VIOLENCES POLICIÈRES : OUVREZ LES YEUX !
Un article courageux de Mediapart qui refuse d’aboyer avec les loups.
Je rappelle que démocratie vient de demos = peuple. C’est donc un système de gouvernement avec le peuple et pour le peuple.
Nous sommes très loin de cette configuration : le pouvoir actuel est avec les élites, pour les élites et contre le peuple. Nous sommes, les faits le démontrent, dans une oligarchie autoritaire.
Notre révolte est JUSTIFIÉE et c’est quelqu’un qui déteste la violence qui le dit. Devant un pouvoir autiste, nous n’avons pas d’autre choix que de refuser de plier toujours plus l’échine et nous mettre debout.
Galadriel
Violences policières: ouvrez les yeux !
Des dizaines de manifestants ont été blessés lors des manifestations contre la loi sur le travail. Le gouvernement a mis en place une stratégie de la tension, suite logique d’années de dérive. Il est temps qu’une commission d’enquête se saisisse de cette gestion incendiaire.
Un jeune homme de 28 ans est depuis le 26 mai maintenu dans un coma artificiel, œdème cérébral et boîte crânienne enfoncée, victime du tir d’une grenade dite de « décencerclement » (notre article ici). Un mois plus tôt, le 28 avril, un étudiant de 20 ans à l’université de Rennes perdait un œil à la suite d’un tir de lanceur de balles (LBD40), une arme plus puissante que les Flash-Ball. Depuis deux mois et demi, début des manifestations contre la loi sur la réforme du code du travail, plusieurs dizaines de manifestants ont été gravement blessés.
Un bilan exact est impossible à établir. Mais la multiplicité des témoignages que nous avons reçus, des photos et des vidéos documentées circulant sur les réseaux sociaux permettent bien d’évaluer à plusieurs dizaines le nombre de personnes victimes de blessures sérieuses. Un seul exemple : 49 personnes ont été blessées dont 10 gravement, le 28 avril à Rennes, selon une équipe de soignants déployée sur le cortège ce jour-là. Hématomes, nez cassés, fractures, mâchoires décrochées, traumatismes crâniens, suffocations, plaies ouvertes, évanouissements… Les opposants à la loi sur le travail le savent désormais : il est devenu risqué de manifester, dangereux de rester dans les cortèges jusqu’à leur dissolution, imprudent de « partir en manif’ » sans un minimum d’équipement de protection.
Avec ces jeunes gens qui resteront traumatisés à vie, ces dizaines voire centaines de personnes blessées ou simplement violentées, ces milliers de manifestants défilant la peur au ventre – peur de tomber soudainement sous une charge de CRS –, ce basculement organisé dans la violence et la criminalisation d’un mouvement social devrait provoquer un vaste débat public. Il devrait susciter les interpellations sans relâche des membres du gouvernement. Il devrait provoquer – au nom du respect de nos libertés fondamentales – une mobilisation des députés et sénateurs. Il devrait conduire à l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire sur les stratégies de maintien de l’ordre, les fonctionnements des chaînes de commandement, les détails des instructions données.
C’est tout l’inverse qui se produit. Les signaux d’alerte se multiplient. Rien ne se passe, sauf une légitimation aveugle faite par ce pouvoir de la violence policière. Des accidents graves se produisent. Rien n’est dit, sauf un soutien inconditionnel aux actions des forces de l’ordre. Rien n’est répondu aux alertes qui proviennent de l’institution policière elle-même, de la part de syndicalistes qui s’inquiètent de l’extrême dégradation de la situation.
Que disent-ils, ces syndicalistes ? Que le gouvernement n’a rien appris de la mort de Rémi Fraisse, ce jeune manifestant pacifique tué par une grenade offensive le 25 octobre 2014 à Sivens. Depuis, la doctrine de maintien de l’ordre n’a pas changé, estime Alexandre Langlois, secrétaire général de la CGT-Police : « Ce qui a changé, c’est la gestion de la crise sociale par la répression. On favorise l’escalade de la violence. Tout est mis en place pour que cela se passe mal ! » Sur le terrain, ajoute-t-il, ses délégués chez les CRS lui font remonter qu’on les utilise « de manière très offensive. Il ne s’agit pas de contenir mais d’aller à l’affrontement ».
