Alternative : Cette mauvaise herbe qui peut fournir de l’énergie en Mauritanie

En Mauritanie, une plante nuisible devient source d’énergie

Transformer une nuisance en une ressource énergétique renouvelable : c’est le pari réussi de l’Institut supérieur d’enseignement technologique (ISET) de Rosso en Mauritanie, du parc national du Diawling, et du GRET, ONG française de développement, de valoriser en charbon le Typha, cette plante qui envahit le fleuve Sénégal. Une innovation distinguée, mercredi 9 septembre, par le prix Convergences 2015 qui récompense les projets à fort impact social ou environnemental.

Cela faisait près de quinze ans que les habitants de la région de Rosso subissaient les effets dévastateurs de cette plante invasive quand a germé, en 2010, l’idée de cette valorisation. Depuis la mise en service en 1986 du barrage anti-sel de Diama à 27 km de l’embouchure du fleuve Sénégal, le Typha a trouvé un terrain d’eau douce propice à sa prolifération. Et ce tapis vert qui se développe depuis les rives et s’étale sur le fleuve, progresse d’année en année. Il s’étend aujourd’hui sur 130 km en amont de l’embouchure.

Sur les bras du fleuve, le long des digues, sur le pourtour des plans d’eau, dans les zones marécageuses, le Typha est partout. Il bouleverse non seulement tout l’écosystème du delta, changeant la qualité de l’eau, absorbant oxygène et lumière et empêchant ainsi la pousse d’autres plantes. Mais il perturbe aussi toute l’activité économique de la région, réduisant les zones de productions agricoles et piscicoles habituelles des populations, privant celles-ci de couloirs de navigation, obstruant les canaux d’irrigation, restreignant l’eau vive pour abreuver leurs animaux… Et le Typha entraînant la stagnation de l’eau propice à la prolifération de moustiques et de parasites, les populations voient aussi de nouvelles maladies se développer.

« 25 000 hectares envahis »

« Côté Mauritanie, ce sont 25 000 hectares qui sont ainsi envahis par le Typha, souligne Julien Cerqueira, expert énergie au GRET. On aura beau dépenser des millions d’euros pour le couper, l’arracher, le brûler, il n’existe aucune méthode vraiment efficace pour se débarrasser de cette plante qui repousse sans cesse. Faute de pouvoir l’éradiquer, nous avons ainsi cherché à la valoriser. » Le projet, financé par la communauté européenne, a ainsi visé à concevoir une méthode, dans un premier temps artisanale, de conversion de cette biomasse en bio-charbon comme alternative au charbon de bois.

Le tapis vert de Typha qui se développe depuis les rives et s’étale sur le fleuve Sénégal, progresse d’année en année. Il s’étend aujourd’hui sur 130 km en amont de l’embouchure.

« 90 % des ménages mauritaniens utilisent le charbon de bois comme combustible de cuisson, charbon issu des forêts et souvent produit illégalement. En offrant une alternative au charbon de bois, explique Julien Cerqueira, la transformation du Typha en une ressource énergétique renouvelable permet de lutter contre la déforestation. » Et ce faisant, d’atténuer les émissions de gaz à effet de serre. D’autant, souligne Samassa Nalla, représentant du GRET en Mauritanie, que « si toute production et consommation de charbon émettent du carbone dans l’atmosphère, le CO2 émis par le charbon de Typha est recapté par le Typha qui repousse très vite, à la différence du charbon de bois qui émet des gaz non réassimilés par l’environnement et conduit à la déforestation. Une tonne de charbon de Typha permet ainsi d’économiser 7 tonnes de CO2, par rapport à du charbon de bois ».

« En offrant une alternative au charbon de bois, la transformation du Typha en une ressource énergétique renouvelable permet de lutter contre la déforestation », explique Julien Cerqueira, expert énergie

L’impact est aussi économique. Régulant son envahissement dans les zones stratégiques pour les populations, la coupe du Typha nécessaire à la production de cette énergie favorise un retour à la normal des activités agricoles et piscicoles. « Et, insiste Samassa Nalla, de la coupe à la commercialisation en passant par la transformation, cette solution d’énergie renouvelable produite localement crée de l’activité nouvelle qui génère des revenus complémentaires pour les ménages. Sans compter que leur combustible domestique leur coûte ainsi moins cher, le charbon de Typha se consumant plus lentement et étant donc plus économique. »

Marché prometteur

Depuis 2012, huit unités de production artisanale ont été installées dans la région de Rosso. D’une capacité de production chacune de 1,5 tonne par mois, leur gestion est assurée par les villageois. Les hommes se chargent de la coupe du Typha, les femmes, organisées en coopérative, de la transformation et la commercialisation. Le Typha est séché, puis carbonisé pour devenir de la poussière de charbon qui sera mélangée avec de l’argile puis pressée et agglomérée sous forme de briquettes prêtes à la vente.

Le Typha est séché, puis carbonisé pour devenir de la poussière de charbon qui sera mélangée avec de l’argile puis pressée et agglomérée sous forme de briquettes prêtes à la vente.

Les promoteurs du projet cherchant à développer une véritable filière de valorisation du Typha, une unité semi-industrielle a été créée fin 2014. « L’objectif à terme, relève Julien Cerqueira, est de vendre le charbon de Typha à Nouakchott [la capitale mauritanienne]. Le marché est prometteur : la consommation mauritanienne de charbon de bois est estimée à 50 000 tonnes par an, dont 35 000 sont consommées dans la région de la capitale. Avec cette unité industrielle d’une capacité de production de 20 tonnes de charbon de Typha par mois, nous pouvons amplifier l’impact sur la déforestation.  »