Non, Israël n’est vraiment pas un «modèle de sécurité» à suivre!
« Appliqué à la situation française le discours d’un « modèle israélien » est dangereux, à moins de vouloir maintenir la société française dans un état de guerre permanent et de miser sur la surenchère sécuritaire sans développer de réflexion sur des politiques ambitieuses et courageuses nécessaires afin de faire échec au recours à l’acte terroriste »
expliquent Géraldine Casutt, Joan Deas et Damien Simonneau; docteur et doctorantes en science politique.
Depuis l’attentat de Nice, les discours médiatique et politique gravitent autour des tactiques de sécurité qui permettront de gérer et prévenir de nouvelles épreuves de ce type. Une comparaison s’impose avec la force de l’évidence : celle du « modèle de sécurité » israélien.
Des reportages décrivent alors des Israéliens se pliant volontiers aux contrôles des sacs à l’entrée des supermarchés ou habitués à la présence de vigiles dans les transports publics. Le degré de préparation de la population est mis en avant. On insiste aussi sur le fait que les évènements publics sont interdits à la circulation pour éviter les attaques à la voiture-bélier.
Après les attentats de Bruxelles, on évoquait déjà le « modèle » de l’aéroport de Tel Aviv-David Ben Gourion, où le profilage des « suspects » est la règle. L’importance du facteur du renseignement humain fut également remarquée. Ces récits conduisent vers un parallèle imparable : les Français doivent s’inspirer des mesures israéliennes pour lutter efficacement contre un terrorisme qui, ici comme là-bas, les frappe de la même manière. Un parallèle établi par les dirigeants israéliens eux-mêmes.
Le débat public porte donc en France sur l’évaluation des mesures de sécurité. Ce débat est certes nécessaire pour envisager les outils les plus performants et légitimes au regard de la préservation des libertés publiques et des moyens alloués, aux forces de l’ordre notamment.
Toutefois, ce débat « expert » ne doit pas occulter les enjeux sociaux et politiques dans lesquels les actions terroristes s’insèrent, sans quoi le risque de se limiter à une gestion de la violence, voire même d’alimenter cette dernière, grandit.
L’État israélien est aujourd’hui enfermé dans une gestion quotidienne des frictions entre Israéliens et Palestiniens et des risques d’attentats. Si l’investissement dans le tout-sécuritaire permet d’endiguer les violences, il ne les supprime pas définitivement.
Pire, le tout-sécuritaire provoque la répétition des actes de violence palestiniens. L’absence de perspective politique et individuelle pour une majorité de Palestiniens constitue en effet un moteur puissant de passage à l’acte violent, comme le reconnaît d’ailleurs le Shin Bet. En 2017, l’occupation israélienne de la Cisjordanie, de Gaza et de Jérusalem-Est fêtera tristement son cinquantième anniversaire.
Ce régime militaire d’occupation se caractérise par des destructions de maisons, des expulsions, des détentions arbitraires d’adultes mais aussi de mineurs, un régime légal discriminatoire et une violence physique et symbolique omniprésentes (1). Sous le prétexte de « contrôler », des gens sont humiliés et tués. Ce régime se maintient sans perspective de pacification durable. Le recours à des modes d’action violent devient alors une forme personnelle ou organisée de réponse à cet état de fait politique. La « menace » d’attentats est quant à elle normalisée par la population israélienne.
Cette matrice sécuritaire privilégie donc des solutions tactiques à court terme ciblant les symptômes de l’occupation plutôt que les enjeux sociaux et politiques expliquant le passage à l’action terroriste. Elle sert également d’argument marketing à l’État israélien pour développer et exporter l’une des industries sécuritaires les plus performantes et lucratives au monde (2).
Par conséquent, qu’avons-nous à apprendre d’Israël ? Que pour ne pas tomber dans une simple gestion de la violence, les questions fondamentales suivantes doivent être posées.
Les mesures de sécurité créées jusque-là sont-elles réellement efficaces pour modifier ou non le recours à des modes d’action terroriste ? Existe-t-il un lien de causalité entre l’instauration – et le renforcement – de ces mesures sécuritaires et la motivation des passages à l’acte ?
L’État français n’alimente-t-il pas la violence contre laquelle il entend lutter lorsque sa réponse après chaque attentat est de réactiver les frappes en Syrie et en Irak ? Pourquoi des citoyens français trouvent-ils dans le jihadisme une façon d’exprimer leur détestation de la France ? L’instauration d’un État d’urgence de fait permanent ne masque-t-elle pas un évitement de la réflexion collective et critique ?
Autrement dit, l’argument de « raisons de sécurité » n’est-il pas un écran de fumée et un moyen de dépolitiser des enjeux sociaux ?
Appliqué à la situation française, le discours d’un « modèle israélien » est dangereux, à moins de vouloir maintenir notre société dans un État de guerre permanent et de miser sur la surenchère sécuritaire sans développer de réflexion autour des politiques ambitieuses et courageuses nécessaires afin de faire échec au recours à l’acte terroriste.