Philippe Capon, du syndicat Unsa-Police, lui-même ancien CRS, insiste sur « des groupuscules extrémistes très organisés, très mobiles, qui nous obligent à nous réorganiser, à aller au contact ». Mais il veut aussi mettre en avant l’argument du manque d’expérience des forces déployées : « La situation est terriblement tendue et avec l’état d’urgence, nous sommes débordés. On demande à des collègues de faire du maintien de l’ordre alors que ce n’est pas leur métier. Certains arrivent dans leur commissariat le matin et on leur dit : ‘’Tu mets un casque, tu prends une matraque et tu vas couvrir la manif !’’ Mais le maintien de l’ordre, ça s’apprend. C’est un métier à part. »
Niant ces préoccupations, le gouvernement s’en tient pour sa part à une version et une seule qui lui permet de justifier cette escalade de la violence : les « casseurs ». « Casseur », le mot est banalement utilisé par tous les pouvoirs depuis cinquante ans pour justifier ses propres turpitudes. Aussi Bernard Cazeneuve comme Manuel Valls assurent-ils avoir identifié une nouvelle génération de « casseurs ».
Ceux-là seraient « radicalisés », adeptes de l’« ultra-violence », « qui veulent tuer un policier », qui se battent « contre l’État et les valeurs de la République ». Une frange extrémiste d’un mouvement social qui, par ailleurs, « prend en otage » le pays par ses grèves et blocages…
Dans une France vivant sous le régime d’exception de l’état d’urgence, déjà prolongé à deux reprises, ce vocabulaire ne peut être neutre : il ne manque que « terroriste » voire « djihadiste du social » pour compléter la panoplie sémantique d’un gouvernement jusqu’au-boutiste.
Le pas vient d’ailleurs d’être franchi par le patron du Medef, Pierre Gattaz, qui appelle, dans Le Monde, à mater ces « minorités qui se comportent un peu comme des voyous, comme des terroristes ».
Médias à la mémoire courte
Le pouvoir peut d’autant plus aisément dérouler cet ahurissant mode de récit que les médias audiovisuels, télés d’info en continu en première ligne, n’aiment rien plus que les « casseurs » et ces images d’affrontements et de déprédations.
L’« affaire » de la voiture de police incendiée a ainsi constitué un sommet dans la mise en spectacle de ces affrontements. Comme la chemise déchirée du cadre d’Air France, ces images ont provoqué un effet de souffle annihilant toute réflexion, ouvrant la voie aux déclarations martiales de Manuel Valls qui furent par la suite démenties par les faits.
Trois des cinq personnes interpellées et placées en détention provisoire furent rapidement remises en liberté, les charges étant beaucoup moins lourdes qu’annoncé.
Médias à la mémoire courte. Ils n’auront pas relevé que pour la première fois depuis des décennies, les pillages de magasins sont rarissimes, tout comme les violences collatérales (voitures brûlées, déprédations diverses) qui ont de tout temps accompagné les grandes manifestations. Ils ont oublié que c’est à l’occasion d’une manifestation de marins pêcheurs que le Parlement de Bretagne a brûlé à Rennes en 1994. Que les autonomes ont, tout au long des années 1980, dévasté les à-côtés des manifestations. Que ce sont des sidérurgistes qui, en 1979, avaient soumis le quartier de l’Opéra à un pillage en règle après avoir laminé les forces de l’ordre sous des pluies de boulons et de barres de fer et érigé des barricades sur les grands boulevards…
Il demeure cette réalité : quelques centaines, parfois milliers, de personnes sont toutes contentes de hurler « Tout le monde déteste la police » (mais en 1968, c’était « CRS-SS ! ») et prêtes à déclencher ou à assumer des affrontements avec les forces de l’ordre. Face à cela, tout pouvoir responsable n’a qu’un seul devoir : faire baisser la pression, organiser l’évitement, prendre bien en amont des mesures préventives, négocier avec les services d’ordre des organisations, maîtriser strictement l’usage des armes et des gaz par les forces de l’ordre, éviter les provocations.
