feu (nouveau).
Dieou nous allègre. Dieu nous comble d’allégresse !
Le plus ancien de la famille arrosait alors ce bois, soit de lait, soit de miel, en souvenir de l’Eden, dont l’avènement de Jésus est venu réparer la perte, soit de vin, en souvenir de la vigne cultivée par Noé, lors de la première rénovation du monde. Le plus jeune enfant de la maison prononçait, à genoux, ces paroles que son père lui avait apprises :
» O feu, réchauffe pendant l’hiver les pieds frileux des petits orphelins et des vieillards infirmes, répands ta clarté et ta chaleur chez les pauvres et ne dévore jamais l’étable du laboureur ni le bateau du marin. «
Cette scène si touchante de la bûche de Noël occupe toute une salle du musée d’Arles ; en voici la description :
Neuf mannequins de grandeur naturelle sont groupés autour de la cheminée dans laquelle flambe la bûche de Noël. La première personne de gauche est l’aïeul, en costume du dix-huitième siècle. Il arrose, il bénit la bûche avec, du vin cuit et prononce les paroles sacramentelles. Cette formule renferme tout à la fois une prière et d’heureux souhaits pour toute la famille, debout devant la table chargée des plats réglementaires.
Alègre ! Alègre ! Dieu nous alègre.
Calendo ven, tout ben ven
E se noun sian pas mai, que noun fuguen men !
Dieu vous fague la graci de veire l’an que ven.
Dieu nous tienne en joie ; Noël arrive, tout bien arrive ! Que Dieu nous fasse la grâce de voir l’année prochaine, et si nous ne sommes pas plus nombreux, que nous ne soyons pas moins ! «
En face, assise, l’aïeule file sa quenouille. Derrière elle, le fermier, aîné des garçons, dit lou Pelot, s’appuie sur la cheminée, ayant sa femme vis-à-vis. A coté du Pelot, sa jeune sœur, souriante et rêveuse ; elle s’entretient avec lou rafi (valet de ferme). Près de la table, à gauche, l’aînée des filles prépare le repas, tandis qu’au fond le guardian, armé de son trident, et le berger avec son chien, se préparent à assister au festin familial. Une jeune enfant écoute religieusement la bénédiction du grand-père (benedicioun d’ou cacho-fio) (Le Museon Arlaten, par Jeanne de Flandreysy).
Mistral, quand il fut nommé membre de l’Académie marseillaise, en cette langue provençale si colorée, qu’il parle si bien, nous a donné, dans son discours, un tableau pittoresque de cette scène ravissante de la bûche de Noël :
» Au bon vieux temps, la veille de Noël, après le grand repas de la famille assemblée, quand la braise bénite de la bûche traditionnelle, la bûche d’olivier blanchissait sous les cendres et que l’aïeul vidait, à l’attablée, le dernier verre de vin cuit, tout à coup, de la rue déjà dans l’ombre et déserte, on entendit monter une voix angélique, chantant par là-bas, au loin dans la nuit. «
Et le poète nous conte alors une légende charmante, celle de la Bonne Dame de Noël qui s’en va dans les rues, chantant les Noëls de Saboly à la gloire de Dieu, suivie par tout un cortège de pauvres gens, miséreux des champs et des villes, gueux de campagne, etc., accourus dans la cité en fête.
» Et vite alors, tandis que la bûche s’éteignait peu à peu, lançant ses dernières étincelles, les braves gens rassemblés pour réveillonner ouvraient leurs fenêtres, et la noble chanteuse leur disait : » Braves gens, le bon Dieu est né, n’oubliez pas les pauvres ! « Tous descendaient alors avec des corbeilles de gâteaux, et de nougats – car on aime fort le nougat dans le Midi – et ils donnaient aux pauvres le reste du festin « .
Comment résister au désir que nous avons depuis longtemps de publier la bûche de Noël de Frédéric Mistral qui a bien voulu correspondre avec nous et nous donner des renseignements si intéressants sur les coutumes de Noël.
Cette description si gracieuse, si poétique, faisait primitivement partie du poème de Mireille : l’auteur a cru devoir la supprimer pour éviter les longueurs. (Il faut être bien puissant et bien sûr de soi pour négliger un tel tableau ou le reléguer dans les bas côtés de son œuvre.
Lisons, relisons la traduction de ces beaux vers. Quelle naïveté ! Quelle beauté simple et pieuse ! Quelle rusticité pleine de saveur! De plus, quelle noblesse fière ! Oui, c’est ainsi que doit être sauvée Pâme d’un peuple et maintenue la haute tradition d’un pays. Chaque stance est soutenue par un souffle divin (X***)).
» Ah ! Noël, Noël, où est ta douce paix ? Où sont les visages riants des petits enfants et des jeunes filles ? Où est la main calleuse et agitée du vieillard qui fait la croix sur le saint repas ?
» Alors le valet qui laboure quitte le sillon de bonne heure, et servantes et bergers décampent, diligents. Le corps échappé au dur travail, ils vont à leur maisonnette de pisé, avec leurs parents, manger un cœur de céleri et poser gaiement la bûche au feu avec leurs parents.
Du four, sur la table de peuplier, déjà le pain de Noël arrive, orné de petits houx, festonné d’enjolivures. Déjà s’allument trois chandelles neuves, claires, sacrées, et dans trois blanches écuelles germe le blé nouveau, prémisse des moissons.
Un noir et grand poirier sauvage chancelait de vieillesse. L’aîné de la maison vient, le coupe par le pied, à grands coups de cognée, l’ébranlé et, le chargeant sur l’épaule, près de la table de Noël, il vient aux pieds de son aïeul le déposer respectueusement.
Le vénérable aïeul d’aucune manière ne veut renoncer à ses vieilles modes. 11 a retroussé le devant de son ample chapeau, et va, en se hâtant, chercher la bouteille. H a rois sa longue camisole de cadis blanc, et sa ceinture, et ses braies nuptiales, et ses .guêtres de peau.
Cependant, toute la famille autour de lui joyeusement s’agite… – » Eh bien? Posons-nous la bûche, enfants ? – » Allégresse ! Oui « . Promptement, tous lui répondent : » Allégresse. » – Le vieillard s’écrie : » Allégresse ! Que notre Seigneur nous emplisse d’allégresse ! Et si une autre année nous ne sommes pas plus, mon Dieu, ne soyons pas moins ! «
Et, remplissant le verre de clairette devant la troupe souriante, il en verse trois fois sur l’arbre fruitier. Le plus jeune prend l’arbre d’un côté, le vieillard de l’autre, et sœurs et frères, entre les deux, ils lui font faire ensuite trois fois le tour des lumières et le tour de la maison.
Et dans sa joie, le bon aïeul élève en l’air le gobelet de verre : » 0 feu, dit-il, feu sacré, fais que nous ayons du beau temps ! «
Bûche bénie, allume le feu ! Aussitôt, prenant le tronc dans leurs mains brunes, ils le jettent entier dans l’âtre vaste. Vous verriez alors gâteaux à l’huile et escargots dans l’aïoli heurter dans ce beau festin vin cuit, nougat d’amandes et fruits de la vigne.
D’une vertu fatidique vous verriez luire les trois chandelles, vous verriez des esprits jaillir du feu touffu, du lumignon vous verriez pencher la branche vers celui qui manquera au banquet, vous verriez la nappe rester blanche sous un charbon ardent et les chats rester muets !
Transmis par notre provençale Graine de Piaf
Image à la Une ; Mas des contes de Provence