Saint-Denis, 3 mois après, des médecins témoignent
Tranches de vie de médecins sur place lors de la fusillade de Saint Denis. C’est émouvant et donne une idée des traumatismes subits par les témoins.
Saint-Denis, France — Quatre jours après les fusillades du Stade de France le 13 novembre dernier, l’assaut du RAID a réveillé brutalement en pleine nuit les habitants du centre-ville de Saint-Denis. Sept heures durant, les Dionysiens ont assisté à de violentes fusillades entrecoupées d’explosions. Medscape, édition française, s’est demandé ce que devenait les habitants confrontés à des scènes de champ de bataille qui ont pu faire ressurgir de douloureux souvenirs et a donné la parole à trois médecins du 9.3. Voici leur témoignage 3 mois après les événements.
Des symptômes de stress aigu avant un retour à la normale
Installé à cinquante mètres de l’immeuble de l’assaut à Saint-Denis, le Dr Alain Herskovici a reçu des patients « très perturbés » les jours qui ont suivi l’intervention du RAID : « Ils avaient peur de sortir de chez eux, ne pouvaient pas prendre les transports en commun pour se rendre sur leur lieu de travail. Mais les choses sont rentrées dans l’ordre après une dizaine de jours. Personne n’est revenu me voir, il s’agissait donc de chocs ponctuels. »
Son de cloche similaire du côté du Dr Frédéric Courage qui a croisé dans son cabinet de Saint-Denis des personnes « extrêmement choquées » suite aux événements des 13 et 18 novembre. La plupart des patients affichaient des symptômes de stress aigu : « cauchemars, insomnies, crises d’angoisse en cas de sirène de police. » Mais la situation est revenue à la normale après une dizaine de jours.
Les habitants se sont sentis plus concernés après les évènements du Stade de France et l’attaque du RAID, ils ont senti leur territoire vaciller —
Le Dr Courage a également observé que « les traumatismes étaient plus sévères après les attaques du Stade de France et l’intervention du RAID que lors des attentats de janvier ». Un phénomène attribué principalement à « la proximité géographique des événements qui a renforcé le processus d’identification des habitants ». Un sentiment partagé par le Dr Joselyne Rousseau installée à Pierrefitte, une ville limitrophe de Saint-Denis: « Les habitants se sont sentis plus concernés après les évènements du Stade de France et l’attaque du RAID, ils ont senti leur territoire vaciller. »
Le Dr Courage pense également que « le mode d’intervention brutal des forces de police a aggravé le choc psychologique. Les images et les bruits entendus ont donné aux gens le sentiment d’assister à des scènes de guerre. » Une analyse qui contraste avec celle du Dr Herskovici qui pense que « ce n’est pas l’intervention du RAID en elle-même qui a traumatisé ces personnes, mais plutôt la prise de conscience que des terroristes vivaient dans un appartement à proximité. Certains ont eu l’impression qu’on s’attaquait à eux personnellement. »
Résurgence de traumatismes enfouis
Mais ce qui a sans doute le plus surpris les médecins de Seine-Saint-Denis, c’est la résurgence de traumatismes enfouis depuis de nombreuses années chez de nombreux patients.
« Cela a réveillé des souvenirs douloureux pour les personnes qui avaient connu des guerres civiles dans leur pays ou qui avaient connu les attentats du GIA en Algérie », témoigne le Dr Courage.
Le Dr Rousseau a aussi été marquée par une femme d’origine cambodgienne qui se trouvait proche de l’intervention du RAID, dans un bureau de poste, le 18 novembre à Pierrefitte. « Elle est arrivée en larmes en disant : « C’est la première fois que j’en parle, mais j’ai été violée par les Khmers rouges. On a fui à travers les montagnes pour arriver en Thaïlande. » C’était une éruption de mots par saccades. Elle m’a confié que ces événements avaient été totalement anesthésiés durant trente ans. Elle avait complètement occulté le fait que sa fille était le fruit d’un viol. Personne n’était au courant, même pas mon mari. »
Quand deux femmes d’origine algérienne évoquent dans la foulée les scènes de violence subies en Algérie il y a quelques années, le Dr Rousseau décide de monter un groupe de paroles avec Fabienne Asiani, la psychologue qui partage son cabinet, pour « prévenir les risques de dérives liées à l’islamisation. » Le groupe compte aujourd’hui une cinquantaine de personnes, toutes religions confondues, avec une majorité de musulmans et de femmes voilées. Les débats ont rapidement basculé vers la peur de voir les enfants basculer dans le djihadiste. »
Consultation spécialisée dédiée aux jeunes radicalisés
Le Dr Rousseau recherche désormais le témoignage de djihadistes repentis de retour en France. Elle a pris contact avec Serge Hefez, le psychiatre qui a mis en place à la Pitié Salpêtrière (Paris, 13ème) une consultation spécialisée dédiée aux jeunes radicalisés. Mais aussi le Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam (CPDSI), la cellule de désembrigadement créée par l’anthropologue Dounia Bouzar.
Pour le Dr Rousseau, « les groupes de paroles vont au-delà des mots, ils permettent d’agir pour ne pas lâcher prise. Les banlieusards se regardent dans le blanc des yeux sans se voir, ils se sentent stigmatisés. Ils me disent souvent « On n’a pas à se justifier à propos des attentats ». Je leur propose de participer au groupe de paroles pour se démarquer haut et fort de la radicalisation. »
Des blessures profondes restes enfouies dans le corps social. Les Dionysiens s’imaginent en victimes potentielles des attentats —
Mais ce genre d’initiatives n’est pas toujours efficace, constate le Dr Courage. « Les jeunes ne sont pas venus vers nous et n’ont pas pris la parole. C’était pourtant notre cible prioritaire, ceux qui vont devoir trouver des solutions dans les dix à quinze ans à venir. Malheureusement, les gens en véritable souffrance ne s’expriment pas souvent dans les groupes de parole, ce sont les débatteurs aguerris qui monopolisent le débat. »
Et de mettre en garde contre les cicatrices invisibles qui risquent de réapparaître à moyen terme :
« Les attentats du Stade de France et l’intervention du RAID ont fragilisé les liens entre les habitants. Des blessures profondes restes enfouies dans le corps social. Les Dionysiens s’imaginent en victimes potentielles des attentats.
Il y avait également cette crainte sous-jacente d’être perçus comme les responsables des attentats. Malheureusement, ce ne sont pas les résultats des élections régionales qui devraient les rassurer. »
SOURCE : http://francais.medscape.com/voirarticle/3602128?nlid=99863_2401