Démocratie : Comment la France veut nationaliser Internet
Des députés ont proposé qu’on ne parle plus d’Internet mais de l’Internet. Il faudrait aller plus loin et parler de l’Internet français : nos dirigeants sont lentement mais sûrement en train de nationaliser Internet, qu’ils jugent incompatibles avec leur agenda économique et sécuritaire.
Rétablir des barrières économiques
Du point de vue économique, Internet fait tomber les barrières. En ouvrant le champ de la concurrence, il bénéfice du plus grand nombre – au détriment des acteurs établis et de l’État lui-même, qui n’entendent pas laisser avancer le progrès.
AirBnB ouvre l’hébergement de courte durée à la concurrence. UberPop et BlaBlaCar, le transport de personnes. Ils ne proposent pas ce service eux-mêmes : ils créent une plateforme, un marché où peuvent se rencontrer l’offre et la demande et où chacun d’entre nous peut être l’un, ou l’autre, et souvent les deux à la fois.
Tout le monde est content, sauf ceux dont les activités étaient protégées par des barrières à l’entrée. Les hôtels et les taxis, certes, mais pas seulement : l’Etat lui aussi a besoin de frontières pour exercer son pouvoir. Entre les intérêts des citoyens d’une part, et ceux des lobbies (tourisme, taxis, presse, culture…) et de l’État d’autre part, devinez lesquels seront les mieux défendus par nos politiciens ? Si Internet efface les frontières, l’Etat les rétablira coûte que coûte :
- En interdisant purement et simplement certains services : hier Netflix, aujourd’hui UberPop et le coavionnage ;
- En imposant ses conditions : une limite au nombre de nuitées, l’interdiction de la livraison gratuite de livres, des quotas de production française, l’interdiction de liens hypertexte et le filtrage automatique des contenus soumis au droit d’auteur ;
- En rançonnant les acteurs : Google est ainsi obligé de financer la presse française.
Sur Internet, la souveraineté perdue de l’État n’est pas transférée aux géants du web : Internet donne plus de liberté aux citoyens, qui n’ont plus besoin d’une autorisation pour proposer leurs services ou d’un employeur pour exercer une activité. Ces bouleversements remettent profondément en cause un modèle social inadapté.
Et bien entendu, non content de restreindre l’usage d’Internet sur le territoire français, l’État veut sa part du gâteau. Internet est un réseau mondial ; un internaute français peut découvrir un livre via une publicité sur un forum allemand et l’acheter à un libraire anglais sur un site américain. Où ont été générés les revenus ? et les profits ? L’État a tranché : s’il y a une activité quelque part, il veut sa part.
Un contrôle parental étendu à l’ensemble de la population
Mais pour nationaliser Internet, contrôler les transactions ne suffit pas. Il faut tout contrôler. L’État s’est donc doté des moyens législatifs et opérationnels lui permettant :
- de surveiller Internet, via une loi renseignement l’autorisant à surveiller le trafic de l’ensemble des Français ;
- de censurer les contenus en ligne, en faisant porter la responsabilité des contenus par les hébergeurs et fournisseurs d’accès pour restreindre la liberté d’expression sur Internet autant qu’ailleurs.
Et parce qu’un contrôle parental étendu à l’ensemble de la population laisse encore à désirer, certains voudraient contrôler jusqu’aux outils que nous utilisons :
- les systèmes d’exploitation, en développant un « système d’exploitation souverain » sur le modèle de la Corée du Nord (Redstar OS) ;
- les services de messagerie, en imposant à leurs développeurs de créer volontairement des failles de sécurité que les Etats pourraient exploiter.
L’Internet mondial et l’Internet français
Internet permet aux individus d’interagir et de s’organiser librement, sans intermédiaire. Ce qui n’est pas du goût de l’État, qui entend demeurer incontournable – quitte à fermer la porte aux promesses d’un monde ouvert. Il y aura donc deux Internet : l’Internet mondial, et l’Internet français. Un village mondial, un village gaulois.
En dernière analyse, les efforts des politiciens français pour que l’Internet libre s’arrête aux frontières de la France ne révèlent pas que leur préférence systématique des intérêts des lobbies et de l’État à ceux des citoyens, ni jusqu’où ils sont prêts à aller pour garder le contrôle sur l’argent et le pouvoir. Ils montrent surtout à quel point nos dirigeants sont mal à l’aise avec la liberté et ce qu’elle implique : que chacun puisse choisir, et qu’ils ne choisissent pas pour tous les autres.