Témoignage : J’ai secouru des migrants

je risque 6 mois de prison avec sursis pour un geste humain

Ces damnés de la terre,  on en veut bien, mais en cage, ou chez nous, mais seulement si le gouvernement le décide. (Je pense qu’on est pas loin de la rfid comme pour le bétail).

Se conduire en humain et tendre la main à des malheureux parce qu’on est ému par leur détresse ? Pas question pour la justice si c’est des migrants. Eux, parce qu’ils n’ont pas de papiers, ils peuvent crever de froid et de faim dans un fossé. Passez votre chemin.

Voici le récit simple et émouvant de cet homme ordinaire qui a suivi son coeur et risque de  le payer toute sa vie avec un casier.

Vous voyez, le monde est rempli de gens biens.

 

Pierre-Alain Mannoni, 45 ans, père de deux enfants, ne comprend pas ce qui lui arrive. Ce Niçois est poursuivi en justice pour avoir secouru des réfugiées. Le 17 octobre 2016, il est venu en aide trois Érythréennes blessées dans la vallée de la Roya. Son procès s’est tenu le 23 novembre, le parquet a requis à son encontre une peine de six mois de prison avec sursis. Il attend le jugement.

Édité et parrainé par Louise Auvitu

J’ai 45 ans et je suis père de deux enfants. Bien que je vive aujourd’hui à Nice, mes racines sont corses. Tous les étés, je passais mes grandes vacances sur l’île de beauté à Pero-Cassavecchie, le village de mon grand-père. Je n’ai pas eu la chance de le connaître, il est mort avant ma naissance, mais j’ai été bercé par les histoires que ma famille et les gens du village me racontaient.

Il était médecin du canton et faisait ses visites à cheval. Mon grand-père avait le cœur sur la main. Bandits ou paysans, jamais il n’a laissé sur le bord de la route une personne qui avait besoin d’aide. J’étais fier de lui.

Ce sens de l’accueil et de l’hospitalité, il me l’a indirectement transmis.

Je veux que mes enfants réalisent que ce sont des privilégiés

Je ne fais partie d’aucune association, mais depuis l’été 2015, je me suis rendu à plusieurs reprises à Vintimille en Italie, à quelques kilomètres de la frontière.

J’ai la garde partagée de mes deux enfants, de 12 et 14 ans, et il m’arrive d’y aller en leur compagnie. Ensemble, nous nous rendons dans le camp de fortune qui accueille des centaines de migrants. Nous y apportons des chaussures, des sacs, des vêtements. Bref, tout ce qui peut leur venir en aide.

Sur le camp, nous discutons toujours avec des réfugiés. Certains ont vécu des situations terribles, peu en parlent, mais ils sont toujours souriants. Ils semblent ravis de notre présence. Là-bas, j’ai le sentiment que nous sommes utiles.

Cette démarche, je tiens à la partager avec mes enfants pour qu’ils prennent conscience que la vie n’est pas toujours rose. Fonctionnaire et enseignant, je ne suis peut-être pas le mieux loti de France, mais je veux que mes enfants réalisent à quel point nous avons une vie de privilégiés. Sortir du Nice bling-bling et voir ce qui s’y passe à quelques kilomètres seulement me paraît essentiel.

Je ne pouvais pas laisser des migrants sur le bord de la route

Avec mes enfants, nous avons nos petites habitudes et ils nous arrive régulièrement de nous rendre dans la vallée de la Roya.

Dimanche 16 octobre, alors que je me rendais à la fête de la brebis à la Brigue accompagné de ma fille, j’ai croisé sur le bord de la route quatre personnes qui marchaient en direction de l’Italie et de la neige. Dans la vallée de la Roya, il est assez fréquent de croiser des migrants égarés.

Je ne me suis pas posé de questions, et je me suis immédiatement arrêté. Pour moi, ça ne faisait aucun doute, ils étaient perdus. Même si je ne les connaissais pas, je savais que j’étais en mesure de leur filer un coup de main. Comme mon grand-père, je ne pouvais pas laisser quelqu’un sur le bord de la route.

