Deutsche Bank : « Aller coûte que coûte au bout du système »
A lire ce très intéressant commentaire sur le secours américain à la Deutsche Bank. Une analyse de société vue sous l’angle de l’économie de marché et ses magouilles. (Accessible même aux non-initiés)
DB: Le règlement-cadeau à 5,4 milliards?
Deutsche Bank. Annonce anonyme d’un accord avec le DoJ au meilleur moment, un vendredi, dans un marché sur-vendu et attaqué par les «shorts».
Bruno Bertez
L’AFP de source inconnue, mais autorisée a fait savoir que Deutsche Bank pourrait bénéficier de la clémence du DoJ américain pour son rôle scandaleux dans la crise des Mortgage Backed Securities (MBS). Nous sommes revenus au temps de Tim Geithner, lequel professait que malgré la morale et les exigences citoyennes, il ne fallait pas être trop sévère avec les banques parce que leur chantage à la catastrophe systémique, à la révulsion générale était tout à fait justifié. Bref, les punitions doivent être légères quand avez un gros pouvoir de nuisance.
C’est le pragmatisme dans toute sa splendeur et nous sommes bien en temps de guerre et, en temps de guerre, tout est autorisé, car la survie prime. Il est trop tard pour faire la fine bouche et avoir des vapeurs de vierge, le vin est tiré et il faudra aller jusqu’au bout, (jusqu’au bout de la nuit car c’est une nuit que cela se passera, en Asie) de la grande révulsion/dislocation.
On ne peut se permettre d’épisodes intermédiaires. Ce sera tout ou rien. Il faut aller le plus loin et tenir le plus longtemps possible, voila la logique de la situation: nous sommes bien dans «le coûte que coûte», même si cela détruit les bases de nos sociétés, les fondements des marchés etc. Regardez le cours de Deutsche Bank, vous verrez qu’il y avait des initiés, bien sûr, mais c’est le PPT et il a tous les droits, y compris celui de s’enrichir sur le dos du public.
Donc on irait vers une règlement-cadeau de 5,4 milliards sur cette affaire des MBS. On ignore les contreparties consenties à la fois par Deutsche Bank, et surtout par les autorités Allemandes, les américains ont bien entendu tordu le bras des Allemands et ils n’ont pas fait ce cadeau gratuitement, même si au fond ils craignaient eux aussi un peu les conséquences contagieuses de l’affaire.
Il ne faut pas oublier que même si les comparaisons avec Lehman sont stupides – Lehman c’était les subprimes –, sur le fond, Deutsche Bank est dans une position comparable. Il suffit de remplacer la «pourriture» d’alors, le logement par celle d’aujourd’hui: les fonds d’état. En 2008 c’étaient les MBS et autres produits qui étaient surévalués, voire non solvables, en 2016, ce sont les Etats. Deutsche Bank n’a pas su résister à la tentation, elle s’est engouffrée dans toutes les brèches; elle a augmenté ses parts de marché dans le Prime Brokerage, les dérivés, l’Investment Banking. Elle a un levier colossal, elle est immergée dans le désordre monétaire global, dans la fragilité est surtout dans l’aberration généralisée des prix de tout, elle est partie prenante du mispricing mondial. A ce titre comme la Chine l’an dernier, elle peut à elle seule faire éclater La Bulle ou, si on veut, la myriade de bulles.
Cependant la situation est différente. D’abord parce qu’il y a eu Lehman et que les autorités ne sont pas censées commettre deux fois les mêmes erreurs; ensuite parce que Deutsche Bank a un volume de liquidités considérables, près de 250 milliards de dollars soit 12,5% de son bilan, enfin parce que la BCE peut si nécessaire fournir les liquidités en toute quantité. Par ailleurs il semble faux de dire que les gouvernements ne peuvent intervenir en cas de difficultés bancaires, elles le peuvent dans une certaine mesure à condition que ce soit aux conditions de marché.
