Italie : Quand le référendum constitutionnel prend l’allure d’un « Exitalie »
Les Italiens sont eux aussi excédés de la domination de Bruxelles et le référendum dont Mattéo Renzi a fixé la date au décembre prochain pourrait bien être, au-delà d’une réforme pour le renforcement du pouvoir du Président du Conseil (premier ministre), – ce qui n’est pas un bon signe pour la démocratie – un vote de sanction contre l’Europe. Les votes selon les observateurs seraient très largement influencés par d’autres questions fondamentales pour les italiens L’Italie va mal, quelques une de ses banques sont dangereusement fragiles, les fonds pour l’accueil des réfugiés qu’elle accueille sont insuffisants et selon les Echos elle serait prête en en envoyer 20 000 dans la nature. Chômage, austérité, incertitudes, problème des migrants, ce référendum pourrait bien être une boite de pandore dont les effets auraient beaucoup plus de conséquences que celle d’une pure réforme constitutionnelle, voulue comme une « réforme nécessaire » par Bruxelles qui s’ingère une fois de plus dans les affaires intérieures d’une nation. Exitalie sans doute pas dans l’immédiat, mais cela pourrait obliger M. Renzi ou son successeur à revoir sérieusement la position de l’Italie face à l’Europe et ses dictats. Si le non triomphait, se serait un coup de boutoir supplémentaire contre le navire l’U.E qui commence a réellement à prendre l’eau.
En route pour l’Exitalie ?
Atlantico : Le 4 décembre prochain se tiendra en Italie un référendum visant à modifier structurellement le système politique italien. Quels sont les problèmes que pose en l’état ce système ? A quoi fait référence exactement Matteo Renzi lorsqu’il parle de « blocage institutionnel » ?
Marc Lazar : Voilà maintenant près de quarante ans qu’on envisage en Italie de modifier la Constitution adoptée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et mise en application à partir de 1948.
A l’époque, les constituants avaient deux préoccupations : faire en sorte que les conditions qui avaient permis au régime libéral de favoriser l’arrivée au pouvoir de Mussolini ne soient plus réunies, et limiter en tout état de cause la possibilité d’un pouvoir personnalisé et fort du point de vue de l’exécutif, précisément à cause des vingt années de fascisme. Ils ont donc inventé un système dit du « bicaméralisme parfait » ou ‘intégral », qui prévoit l’instauration de deux Chambres élues au suffrage universel, exerçant les mêmes pouvoirs, réduisant du coup la marge de manœuvre du président du Conseil en limitant ses capacités à voter des lois de manière rapide. C’est de cela dont parle Matteo Renzi lorsqu’il évoque ce « blocage institutionnel » parce qu’en permanence, le président du Conseil doit obtenir une double investiture, celle de la Chambre des députés et celle du Sénat ; d’autre part, tout texte de loi est obligé de passer par les deux Chambres dans un circuit extraordinairement long, et qui explique donc la lenteur de l’exécution des lois en Italie. L’idée du référendum de décembre est donc de sortir de cette situation.
Les adversaires à cette réforme, qui vise à réduire considérablement les pouvoirs du Sénat – des sénateurs seraient désormais élus parmi les conseillers régionaux et les maires des grandes villes, et ce sans indemnité parlementaire – développent deux raisonnements distincts : pour les « traditionnalistes », on ne doit pas toucher à la Constitution de 1948, qu’ils considèrent comme « la plus belle » et « la plus démocratique du monde » ; l’autre critique que l’on peut entendre consiste à reconnaître la nécessité de la réforme institutionnelle, mais pas telle qu’elle est proposée. C’est pour cette raison que le débat sur le contenu du texte est particulièrement sévère, même s’il est vrai que d’autres sujets se mêlent au contenu du référendum. Comme on a pu le voir lors du référendum français sur la Constitution européenne en 2005 ou lors du Brexit, on sait que les électeurs ne se prononcent pas uniquement sur le texte soumis au vote mais sur d’autres facteurs également.
Ce référendum a cristallisé progressivement les mécontentements à l’égard de Matteo Renzi, et par extension vis-à-vis de l’Union européenne, certaines régions d’Italie – notamment le Sud – associant étroitement les deux. Qu’est-ce qui explique cette association ? Comment est-on passé finalement d’un référendum visant à changer le système politique italien, à un référendum pour ou contre Matteo Renzi, et surtout pour ou contre l’Union européenne ?
Pour les opposants à la réforme constitutionnelle, ce référendum est clairement devenu un référendum « pour » ou « contre » Matteo Renzi. Cette dimension anti-Matteo Renzi a au moins deux aspects : tout d’abord, la critique contre une personnalité suspectée de vouloir, par cette réforme, obtenir un pouvoir extraordinairement important, ce que permettrait, en effet, cette réforme par le renforcement de l’exécutif. Matteo Renzi est ainsi suspecté d’autoritarisme, de césarisme, voire de bonapartisme comme on le dirait en France. Il s’agit là d’une critique récurrente en Italie du fait de l’histoire du fascisme, adressée notamment à Silvio Berlusconi lorsqu’il était au pouvoir.
