La lente (et difficile) marche vers un traité contre les crimes des multinationales

Lente et difficile en effet. Imaginez comme ce serait jouissif de pouvoir cadrer la toute puissance cynique de ces multinationales criminelles et quasiment toujours impunies ou si peu.  Des petits pays, Equateur en tête,  ont courageusement déposé un projet de traité contraignant les multinationales à  respecter les droits de l’homme et assumer leurs méfaits.. Bien entendu ça bloque.. Et qui bloque ? Les Pays du Nord qui abritent  85% des sièges des multinationales.  C’est pas gagné.

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Mettre fin à l’impunité des multinationales : c’est l’objectif du groupe de travail intergouvernemental sur les sociétés transnationales et les droits de l’homme, qui s’est réuni depuis le 24 octobre et jusqu’à ce soir 28, à Genève (Suisse). Ce travail doit conduire à un « instrument international juridiquement contraignant » obligeant les multinationales à agir de manière responsable et à assumer les conséquences de leurs actions.

Cette démarche est née de la mobilisation de quelque 600 organisations de la société civile, parmi lesquelles Action Aid, les Amis de la Terre, le CCFD-Terre solidaire et l’Aitec, formant une « Alliance pour un traité ». Elles ont convaincu l’Equateur et l’Afrique du Sud de présenter une résolution pour un texte contraignant sur les multinationales au Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Cette proposition a été adoptée le 27 juin 2014 par 20 voix contre 14 (et 13 abstentions).

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Le Palais des nations, à Genève.

La première session, du 6 au 10 juillet 2015, et la réunion actuelle forment un premier cycle de réflexion et de discussions. « Les Etats interrogent des panels d’experts, puis prennent la parole et enfin examinent les contributions de la société civile », explique Marion Cadier, de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH). Ce n’est qu’en 2017 que le groupe entrera dans le vif des négociations, avec l’examen d’un premier brouillon de traité rédigé par l’Equateur.

Face à Bhopal et Rana Plaza, des juridictions impuissantes

Pourquoi élaborer un nouveau texte ? L’explosion de l’usine chimique Bhopal (Inde) en 1984, qui a causé environ 20.000 morts, et l’effondrement des ateliers de confection textile du Rana Plaza (Bangladesh) en 2013, qui a provoqué 1.135 décès, ont prouvé que les juridictions nationales se montrent souvent impuissantes face aux catastrophes industrielles et que les victimes peinent à obtenir réparation.

« Trois questions se posent, récapitule Jérôme Chaplier, de l’European coalition for corporate justice. Quelle obligation de transparence pour les entreprises ? Quelle responsabilité juridique des entreprises ? Quel accès à la justice pour les victimes ? En effet, comment des victimes vietnamiennes, par exemple, pourraient-elles poursuivre une entreprise française s’il leur est impossible de déposer un recours collectif ? »

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Le Rana Plaza, immeuble de huit étages, s’est effondré le 24 avril 2013, à Dacca,au Bangladesh. Plus de 1.120 morts sont retrouvés dans les décombres.

Or, les multinationales sont devenues expertes dans l’art de se faufiler dans les failles, dénonce Carole Peychaud, du CCFD-Terre solidaire : « Au niveau international, on parle d’architecture de l’impunité car une multinationale peut choisir ses implantations en fonction des législations qui l’arrangent le plus. Le droit, dénaturé, est devenu un avantage compétitif. »

Des principes volontaires plutôt que du droit contraignant

Dans les années 1970, l’ONU s’était fixé comme priorité d’élaborer un code de conduite international pour les multinationales. En 1976 furent adoptées les Lignes directrices pour les entreprises transnationales de l’OCDE. Mais, en 2000, le Pacte mondial de l’ONU, qui invitait les entreprises à adopter une attitude socialement responsable, « a cassé la logique d’un droit international contraignant au profit de principes volontaires, limités, et qui ne fonctionnent pas concrètement », accuse Mme Peychaud. Les Principes directeurs de l’ONU relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, adoptés en 2011, ne sont guère plus contraignants.

Aujourd’hui, les pays du Sud demandent des règles plus sévères. L’Equateur, chef d’orchestre des négociations, a été marqué par l’attitude de Texaco, filiale de la multinationale américaine Chevron, qui a déversé des millions de tonnes de déchets toxiques dans l’environnement entre 1964 et 1990. « La justice équatorienne a condamné Chevron mais les victimes attendent toujours réparation », dit Mme Peychaud.

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Pollution à Lago Agrio, la région équatorienne où Chevron-Texaco exploitait ses puits de pétrole.

Au Pérou, Walter Vargas, de l’Aprodeh, vient en aide aux communautés affectées par les investissements dans le secteur extractiviste. « La fonderie Doe Run Pérou a gravement pollué la ville de La Oroya. On a retrouvé des traces de plomb dans le sang des habitants », raconte-t-il. Le gouvernement péruvien a exigé de l’entreprise américaine qu’elle dépollue le site. Résultat, « Doe Run Pérou a saisi un tribunal arbitral privé en 2012 au motif que le Pérou ne respectait pas le traité de libre-échange signé avec les Etats-Unis, dont les clauses prévoient la primauté de la protection des investissements sur les droits humains ». L’arbitrage est toujours en cours, mais M. Vargas est pessimiste. Pour lui, « ce processus d’élaboration d’un traité doit réaffirmer que les Etats donnent la priorité aux droits humains de la population, y compris dans un contexte d’accord commercial, et que les multinationales ne peuvent pas échapper aux sanctions ».

Les pays du Nord, où siègent 85 % des multinationales, font de l’obstruction

SUITE ET FIN DE L’ARTICLE ICI :

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Source : Émilie Massemin pour Reporterre

Dessin : © Red !/Reporterre

Photos :
. Palais des nations : © Émilie Massemin/Reporterre
. Rana Plaza : Wikipedia (rijans — Flickr/CC BYSA 2.0)
. Texaco : Wikipedia (Julien Gomba/CC BY 2.0)
. Bhopal : Wikipedia (Obi from ROMA ,LONDON/CC BY 2.0)

IMAGE A LA UNE : La douleur d’une mère après le drame du Rhana Plaza