Bonne nouvelle ! Loi biodiversité : les semences du domaine public protégées
Le domaine public reconnu et protégé (dans la loi sur la Biodiversité)
La loi sur la « reconquête de la biodiversité » a été adoptée définitivement cette semaine à l’Assemblée nationale, après un long processus d’élaboration qui aura duré plus de quatre ans. On a beaucoup parlé à son sujet de l’interdiction des pesticides tueurs d’abeilles, de la taxation de l’huile de palme ou du chalutage en eaux profondes. Mais sur le plan juridique, il y a un autre point sur lequel cette loi va constituer un apport intéressant. Elle tend en effet à reconnaître la notion de domaine public, dont je parle souvent dans S.I.Lex, et à protéger des droits d’usage associés.
A vrai dire, ce n’est pas dans une loi sur la biodiversité que l’on attendait de prime abord une consécration du domaine public. On se souvient par exemple que le rapport Lescure en 2013 avait recommandé « d’établir dans le code de la propriété intellectuelle une définition positive du domaine public et d’affirmer la prééminence du domaine public sur les droits connexes. » Par domaine public ici, il était surtout question des oeuvres de l’esprit qui ne sont plus protégées par le droit d’auteur, à l’issue des 70 années après la mort de leur créateu. Cette proposition a été débattue, mais sans succès, à l’occasion du vote de la Loi Création, récemment adoptée elle aussi. Mais c’est surtout dans la Loi « République Numérique » que ce sujet a été abordé, à travers l’idée de consacrer un « domaine commun informationnel« , qui aura fait couler beaucoup d’encre. Au final, cette disposition a été écartée du texte de la loi Lemaire et définitivement repoussée en janvier dernier, après que plusieurs parlementaires aient tenté de la réintroduire dans les débats.
Le bilan de la consécration juridique du domaine public et des Communs aurait donc été bien maigre, si la loi Biodiversité n’était pas venue, de manière a priori assez surprenante, remettre à l’honneur la question du domaine public, mais dans un tout autre domaine que celui de la culture.
Une reconnaissance du domaine public des semences
En réalité, c’est à propos des semences que la loi Biodiversité est intervenue pour consacrer la notion de domaine public et protéger des usages associés. On trouve cette mention à l’article 11 de la loi :
La cession, la fourniture ou le transfert, réalisé à titre gratuit ou, s’il est réalisé par une association régie par la loi du 1er janvier 1901 relative au contrat d’association, à titre onéreux de semences ou de matériels de reproduction des végétaux d’espèces cultivées de variétés appartenant au domaine public à des utilisateurs finaux non professionnels ne visant pas une exploitation commerciale de la variété n’est pas soumis aux dispositions du présent article, à l’exception des règles sanitaires relatives à la sélection et à la production.
Cette disposition vient autoriser le partage et la revente des semences correspondant à des variétés végétales appartenant au domaine public, c’est-à-dire qui ne sont pas ou plus protégées au titre de ce que l’on appelle un Certificat d’Obtention Végétale (COV). Il existe en effet un droit particulier de propriété intellectuelle que les semenciers peuvent obtenir pour protéger la dénomination des nouvelles variétés qu’ils produisent, ainsi qu’un monopole sur la vente des semences valable pendant une durée de 25 à 30 ans.
Or les variétés anciennes de semences n’ont jamais été protégées par le biais de ce système et elles appartiennent donc au domaine public, qui peut aussi comporter les variétés pour lesquelles les COV sont arrivés à expiration. Pourtant, et c’est un paradoxe dont est frappé le domaine public en matière de variétés végétales, l’usage de ces semences n’est pas libre. Il pèse en particulier de lourdes restrictions sur leur commercialisation, comme l’explique cet article :
A la différence des livres et des logiciels, les semences sont un marché soumis à autorisation de mise sur le marché (AMM), comme les médicaments. Les variétés doivent satisfaire des critères pour être commercialisables et être « inscrites au Catalogue officiel » ; mêmes les variétés du domaine public (nb : avant 1960, ce n’était pas le cas ; seules les variétés nouvelles devaient obtenir une AMM).
L’enjeu : une variété ne peut être commercialisée « à titre gratuit ou onéreux » que si elle est inscrite dans un Catalogue officiel. C’est une barrière importante à l’utilisation du domaine public : sachant qu’il y a un coût d’inscription et de maintien au Catalogue, aucune personne privée n’a un intérêt financier à obtenir l’AMM pour une variété qui peut être commercialisée par tous.
Ces barrières à la circulation des semences du domaine public posent de réelles difficultés à ceux qui essaient de les entretenir et d’en favoriser la diffusion. On sait par exemple que l’association Kokopelli a été condamnée en 2012 devant la justice européenne pour avoir commercialisé des semences du domaine public ne figurant par dans le fameux Catalogue officiel. Or il existe un véritable enjeu pour la biodiversité à ce que les semences du domaine public soient redécouvertes et utilisées par les agriculteurs, car elles sont infiniment plus nombreuses et variées que celles produites industriellement par les grands semenciers, dont l’usage dominant dans l’agriculture intensive a dramatiquement appauvri la diversité de ce que nous mangeons.
VIDEO LA GUERRE DES GRAINES ET FIN DE L’ARTICLE ICI :