Parmi les adversaires à ce référendum, il y a des acteurs politiques qui critiquent Matteo Renzi également en tant que symbole d’une Union européenne qu’ils rejettent. Depuis 2013, trois formations politiques italiennes ont mis au cœur de leur communication politique une critique sévère de l’Union européenne : Forza Italia de Silvio Berlusconi, la Ligue du Nord de Matteo Salvini, et le Mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo. Il convient de préciser par ailleurs que depuis vingt ans, le sentiment critique des Italiens contre l’Union européenne n’a cessé de croitre, à tel point que les Italiens sont presque actuellement davantage eurosceptiques que les Français – alors qu’ils comptaient, il y a plusieurs décennies de cela, parmi les peuples les plus europhiles du continent.
Conscient de cette association faite entre sa personne et l’Union européenne, Matteo Renzi a multiplié ces derniers temps les discours fustigeant Bruxelles sur la crise migratoire et les politiques d’austérité. Cette stratégie peut-elle le sauver politiquement ?
Depuis qu’il est président du Conseil, Matteo Renzi a toujours mené une politique à l’égard de l’Union européenne reposant sur deux piliers. On retrouve déjà ces deux piliers lorsqu’il a remporté les élections européennes au printemps 2014 avec près de 41% des voix. Le premier de ces piliers consiste en la présentation de sa personne comme un grand européen fédéraliste, dans la tradition italienne qui remonte, entre autres, à Altiero Spinelli et Alcide de Gasperi. C’est dans cette optique qu’il a organisé cet été une rencontre avec Angela Merkel et François Hollande sur l’île de Ventotene. Il s’agit là d’un lieu symbolique puisque c’est à cet endroit qu’a été rédigé le manifeste de Ventotene en 1942 afin de promouvoir une idée européenne, et ce en pleine Seconde Guerre mondiale. Cette année également, le gouvernement italien, par l’intermédiaire de son ministre de l’Economie, a fait une série de propositions visant à sortir de la crise européenne et en faveur d’une plus grande intégration européenne.
Le deuxième pilier de la politique à l’égard de l’Union européenne de Matteo Renzi consiste en une critique sévère de cette Union depuis 2014 pour sa politique d’austérité, sa bureaucratie, et sa cécité sur la question des migrants. Cette critique visait à constituer une alliance avec les pays européens du Sud, dont la France, l’Espagne et la Grèce, afin de faire bouger les lignes au sein de l’Union. Cette politique n’a jamais été couronnée de succès pour le moment, notamment en raison de la faiblesse structurelle désormais chronique de la position française incarnée par François Hollande.
Sur le plan intérieur, cette critique de l’Union européenne vise à contenir le vote protestataire, et notamment à prendre des suffrages au Mouvement 5 étoiles, qui est, suivant les sondages, le premier ou le deuxième parti du pays en termes d’intentions de vote.
Dans quelle mesure le résultat du référendum sur le Brexit et la démission de David Cameron qui a suivi peuvent-ils avoir des conséquences sur l’annonce faite par Matteo Renzi en début d’année selon laquelle il démissionnerait en cas de victoire du « non » au référendum de décembre ?
On remarquera que désormais, Matteo Renzi ne tient plus du tout ce discours de démission. Ceci est dû notamment au résultat du référendum sur le Brexit qui lui a montré qu’il était tout à fait possible de perdre un référendum. Il a également pris en compte le fait que son parti a perdu les dernières élections municipales en Italie, avec les villes de Rome et de Turin qui sont tombées dans les mains du Mouvement 5 étoiles. Les derniers sondages révèlent par ailleurs une forte cote d’impopularité pour le président du Conseil, ainsi qu’une avance du « non » au référendum.
Sa position actuelle consiste à dire qu’en cas de victoire du « non », il remettra sa démission au président de la République italienne. Dans ces conditions, tous les scénarios sont possibles. Cela signifierait sans doute que Matteo Renzi conserverait, malgré tout, la tête de son parti dont il est déjà le Secrétaire. On peut même penser que le président de la République fera tout pour éviter de dissoudre les deux Chambres. Dans le cadre de ce qu’est actuellement le gouvernement italien, on ne voit pas d’autre hypothèse qu’un « Renzi bis » quand bien même le « non » au référendum l’aurait remporté.
Il ne faut pas non plus oublier que toute l’Europe attend le résultat du référendum italien. Il y a une crainte qu’après le Brexit, Matteo Renzi soit battu au référendum, et que la réforme de la Constitution italienne soit ainsi repoussée. Les différentes capitales européennes et les milieux financiers interpréteraient cela comme une incapacité, de la part de l’Italie, à poursuivre des réformes nécessaires. Il existe également un risque d’effet domino sur les prochains scrutins européens de 2017, notamment en France et en Allemagne. Ce référendum italien a donc une immense portée européenne.
En tenant compte de la situation actuelle (difficultés économiques et financières) et de l’histoire de l’Italie (l’un des pays fondateurs de l’Union européenne), et en comparant avec celles de la Grande-Bretagne, un « Exitalia » est-il probable à l’issue du référendum du 4 décembre ?
Clairement, un « Exitalia » n’est pas à envisager à l’issue du référendum de décembre. Si jamais le « oui » l’emporte,
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Image à la Une : Sud Ouest