Voyage dans une autre dimension : A la rencontre des « kins »

Attachez votre ceinture, vous allez pénétrer dans une dimension inconnue, un lieu où la raison n’a pas de prise. Les kins sont des gens qui se croient non-humains ou partiellement tels.  Je dois vous avouer que j’en suis restée sans voix. Une telle fuite de la réalité révèle un mal-être si grave que l’on ne peut qu’éprouver de la tristesse pour ces jeunes qui se perdent dans l’imaginaire pour ne pas affronter la vie.

A un degré moindre, c’est une tendance que nous connaissons tous, ça s’appelle dans un langage familier « marcher à côté de ses pompes ». L’on pourrait s’interroger sur ce qu’est le réel, c’est vrai. On pourrait dire qu’ à certains détails près qui dépendent de notre personnalité propre,  qu’il est ce qui est observé, intégré et partagé par le plus grand nombre.  Là on est au-delà du réel, dans un sur-réalisme sans limites. Pourtant, comme vous le lirez, pour les membres de cette communauté de kins,  il ne s’agit pas d’un jeu intellectuel, ils y croient.

Effets d’une société virtualisée qui rend une partie de ses membres « hors sols »  ? Inquiétant et triste.

À la rencontre des gens qui se prennent pour autre chose que des humains

Par Callie Beusman

Comme beaucoup d’adolescents, le Tumblr de Marco regorge de photos de couchers de soleil pittoresques. Sauf qu’il ne les poste pas pour leur esthétisme : Marco a récemment découvert qu’il était un nuage coincé dans un corps d’homme.

« J’ai toujours eu l’impression d’être né dans le mauvais corps, mais j’ai vraiment réalisé ce que j’étais il y a un an et demi », explique-t-il. C’est là qu’il est tombé pour la première fois sur le concept de « cloudkin » – un sous-ensemble de « weatherkin », lui-même un sous-ensemble de « otherkin », à savoir une communauté qui s’identifie comme n’étant… pas complètement humaine.

Les otherkins sont bien connus sur Internet : le meilleur exemple est sans doute cette Norvégienne devenue célèbre après avoir affirmé qu’elle était un chat. Selon la définition du blog OtherkinFAQ, « otherkin » est « un terme générique pour désigner les personnes qui se considèrent comme étant non-humaines ».

Mais la catégorie des « non-humains » est bien plus large qu’elle n’y paraît. Si la majorité des otherkins ont la conviction d’être des animaux, certains se prennent pour des créatures mythiques comme des dragons, des fées ou des vampires. Les fictionkins, quant à eux, seraient des personnages fictifs de dessins animés ou de jeux vidéo. Les weatherkins, à l’instar de Marco, s’identifient aux phénomènes météorologiques ; les conceptkins à des concepts abstraits ; les spacekins à des choses célestes. Musickins, timeperiodkins, etc – on ne compte plus les dérivés encore plus obscurs.

La première fois que j’ai rencontré le tag #weatherkin sur Tumblr – qui m’a ensuite menée au tag #conceptkin, avant de me faire sombrer dans l’abîme conceptuel –, j’ai été incapable de déterminer s’il s’agissait d’une blague bien élaborée, d’une sorte de performance ou de quelque chose de sérieux. Certaines personnes étaient manifestement là pour se moquer : un blog, tenu par un « plantkin et guerrier de la justice sociale », était clairement un canular.

Mais d’autres blogs se voulaient plus introspectifs, plus sincères. « C’est étrange d’être weatherkin [parce que] la pluie ne conserve pas les souvenirs. Ce n’est que de l’eau ; elle n’a pas de conscience », peut-on lire sur un blog rempli de photos de gouttes de pluie et de flaques. « Et pourtant, je me souviens avoir interagi avec le métal. »

« C’est étrange d’être weatherkin [parce que] la pluie ne conserve pas les souvenirs. »

Lorsque je lui demande ce qui l’amène à croire qu’il est un nuage et en quoi il est différent de quelqu’un qui s’identifie simplement à la météo dans son ensemble, Marco répond avec beaucoup de sincérité. « C’est difficile à expliquer, mais quand je regarde un nuage, j’ai l’impression de me voir, explique-t-il. C’est mon âme que je vois. C’est une partie de moi, comme mes orteils ou mes mains. C’est mon âme. »

« C’est un peu comme un sentiment de nostalgie, le désir d’une vie passée où j’étais un nuage, ajoute-t-il. Je suis surtout profondément connecté avec les nuages. C’est un peu embarrassant de le dire mais j’ai un ventilateur dans ma chambre et, parfois, je m’assois en face de lui et je m’imagine en train de voler à nouveau. »

L’idée de vie antérieure revient beaucoup dans les cercles otherkins, mais il y a une différence significative entre croire que vous étiez un chat dans une vie antérieure et croire que vous étiez un chat dans une vie antérieure mais que vous l’êtes toujours, en plus d’être humain.