En bermudas, dans le froid, ils avaient besoin de mon aide

En sortant de ma voiture, j’ai été happé par la jeunesse de ces quatre hommes, tous venaient du Soudan. Épuisés, en bermudas, avec pour seul bagage un sac à dos, ils étaient surpris que je m’arrête. L’un d’entre eux parlait anglais et m’a expliqué qu’ils étaient en route pour Cannes, soit à l’opposé de leur direction !

Cela faisait 15 heures qu’ils marchaient, ils avaient suivi la voie de chemin de fer, avant de gravir la montagne. Leur but : atteindre Cannes pour monter dans un train et rejoindre Marseille.

Soit je les abandonnais, soit je les aidais. Je ne pouvais pas les laisser dans cette situation, alors je leur ai proposé de les récupérer sur le chemin du retour. Je n’en ai parlé à personne pour la simple et bonne raison que je sais que certains des mes amis ont déjà été confrontés à ce genre de situation. J’avais accepté de les aider, c’était à moi d’assumer.

Après avoir déjeuné chez des amis, je suis donc redescendu et je les ai retrouvés là où je les avais laissés.

Ils sont venus chez moi. Que du bonheur !

Tous les quatre sont montés dans la voiture. Ma fille était devant avec moi, eux derrière. À aucun moment, ils ne m’ont demandé de l’aide. C’est moi qui ai pris l’initiative de les secourir.

Sur le chemin, j’ai vite réalisé qu’ils ne pourraient pas prendre leur train. Ils l’avaient loupé et allaient devoir attendre le lendemain. C’est pourquoi je leur ai proposé de les héberger chez moi.

Ce dimanche soir ne ressemblait à aucun autre : quatre réfugiés se sont lavés, ont mangé et dormi chez moi.

Ils n’étaient pas très loquaces sur les côtés sombres de leurs histoires, et je ne me voyais pas leur tirer les vers du nez pour connaître leur vie. En revanche, nous avons beaucoup parlé de leurs familles et de l’avenir. L’un d’entre eux a simplement soulevé son t-shirt pour me montrer qu’il avait été touché par des balles. Je n’ai pas posé plus de questions. En revanche, ils étaient adorables, notamment avec ma fille qui a appris à écrire son nom en soudanais. En un soir, nous sommes devenus amis.

Le lundi matin, nous avons ensemble déposé ma fille à l’école dans ma petite Saxo. Puis, je les ai déposés dans une gare environnante de Nice, moins surveillée par la police. Je leur ai payé une partie du billet pour qu’ils rejoignent leur famille à Marseille.

Plus tard dans la journée, ils m’ont téléphoné pour me dire qu’ils étaient bien arrivés. Ils m’ont remercié du fond du cœur. J’étais gêné, mais fier d’avoir pu les aider. C’était que du bonheur.

Des Érythréennes blessées et apeurées

Le soir même, j’étais une nouvelle fois invité chez un ami habitant la vallée de la Roya. Sur le chemin du retour, j’ai décidé de m’arrêter dans ce camp pour migrants à Saint-Dalmas de Tende, un bâtiment désaffecté pour colonies de vacances de la SNCF. Il avait été ouvert en urgence quelques heures plus tôt, sans autorisation, par un collectif d’associations dont la Ligue des Droits de l’homme et Amnesty international. La préfecture et la mairie avaient été mises au courant.

À 1 heure du matin, quand je me suis approché, j’ai rencontré une dizaine de bénévoles qui m’ont exposé qu’ils hébergeaient une soixantaine de réfugiés, mais dans des conditions difficiles. Il y faisait froid, et il n’y avait ni électricité ni eau. Un bénévole m’a demandé :

« Tu ne voudrais pas en amener quelques-uns avec toi ? »

Au début, j’ai cherché une excuse, mais quand j’ai vu les trois jeunes femmes juste en face de moi, j’ai ravalé mes réticences. Elles étaient jeunes, apeurées et blessées. Elles ne parlaient ni français ni anglais. L’une d’entre elles avait une vilaine blessure à la main, une autre boitait.

J’étais à nouveau face à un choix, personne ne me mettait la pression, et j’ai décidé une nouvelle fois de leur venir en aide. Je devais les amener vers un autre local d’une association. Elles seraient alors prises en charge.

