Et vive le hight tech ! Radars : Et maintenant Big Brother dans vos voitures
Une chronique humoristique d’une société qui tisse petit à petit le filet de son propre enfermement.
Cet article envoyé par Marie (à laquelle je signale que tous ses courriers m’étaient inaccessibles) nous avait échappé, il était parti dans les pourriels (qui pour des raisons pour moi mystérieuses) avaient eux-mêmes disparu de la boite mail des brins. Grâce à notre informaticien maison ils sont réapparus ce matin. Il y en avait une quantité massive et comprenait une vingtaine de mail privés considérés comme spams et auxquels je n’ai pas eu accès depuis juin dernier ! Mille excuses donc à ceux auxquels je n’ai pas répondu, j’ignorais qu’ils m’avaient écrit. Mais revenons à notre sujet :
Radars : et maintenant, Big Brother dans vos voitures
Grâce à une Assemblée Nationale au taquet, on n’arrêtera pas si facilement la marche du progrès ! Et si le progrès signifie des avancées significatives en matière de flicage permanent de la population, tant mieux ! Après tout, nous sommes en état d’urgence et c’est le moment où jamais de sortir les radars pour pister les citoyens partout où ils sont, non ?
Pour cela, les députés profiteront de l’attention du public habilement occupée par des grèves, des pénuries, des intempéries et un président qui continue ses guignolades urbi et orbi. Chargée des mouvements sociaux, de l’humidification trop importante de Nuit Debout ou, plus problématique, des cours de Roland Garros, remplie des péripéties fiscales d’un ministre frétillant, l’actualité ne peut plus guère s’embarrasser, en plus, des petites forfaitures d’une Assemblée toute acquise à l’espionnage massif de sa population.
Dès lors, le contrôle permanent de la vitesse des automobilistes passera totalement inaperçu, d’autant plus qu’on l’aura camouflé dans l’un de ces amendements au projet de loi de « modernisation de la justice au XXIème siècle ».
Sacrée modernisation, puisqu’on y prévoit maintenant un droit d’accès par les autorités aux données embarquées dans les ordinateurs de bord de chaque véhicule. C’est le Figaro qui soulève le lièvre en ayant épluché le point n°6 du nouvel article 15bis B (rien que la numérotation fleure bon l’administration, le cerfa qui crépite et le coup de tampon encreur), pour y trouver un article L. 311-2 ainsi rédigé :
«Art. L. 311-2. – Les agents compétents pour rechercher et constater les infractions au présent code, dont la liste est fixée par décret en Conseil d’État, ont accès aux informations et données physiques et numériques embarquées du véhicule afin de vérifier le respect des prescriptions fixées par le présent code.»
Ah, c’est vrai que lire du député dans le texte, c’est assez mignon. Déjà à la base, un texte de loi, c’est réjouissant comme une heure de discours hollandesque, mais lorsqu’il est écrit par des députés en pleine frénésie de législatite, cela donne des tournures improbables ou l’amphigourique se dispute au comique et aux renvois de vilénies dans de sombres petits alinéas fourbes et retors. Ainsi, même si on se doute bien que la liste fixée par décret dont il est question concerne plus les infractions que les agents compétents, il ne faut pas écarter que ce soit l’inverse tant est grande la capacité de nos scribouillards élus à nous surprendre par leurs idées consternantes. De même, la notion de donnée physique embarquée qui ne serait pas numérique laisse quelque peu songeur.
Mais bref, l’idée sous-jacente de cette prose alambiquée est bien là : il s’agit concrètement de permettre un contrôle permanent de la vitesse et des comportements de chaque automobiliste… Pour peu qu’il roule avec une voiture un peu récente (je souhaite bien du courage à nos agents compétents pour récupérer les données numériques embarquées d’une 2CV). En somme, quoi que vous fassiez, vous allez laisser des traces numériques de votre comportement passé, traces qui seront consultables par la police, sur demande ou sans autre forme de procès, en allant fouiller dans votre véhicule au moment où il lui en viendra l’envie.
C’est tout à fait délicieux.