Cat, qui dirige un blog otherkin, tente de m’expliquer cette distinction sur Tumblr. Comme son nom l’indique, il est catkin – un Scottish fold, pour être précis –, ce qui résulterait d’une réincarnation. Si la réincarnation désigne généralement le fait de commencer une nouvelle vie dans un nouveau corps, il semble penser que son âme est fondamentalement féline, bien qu’ayant fini sous forme humaine.

Selon lui, être otherkin est « presque toujours quelque chose de spirituel ». Si la plupart des otherkins « savent qu’ils sont des êtres humains, certains ressentent ce que nous appelons des « membres astraux » selon la catégorie à laquelle vous appartenez : des ailes, une queue, des oreilles, etc, qui ne sont, de toute évidence, plus là ».

« Ces membres sont généralement volumineux, gênants, voire douloureux à certains moments », ajoute-t-il.

« J’ai un ventilateur dans ma chambre et, parfois, je m’assois en face de lui et je m’imagine en train de voler à nouveau. »

Cat insiste fermement sur le fait qu’être otherkin « ne relève absolument pas du délire ». De nombreux professionnels interrogés sur le sujet « ont convenu que c’était parfaitement sain, tant que cela ne nuisait pas à la santé mentale ou ne provoquait pas un impact négatif sur la vie ».

Et, de fait, en 2015, le Dr Marc Feldman, professeur clinique et créateur du terme de « Syndrome de Münchhausen par Internet », a déclaré au Daily Dot que se considérer comme un otherkin « n’était pas illégal, ne contrevenait à personne et ne constituait pas une forme de maladie mentale – à moins de vraiment tomber dans le délire à ce sujet –, et qu’un traitement n’était donc pas nécessaire ».

Même au sein de la communauté otherkin, nombre de membres se montrent sceptiques envers ceux qui affirment être des objets inanimés ou des concepts abstraits. Dans un Tumblr dédié à l’expérience des otherkins, un modérateur prétend que les objectkins et les conceptkins représentent « un sujet de discorde au sein de la communauté ».

Un fictionkin nommé Felix – qui se considère comme la « réincarnation légitime » de trois personnages de dessins animés différents – écrit dans un autre post : « Les otherkins sérieux et réfléchis estiment qu’il est impossible d’être une chose dépourvue d’esprit, de personnalité ou de volonté ».

« Vous ne pouvez pas être chairkin, à moins que cette chaise n’ait eu une conscience et des pensées », affirme-t-il.

C’est quelque peu surprenant, sachant que la communauté otherkin a la réputation d’accepter l’absurde. Ils discutent souvent de leurs identités -kin en utilisant la rhétorique de la justice sociale, ce qui a poussé nombre de gens à croire qu’ils s’appropriaient des mouvements sociaux. En 2012, par exemple, un « chat trans-ethnique, semi-romantique, asexué, autiste et pangenre » a gagné des milliers d’abonnés sur Tumblr, avant que trois adolescents – qui ne s’identifiaient aucunement comme l’une de ces choses – n’avouent en être à l’origine.

« Vous ne pouvez pas être chairkin, à moins que cette chaise n’ait eu une conscience et des pensées. »

« Considérez ce qui suit. Vous avez créé une communauté dans laquelle quelqu’un peut prétendre être un otherkin chat trans-ethnique, semi-romantique, asexué, autiste et pangenre sans être immédiatement reconnu comme un troll », ont écrit les adolescents dans un poste depuis supprimé, exprimant leur mépris quant au fait qu’un mouvement focalisé sur la défense des groupes opprimés « a été mené par des gens qui se prennent pour des dragons ».

Cependant, la communauté otherkin affirme ne pas être confrontée à une quelconque discrimination dans la société. « L’otherkinité n’est pas un genre ou une orientation marginalisés. Je n’ai vu cette idée préconçue que sur des blogs de troll », écrit le modérateur d’OtherkinFAQ. Dans l’en-tête du site, il est précisé que : « Les membres ne sont pas opprimés pour être ce qu’ils sont et en ont conscience. »

Pourtant, l’ouverture d’esprit de la communauté exclut toute forme de scepticisme : celle-ci pourrait être perçue comme réfractaire voire problématique…./…

SUITE ET FIN ICI :

http://www.vice.com/fr/read/otherkin-non-humain

Image à la Une : ibid