Coup de gueule : La réforme ubuesque de l’orthographe !
Une réforme de l’orthographe décidée en 1990 prendra effet à la rentrée 2016. Jean-Rémi Girard estime que cette réforme ne répond pas aux problèmes d’orthographe remarqués chez les écoliers, et sera inapplicable.
(Jean-Rémi Girard est professeur de français et vice-président du SNALC-FGAF.)
C’était en 1990. Cette année-là, on propose des rectifications orthographiques. L’Académie elle-même les accepte (sans en faire une obligation: l’Académie est prudente…). 26 ans se sont écoulés, et rien de tout cela n’est appliqué. Personne n’écrit «weekend», «aout» ou «révolver». L’Empire ne «contrattaque» pas. Peu de gens sont des «globetrotteurs». En bref, on s’en passait très bien. Il était donc urgent de les imposer de toute force dans les programmes et les manuels scolaires: nul doute qu’on n’avait rien d’autre à faire de mieux.
Et nous voilà, nous professeurs, avec des programmes rédigés en orthographe rénovée et l’injonction d’y faire référence dans l’enseignement du français.
Chose amusante, les rédacteurs des programmes eux-mêmes ne sont pas parvenus à appliquer la réforme en intégralité, laissant passer de temps en temps un accent circonflexe sur «connaître» ou «maîtrise», ou bien parlant, en géographie, des «territoires ultra-marins» (en nouvelle orthographe, c’est «ultramarins»).
Et c’est bien là l’un des problèmes majeurs de ces recommandations: personne n’est capable de les appliquer sans relire trois fois son texte et faire de fastidieuses vérifications avec un ordinateur à portée de main. En effet, ces nouvelles règles sont remplies d’exceptions, qui vont jusqu’à l’absurde. Ainsi, on supprime l’accent circonflexe sur le «i» et sur le «u» (et tant pis pour le latin, que la ministre cherche de toute manière à éradiquer). SAUF dans les terminaisons verbales. SAUF dans certains mots afin de pas les confondre avec d’autres, comme «mûr» et «sûr». SAUF qu’on le supprime quand même au féminin et au pluriel: un fruit mûr, des pommes mures! Je suis sûr, elle est sure! De même, on harmonise la conjugaison des verbes en -eler et -eter. SAUF pour jeter et appeler. Il étiquète (pratique, alors qu’on écrit «une étiquette»…), mais il jette! Et l’on multiplierait les exemples.
D’autre part, cette réforme n’est pas une réforme: ce sont des recommandations qui n’invalident pas pour autant l’orthographe classique. Ainsi, on en arrive à faire coexister deux états de la langue, et l’on risque fortement de donner à chacun une valeur particulière (car distinguer, c’est toujours à un moment ou à un autre établir une classification entre supérieur et inférieur, dans ce genre d’affaires).
Et tandis que certains professeurs consciencieux enlèveront les accents circonflexes, de méchants réactionnaires qui dirigent au plus haut niveau se feront un plaisir de faire de cette distinction un critère de jugement, voire un marqueur social inratable ou presque. Et bizarrement, ce sont certainement ceux qui écriront «paraître» et «a priori» qui gagneront, à ce petit jeu…
Dernier point, mais non des moindres: mais quelle est donc l’utilité de la chose? Pourquoi se torture-t-on depuis un quart de siècle avec ces recommandations qui ne répondent en rien aux réels problèmes orthographiques que connaissent nos élèves et les adultes qu’ils deviennent? La question n’est pas d’écrire «nénufar» ou «millepatte», mais plutôt de stopper la multiplication des «il mangé», des «je l’a veu», des «elles vous avez chantaient» et autres joyeusetés. Mais comme il est devenu criminel d’enseigner de façon structurée la grammaire (mot que mon syndicat, le SNALC, a permis de réintroduire in extremis dans les futurs programmes), on n’en prend pas le chemin.