Pourtant, repenser certains choix de politique intérieure ou étrangère qui alimentent l’Etat islamique, poser la question de l’intégration des Français d’origine arabe et de confession musulmane, le manque d’adhésion au modèle républicain, les mécanismes psychologiques du passage à la tuerie de masse devraient aujourd’hui constituer des priorités pour la classe politique et pour le débat public.
En conclusion, non, Israël n’est pas un « modèle » à suivre. Bien au contraire, il représente l’impasse sécuritaire dans laquelle nous ne voulons surtout pas nous retrouver pris au piège.
Géraldine Casutt, doctorante à l’Université de Fribourg et à l’EHESS; Joan Deas, doctorante à Sciences Po Grenoble et Damien Simonneau, docteur à Sciences Po Bordeaux et à l’Université Paris 13.
(1) Gordon Neve, Israel’s occupation, Los Angeles, University of California Press, 2008. L’ONG israélienne B’Tselem documente quotidiennement l’occupation : http://www.btselem.org/
(2) Graham Stephen, “Laboratories of War: Surveillance and US-Israeli Collaboration in War and Security” et de Gordon Neve, “Israel’s Emergence as a Homeland Security Capital”, in Zureik Elia, Lyon David, Abu-Laban Yasmeen (eds), Surveillance and Control in Israel/Palestine. Population, territory and power, London and New York, Routledge, 2012, p.133 sq. et p. 153 sq. Voir aussile documentaire de Yotam Feldman, intitulé The Lab (2013).
Le point de vue intéressant d’un commentaire de Dominique54
Ce qu’il faut voir, c’est les conséquences pour la société civile (je parle des citoyens juifs, car pour les citoyens arabes, le tout sécuritaire israélien se traduit par l’insécurité totale, l’arbitraire, l’angoisse permanente qu’un contrôle se passe mal. pour ne pas parler des palestiniens des territoires occupés): La société civile est une des plus agressives au monde. les violences conjugales en particulier sont omniprésentes. les jeunes israéliens reviennent traumatisés en profondeur de leurs 3 ans de service quand ils ont été dans les territoires occupés, et les psychiatres israeliens s’inquiètent de la montée des passages à l’acte violents dans ces jeunes (un peu le phénomène des soldats revenant de la guerre du Vietnam ou de la guerre d’Algérie : tout le monde faisait comme si tout etait normal, et parler de ce qu’on avait fait était tabou: les atteintes psychiatriques de cette génération , sur le long terme, ont eté nombreuses. ). après le service , les jeunes israeliens peuvent se « défouler » à l’étranger pour évacuer la tension. demandez aux hôteliers brésiliens , par exemple, comment ça se passe..
Non, le modèle de guerre permanente israélien est d’autant moins à suivre que la France n’est pas en guerre. l’abondance des informations en continu, venues du monde entier nous fait croire que le monde va mal. oui, une tuerie au japon , une fusillade de masse aux Etats-Unis du coup sont inconsciemment reliée au terrorisme de Daech , d’autant que daech est devenu la seule grille de lecture de hollande et Valls, à la différence des dirigeants d’autres pays.
Mais c’est pas parce que les médias en parlent que c’est forcement massif et qu’on vit tous dans un état de guerre (et le croire est indécent pour ces peuples au malheur desquels on est indifferent et qui eux vivent vraiment ça au quotidien: depuis la « libération » de 2003 en Irak, environ un millier de morts par attentats par mois . pour ne pas parler des plusieurs centaines de milliers de morts en Syrie , victimes des bombardements de leur dictateur etc..).
Les tueries de masse , (ça peut etre deux trois morts ) aux USA: environ une tous les deux jours. le nombre de morts violents dans la seule ville de Chicago : 300 en 6 mois, dont des dizaines d’enfants victimes de balle perdue. les crimes passionnels , simplement en lisant Ouest France (et les pays de Loire ne sont pas une région particulièrement violente): environ 3 par semaine. pour chaque victime, c’est horrible. mais se sent on en insécurité pour autant? Mais si on commence à spécifier la religion et l’origine des auteurs de crime, comme si c’était la seule explication, et en le notant UNIQUEMENT quand ce sont des musulmans, ou des réfugies syriens, ou des gens portant un nom arabe, on entre dans une voie dangereuse (c’était justement la spécificité de l’Allemagne nazie, de noter l’origine juive des auteurs de faits divers, mais jamais quand c’était des allemands non juifs: cela permettait de faire croire que les juifs étaient particulièrement criminels, alors que statistiquement c’était faux, bien sur.).
Dans le Ouest France de ce matin, encore un crime familial. mais on ne précise pas l’origine , ni la religion. mais quand c’est un arabe musulman qui poignarde sa compagne, on signale son origine, comme si poignarder sa compagne était spécifiquement un crime lié à la religion musulmane.
Quand on a découvert que l’auteur de la tuerie de Munich était converti au christianisme, les auteurs des commentaires ici même disant iranien= musulman (sous entendu daech) ,ne se sont pas excusés, et n’ont pas passé des tonnes de commentaires à nous expliquer en quoi la conversion au christianisme (probablement protestant, vu le prénom David choisi) etait signe de radicalisation violente…et personne n’a mis la tuerie de Ligonnes sur le fait qu’il était chrétien pratiquant plutôt traditionaliste