Ce qui s’est passé en fin de semaine constitue en quelque sorte une intervention: on a fait remonter les cours de Bourse de façon spectaculaire. Le cours de Bourse est essentiel dans une affaire comme celle de Deutsche Bank, à deux titres au moins:
l c’est le cours de Bourse, par sa baisse qui alarme les investisseurs et les suiveurs, ils sont moutonniers et même s’ils ne savent pas ce qui se passe ils se disent, cela doit être grave , en quelque sorte le cours de Bourse est un baromètre de la confiance
l le cours de Bourse pointe la valeur de l’affaire et sa capacité à opérer un appel de fonds, une décote importante face à l’actif et aux banques comparables empêche de faire une augmentation de capital et oblige à des solutions hors marché.
Plutôt que sur une déconfiture, nous parions sur un coup de semonce, un avertissement. Un avertissement aux Allemands, à l’Europe et un avertissement, indirect, involontaire aux marchés mondiaux. Il ne faut pas oublier la succession d’accidents et de mini krachs depuis le fameux Taper Américain.
Les USA, chaque fois qu’ils affaiblissent un concurrent/ partenaire, renforcent leur pouvoir, leur impérialisme monétaire et financier et c’est tout ce qui les intéresse. Les titillements de Bruxelles sur la fiscalité des fers de lance de l’innovation Apple, Amazon etc, les rois de la valeur ajoutée, de la «dark matter», américaine vont à notre avis bientôt cesser, du moins c’est une hypothèse…
La Deutsche Bank est un symbole, c’est la Deutsche Bank du Docteur Joseph Abs président de l’établissement de 1957-1967. C’est le symbole de la grandeur allemande, de son pangermanisme, de la reconstruction et de tout ce qui constitue la force recouvrée de l’Allemagne. Abs est un symbole, tout comme VolksWagen, voila ce qu’il faut absolument comprendre. Ce sont les symboles du défi géopolitique Allemand.
La financiarisation de Deutsche Bank par ses successeurs est une colossale erreur. Ils n’ont pas compris que cette financiarisation les sortait du modèle allemand du capitalisme productif, et les plaçait dans le modèle anglo-saxon du capitalisme d’écart, le capitalisme d’arbitrage, le capitalisme parasite.
La tentation de participer à la grande fête du recyclage des déficits Américains et de jouer un rôle leader en matière d’eurodollar, en matière de dollars a été trop forte, elle a tourné les têtes et elle a placé le fer de lance de l’impérialisme Allemand, sous la dépendance discrète des Américains. Les Allemands ont ignoré la dialectique du maitre et de l’esclave, ils ont cru profiter des faiblesses Américaines alors qu’ils construisaient leurs propres faiblesses et leur asservissement.
Exactement comme les Suisses lesquels sont aussi passés à la moulinette et sont maintenant soumis à des lois étrangères. On ne peut prétendre comme l’ont fait d’ailleurs les géants suisses, bénéficier de la manne des déficits US et en même temps prétendre à l’autonomie et l’indépendance, les deux sont antinomiques. La dépendance est réelle, on est serf, car celui qui a la machine à injecter les dollars, les lois, les règlements, les contrôles juridiques et fiscaux, les théories, les modèles, celui là est le maitre réel. Pas d’indépendance pour un pays, aussi grand soit-ils, Suisse, Allemagne, si on ne met pas le genou à terre quand le suzerain l’exige. Les russes et les Chinois eux, l’ont compris.
La manip boursière pue à plein nez: annonce anonyme, au bon moment, un vendredi, dans un marché survendu et attaqué par les «shorts». Il est évident que dans tout pays démocratique, compte tenu des sommes en jeu on exigerait une enquête sur cette annonce/ fuite dont a bénéficié l’AFP , mais les gens sont habitués à vire à genoux sinon couchés et personne n’y retrouve à redire. On admet la dissymétrie, on admet qu’il y ait un monde à deux vitesses.