J’ai été arrêté au péage

L’une des jeunes femmes était davantage blessée que je ne me l’imaginais. Nous avons mis 15 minutes pour parcourir les 100 mètres qui nous séparaient de ma voiture. En rentrant dans l’habitacle, j’ai réalisé qu’elles n’avaient jamais mis une ceinture de sécurité de leur vie.

Toutes les trois étaient érythréennes. Les sourires étaient un peu forcés, je voyais dans leurs regards qu’elles avaient peur, alors j’ai essayé de les mettre en confiance. En silence, j’ai démarré la voiture pour aller en direction de Nice. Nous n’y sommes jamais arrivés.

Au péage de la Turbie, aux alentours de 3 heures du matin, j’ai été arrêté par un gendarme. Il m’a demandé mes papiers, puis les leurs. Tout de suite, je lui ai expliqué la situation : je conduisais ces jeunes femmes pour qu’elles puissent se rendre à Marseille où des médecins les attendaient pour les soigner.

Le gendarme a passé des coups de fil, j’ai essayé de négocier, mais la situation semblait bloquée. Puis, il m’a dit : « C’est l’officier de la police judiciaire qui décidera. C’est une femme. »

J’ai compris que j’allais devoir réexpliquer la situation, je restais confiant, persuadé que j’allais pouvoir les aider à être soignées.

36 heures de gardes à vue : j’ai tout dit, je n’avais rien à cacher

Moi et les trois jeunes femmes avons été invités à prendre place dans un camion. Arrivé à la caserne, un agent de la police de l’air et des frontières m’a passé les menottes et m’a signifié ma garde à vue. J’ai alors réalisé que la situation m’échappait.

Les trois jeunes femmes ont été menées dans un autre lieu sans que j’aie le temps de leur dire au revoir ou de les rassurer. J’avais le sentiment de ne pas avoir pu les protéger.

J’ai été placé en garde à vue pendant 36 heures. Je savais que les cellules n’étaient pas du grand luxe, mais j’ai été immédiatement happé par l’odeur infecte qui s’en dégageait. C’était cauchemardesque. Une perquisition a été menée chez moi en ma présence. Les policiers y ont trouvé les sacs de couchage des quatre Soudanais que j’avais aidé la veille.

Empreintes, photos, je suis passé par toutes les étapes. Lors de ma déposition, j’ai déballé toute ce que je venais de vivre. Pourquoi le taire ? Je n’avais rien à cacher.

Un procès et beaucoup de soutiens

Le mercredi, je suis passé en audience avec un avocat commis d’office qui a réclamé un renvoi pour préparer ma défense. J’ai été libéré sous contrôle judiciaire. En attendant, ma voiture a été saisie, tout comme mon téléphone. Je n’ai pas le droit de quitter Nice sauf pour emmener mes enfants à l’école.

Je comparaissais pour « aide à l’entrée, au séjour et à la circulation d’étrangers en situation irrégulière ». Mon procès s’est tenu le 23 novembre dernier, le jugement sera rendu le 6 janvier.

J’ai reçu énormément de messages de soutien à la fois de politiques, comme Cécile Dufflot, voire aussi de policiers. Une pétition a été lancée et a déjà récolté 66.000 signataires.

Cet élan de solidarité me touche énormément.

Mon geste n’était ni politique, ni militant, il était simplement humain

Je ne suis pas en mesure de parler de mon procès. Tout ce que je peux en dire, c’est que j’ai eu le sentiment d’avoir été entendu. Le procureur de la République a requis six mois de prison avec sursis. J’ai confiance en la justice.

Mon geste n’était ni politique, ni militant, il était simplement humain. Ce que j’ai fait était en accord avec mon éducation, avec les valeurs que l’on m’a inculquées. J’ai écouté mon cœur. Des gens avaient besoin de mon aide, je les ai aidés. C’est aussi simple que ça.

Propos recueillis par Louise Auvitu

http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1630902-j-ai-secouru-des-migrants-je-risque-6-mois-de-prison-avec-sursis-pour-un-geste-humain.html

Image à la Une : Le Figaro

Commentaires sont clos