Science : Toute la vie d’une baleine se lit dans…. son oreille !
Les mammifères marins géants accumulent dans leur organe auditif une cire constituée de couches déposées depuis la naissance.
C’est un secret bien gardé dans le monde sous-marin, parfois bruyant, des baleines. Il ne faut pas en parler car cela concerne leurs oreilles, qui ne sont pas visibles en l’absence de pavillon extérieur (cela leur va bien) et sont fermées. Ce qui ne les empêche pas d’avoir une ouïe très fine, capable de recevoir les ondes via leur mâchoire. Mais elles recèlent un autre secret: leur vie peut être lue dans leur cérumen.
C’est la trouvaille incroyable que viennent de faire des chercheurs travaillant à l’université Baylor de Waco (Texas), au Muséum américain d’histoire naturelle de Santa Barbara (Californie) et au Smithsonian Institute de Washington. Ces cétacés accumulent dans leur conduit auditif, tout au long de leur vie, une cire qui reflète leur âge, leurs états hormonaux et les produits auxquels ils ont été exposés (travaux publiés dans les Proceedings of the National Academy of Sciences).
La taille de leur cérumen est à la hauteur de leurs dimensions records: les baleines bleues (Balaenoptera musculus) sont les animaux les plus grands du monde animal, pouvant atteindre 30 mètres de long et peser 170 tonnes. Il en reste environ 8000 sur la planète et elle est toujours classée comme espèce en danger.
Le cérumen recueilli en 2007 sur un animal de 21,2 mètres, mort à la suite d’une collision avec un bateau au large de Santa Barbara, en Californie, apparemment âgé d’une douzaine d’années, mesurait 25,4 centimètres! Tout comme le tronc d’un arbre et ses anneaux concentriques de croissance, il était constitué de couches successives de cire déposées depuis sa naissance jusqu’à sa mort.
«Nous avons pu relever 24 couches dans le cérumen de ce mammifère marin, explique Stephen J. Trumble, l’un des auteurs de l’étude. Et nous avons pu, couche par couche, doser le cortisol (hormone du stress), la testostérone, une quarantaine de pesticides (PCB ou même agents retardateurs) et le mercure.» Résultat, des tranches de vie de ce rorqual. Son niveau de cortisol, très bas quand il avait de 6 à 12 mois, a doublé quand il avait un peu plus de 10 ans. C’est aussi à cet âge qu’il a atteint sa maturité sexuelle au vu des concentrations de testostérone (il y a sans doute un lien). Ces travaux ont également démontré qu’il y avait un important pourcentage de transfert de molécules provenant de polluants de la mère au baleineau (près de 20 % du total d’exposition durant sa vie).
«Nous espérons que ces techniques permettront de transformer radicalement notre capacité à évaluer l’impact des activités humaines sur ces “sentinelles” de l’environnement et leur écosystème», estime Sascha Usenko, l’un des auteurs de l’étude.
«Cette idée d’aller étudier la cire d’oreille est très judicieuse, et le résultat est vraiment bluffant, estime Céline Liret, directrice scientifique d’Océanopolis. Pouvoir reconstituer, sur certains aspects, la vie entière de l’animal est extraordinaire. Pour l’instant, on faisait des études d’organes comme le foie et des analyses sur les graisses pour mesurer les toxiques. Et les études, sur les baleines échouées par exemple, portaient plus sur la fonctionnalité des organes de l’ouïe, savoir si elles avaient été endommagées, entraînant une perte de leur sens de l’orientation. Bien sûr, il faudra qu’ils élargissent leurs travaux à d’autres spécimens, mais la piste est très intéressante.»
Prochaine étape pour les chercheurs, proposent-ils, créer une base de données sur des spécimens actuels mais aussi sur ceux qui reposent dans les musées et qui remontent aux années 1950. La possibilité peut-être de dessiner l’évolution du monde marin à travers la cire d’oreille des baleines bleues.