En effet, après l’évidente période de rodage qui pourra s’étaler un certain temps pendant lequel nos amis de la maréchaussée n’auront pas le matériel, puis le matériel mais pas les formations, puis la formation mais un matériel obsolète, puis du matériel et de la formation mais sur des véhicules lourdement patchés (parce que la loi, en retard, aura laissé complètement ouverte la possibilité de hacker son propre ordinateur de bord – je dis ça, hein, je ne dis rien), bref, après ce laps de temps, on devrait voir une véritable tempête de contrôles tous azimuts sur nos véhicules, contrôles qui mobiliseront à n’en pas douter des hommes, du matériel, de la formation, qui ont des coûts et des contraintes lourdes.
Heureusement que la délinquance et la criminalité sont en chute libre en France, que les dégradations diminuent et que les casseurs se font rare, parce que sinon, on aurait encore pu croire à une mauvaise allocation des forces de l’ordre dont la mission ressemble de plus en plus à celle des brigands de grands chemins qui, jadis, détroussaient les voyageurs imprudents. Évidemment, la comparaison ne tient pas : les amendes routières ne sont pas du vol puisqu’il y a des formulaires à remplir.
Rassurez-vous cependant : cette mobilisation des forces de l’ordre pour contrôler les automobilistes ne serait que de courte durée puisqu’une fois les voitures définitivement connectées au réseau en permanence, il ne sera même plus nécessaire de faire intervenir la police pour constater l’abominable offense. L’infraction sera directement signifiée par la voiture, envoyée par elle au tribunal le plus proche, et l’amende automatiquement prélevée sur votre compte bancaire lui-aussi intégralement numérique et bien évidemment totalement ouvert et transparent aux autorités fiscales.
Et le plus beau est qu’avec cet article stupéfiant, on peut ajouter le reste du projet de loi dans lequel on trouve aussi la désignation d’un conducteur de tout véhicule, responsable par défaut de toute infraction constatée et la délation institutionnalisée (lorsqu’une infraction sera constatée avec un véhicule de société, son patron devra dénoncer l’identité et l’adresse de l’individu qui conduisait ce véhicule).
Vous trouvez ça immonde ? Ah, mais, c’est le plus beau : vous ne devriez pas puisqu’après tout, vous avez, tous, consciemment ou non, voté pour ces mesures ! En votant avec application pour des socialistes de droite (qui ont tous les jours poussé les lois liberticides) puis des socialistes de gauche (qui ont tous les jours poussés des lois égalitaristes en diable), c’est exactement ce qui vous pendait au nez.
Le peuple a réclamé, en se roulant par terre, des routes plus sûres et mieux protégées ? Voilà qui est fait : tout est sous radar, tout est sous jumelles, tout est sous mouchard.
Le peuple voulait de la sécurité dans ses villes et une lutte active contre le terrorisme ? Voilà qui est fait : on a placé des caméras partout, on espionne vos conversations téléphoniques, on traque vos déplacements.
Le peuple voulait une vraie transparence bancaire ? Voilà qui est fait : le fisc, les organismes sociaux peuvent maintenant se servir directement sur votre compte, avant tout autre organisme et avant vous-même bien sûr, sans que vous puissiez vous y opposer.
Le peuple voulait combattre la fraude, qu’elle fut fiscale ou routière ? Voilà qui est fait : on saura maintenant tout ce que vous faites, tout ce que vous vendez, tout ce que vous achetez, vos déplacements, vos envies, vos désirs, vos faiblesses.
Le pompon est que chacune de ces lois aura été voté de façon démocratique (ou avec toutes les apparences de la démocratie) par ceux que ce peuple, transi d’effroi et d’amour pour une sécurité de plus en plus chimérique, aura constamment adoubés de son vote. Ils sont pourtant nombreux à trimballer des casiers, des affaires louches ou même des résultats économiques catastrophiques, qui ont été réélus, constamment, d’années en années. Et cette dernière loi, qui arrive sous le président le plus impopulaire de la Vème République, n’est pas issue d’un gouvernement d’extrême-droite, non : c’est bien une assemblée de gauche socialiste, sous un gouvernement de gauche socialiste, qui l’écrit et la vote.
Et qu’aurait-on entendu sous Sarkozy, s’il avait multiplié les radars et la fiscalisation abusive de l’automob… Oh, attendez, c’est exactement ce qu’il a fait et qu’a-t-on entendu ?
Rien. Ou si peu.