C’est tout le contraire que Bernard Cazeneuve et Manuel Valls ont décidé de faire, assumant voire organisant une radicalisation dangereuse des manifestations. Ils l’ont assumé en écartant systématiquement toute interrogation pour mieux délivrer un feu vert inconditionnel aux forces de l’ordre. Manuel Valls a ainsi pu oser déclarer le 19 mai sur RTL : « Il n’y a aucune consigne de retenue, aucune consigne de ne pas interpeller, aucune consigne de ne pas aller jusqu’au bout pour ne pas appréhender les casseurs. »
« Aucune consigne de retenue » : le premier ministre (qui fut pourtant ministre de l’intérieur) a-t-il seulement conscience de l’irresponsabilité d’un tel propos quand sa fonction devrait justement l’obliger à dire l’inverse, c’est-à-dire à rappeler aux forces de l’ordre le devoir qu’elles ont de répondre de manière maîtrisée et proportionnée ? Au plus fort des affrontements de Mai 68, le préfet de police de Paris, Maurice Grimaud, écrivait une lettre à tous les policiers :
« Je m’adresse aujourd’hui à toute la Maison (…) et je veux parler d’un sujet que nous n’avons pas le droit de passer sous silence : c’est celui des excès dans l’emploi de la force. » « Frapper un manifestant tombé à terre, c’est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière. Il est encore plus grave de frapper des manifestants après arrestation et lorsqu’ils sont conduits dans des locaux de police pour y être interrogés »,
écrivait-il (l’intégralité de la lettre est à lire ici).
« Aucune consigne de retenue » : voilà dans quels termes Manuel Valls fait écho au préfet Grimaud. Cette posture autoritaire, déjà présente dès le début du quinquennat quand Manuel Valls déclarait prioritaire la lutte contre « l’ennemi de l’intérieur » (lire ici), est la même que lors des événements de Sivens. Les semaines précédant la mort de Rémi Fraisse, le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve a laissé des milices locales et des gendarmes mobiles s’en prendre violemment aux militants écologistes et zadistes opposés au projet de barrage. Le 7 octobre 2014, trois semaines avant la mort de Rémi Fraisse, une jeune femme de 25 ans a été grièvement blessée à la main par une grenade de désencerclement tirée dans sa caravane par un gendarme. La scène a été filmée. L’enquête judiciaire est toujours enlisée.
Les alertes lancées par des élus locaux comme par Cécile Duflot et Noël Mamère, qui se sont rendus à la préfecture du Tarn pour demander une gestion plus fine du maintien de l’ordre, ont été écartées. Les deux députés se sont heurtés à un mur, le préfet du Tarn et son directeur de cabinet préférant insister sur la présence d’éléments violents sur place. C’était cinq jours seulement avant la mort de Rémi Fraisse, tué à 21 ans par la grenade offensive d’un gendarme mobile. Après cette mort scandaleuse, le lieutenant-colonel responsable des opérations dira sur procès-verbal avoir reçu « des consignes d’extrême fermeté » de la préfecture (lire notre article ici).
Quant au gendarme mobile qui a lancé la grenade offensive, ni lui ni ses supérieurs n’ont été mis en examen à ce jour. Rien ne dit que cette affaire, dans laquelle l’inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) a estimé qu’aucune faute n’avait été commise, ne se terminera pas par un non-lieu. Seul changement intervenu depuis ce drame : Bernard Cazeneuve a interdit l’usage des grenades offensives.
…/…Assumer la violence voire l’organiser… Quatre éléments permettent de souligner que ce choix de l’escalade est délibéré.
Le premier est l’usage massif d’armements nouveaux qui démultiplient les violences : grenades de désencerclement, lanceurs de balles, Flash-Ball, spray de lacrymogènes.
Le deuxième est la mise en contact direct des forces de l’ordre et des manifestants sur une grande partie des cortèges.
Le troisième est l’utilisation systématisée des grenades lacrymogènes, en particulier lors des dispersions de manifestations.
Le quatrième est la course aux interpellations au sein même des cortèges : près de 1 600 personnes ont ainsi été interpellées, déclenchant chaque fois de mini-affrontements entre manifestants solidaires et policiers… ../..
La totalité de l’article est à lire ici (édition abonné)
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