Ça se passe en Russie : Le Darou-dar pour apprendre à donner…
Les créateur de la communauté « Darou-dar » (Don au don) ont trouvé un moyen simple mais efficace de changer le rapport aux biens matériels. Il s’agit d’une plate-forme Internet sur laquelle n’importe qui peut faire un cadeau à un parfait inconnu, sans pour autant recevoir quoi que ce soit en retour, hormis des émotions positives.
Le projet international « Darou-dar » crée un réseau social de donation
À Moscou, les participants de Darou-dar ont un rendez-vous hebdomadaire, le vendredi soir, au centre de la capitale, où ils viennent échanger leurs cadeaux et faire connaissance.
Source : Service de presse
Essayez de vous souvenir de la dernière fois quand vous avez fait un cadeau. Pas pour un anniversaire, Noël ou la Saint Valentin. Comme ça, pour rien. C’est une question embarrassante, n’est-ce pas ? Pourquoi faire des cadeaux sans raison ?
Quand un groupe d’enthousiastes a entrepris de monter le projet de la donation gratuite, il y a trois ans, il a fallu en redéfinir le processus-même. « Quand nous avons lancé « Darou-dar », nous nous sommes rendus compte que le concept de donation n’existait pas en tant que tel. Bien sûr, on le trouvait dans le dictionnaire, mais pas dans la vie. Une donation, c’était un don de Dieu ou de l’État, un legs d’un artiste à un musée, c’est-à-dire quelque chose de sur humain. Avec notre service, nous avons déclaré que la donation était propre à tout homme, au quotidien et régulièrement », explique l’un des créateurs du site, Maxime Karakoulov.
On offre bien évidemment des cadeaux sympathiques à nos amis et proches pour les anniversaires. L’important est que la chose soit neuve et qu’elle vienne d’être acquise. Qu’elle s’avère complètement inutile n’inquiète absolument pas le donateur. Mais si j’ai un ordinateur portable ou un téléphone en parfait état mais de l’avant dernière génération ? Je n’irai certainement pas l’offrir à des amis, ce serait gênant. Pas plus que je ne vais dépenser du temps et de l’énergie à le revendre. Il va donc falloir trouver de la place au fond d’un placard.
À en juger par le succès de « Darou-dar », nombreux sont ceux qui rencontrent ce type de problème. Le principe du portail est simple : si tu as un objet dont tu n’as plus besoin, tu places une annonce sur le site. Ensuite, parmi ceux qui ont répondu à l’appel, tu choisis la personne à qui tu vas l’offrir. Tout est bon : vêtements, matériel électronique, objets de collection, parfois même des bijoux en or.
Parfois il s’agit de choses très banales. Par exemple, au début de l’été, on offrait un séjour gratuit pour tout l’été dans une datcha à côté de Moscou. Quelqu’un propose ses services de guide dans sa ville natale, en promettant de montrer et raconter tout ce qui compte.
Aujourd’hui, plus de 413 000 utilisateurs sont inscrits sur le site, de 3200 villes partout dans le monde. La communauté a intégré des russophones vivant non seulement dans les pays limitrophes comme l’Ukraine, la Biélorussie ou le Kazakhstan, mais de l’étranger plus lointain, États-Unis, Grande-Bretagne, France, Allemagne, Espagne, Japon, Argentine et beaucoup d’autres.
Le secret d’un tel succès ? Il ne s’agit pas seulement d’avoir trouvé, grâce à Internet, un moyen de se débarrasser d’affaires inutiles.
« Pour moi, ça a été une découverte : les gens ont commencé à nous remercier de leur avoir donné la possibilité de se faire de nouveaux amis », raconte Maxime. Par exemple à Moscou, les participants ont un rendez-vous hebdomadaire, le vendredi soir, au centre de la capitale, où ils viennent échanger leurs cadeaux et faire connaissance.
Les gens ont découvert qu’ils aimaient offrir. Sur le site ils avouent éprouver une joie véritable en voyant le sourire de l’autre, en prenant conscience qu’ils sont utiles à quelqu’un. Le don serait-il une nécessité de l’âme ?
En outre, la donation est directement liée à la confiance. Grâce à la plateforme, cette action gratuite ne suscite pas la méfiance, mais une réaction normale de gratitude. Maxime explique le phénomène à l’aide d’un exemple simple. Si, avant, quelqu’un ne se serait pas arrêté pour prendre un passager, de peur de passer pour un type dangereux, maintenant qu’il sait que le service existe, il s’arrêtera, confiant que ses intentions seront bien interprétées. D’ailleurs, c’est peut-être une coïncidence, mais depuis que le site existe, Maxime s’est fait souvent conduire gratuitement.
Les créateurs de « Darou-dar » sont convaincus qu’ils n’ont pas seulement organisé une communauté de gens qui préfèrent offrir que recevoir. Ils ont créé un milieu social. « La vente a été substituée par la donation », précise Karakoulov.
En fait, la possibilité d’offrir est aussi un moyen de changer les mentalités, et donc le monde dans lequel nous vivons. « On a l’habitude de penser que le monde change lors de révolutions, quand un régime tombe, c’est-à-dire qu’il faut toujours qu’il y ait de la violence, de la destruction et du désordre. Mais les véritables changements sont provoqués par autre chose », assure Maxime.
Blague à part, les mêmes idées animent le projet de société idéale du célèbre ingénieur futurologue américain, Jacque Fresco, qui a fêté ses 96 ans cette année. Récemment, il s’est adressé aux Moscovites dans le cadre d’une vidéo-conférence. Selon lui, la société contemporaine attache beaucoup trop d’importance à l’argent. Résultat : la crise mondiale, provoquée entre autres par les spéculateurs boursiers, qui n’ont aucun rapport à la véritable production. Pourquoi notre vie et notre bien-être doit dépendre de l’éclatement ou non d’une « bulle » financière ? Fresco est convaincu qu’à l’aide des ressources inépuisables de la terre et des sources d’énergie renouvelable, on peut créer une société dans laquelle tout le nécessaire est absolument gratuit. Dans des limites raisonnables, il va de soi, car la consommation effrénée, selon le futurologue, confine au dérangement psychique. Le premier pas vers une telle société, c’est l’apparition de services non de vente, mais de donation et d’échange, qui prouvent que la vie sans argent est tout à fait possible.
Les 413 000 idéalistes de « Darou-dar » parviendront-ils à changer le monde ? Je n’en sais rien, mais c’est tout de même bien qu’ils existent.