Lobbying : Comment ça marche ? L’exemple de Big Pharma
Un rapport pointe l’influence excessive du secteur pharmaceutique à Bruxelles
Le Monde | • Mis à jour le | Par Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, bureau européen)
Si elle veut respecter ses promesses d’assurer la transparence dans les pratiques du lobbying à Bruxelles, la Commission européenne a encore beaucoup de chemin à faire. Telle est la conclusion que l’on tire après la publication, mercredi 2 septembre, d’une étude détaillée de l’organisation Corporate Europe Observatory (CEO) consacrée aux activités de l’industrie pharmaceutique dans la capitale européenne.
« Ce secteur tient fermement les rênes d’une vaste machine de lobbying, richement dotée, qui dispose d’un accès presque systématique aux décideurs de la Commission », écrivent les auteurs, qui parlent d’une influence excessive, au détriment de la santé publique et de l’équité commerciale.
Accès aux « groupes consultatifs » et contacts étroits avec les membres des institutions bruxelloises, y compris l’Agence européenne du médicament : le secteur vise surtout à obtenir la levée de certaines barrières réglementaires afin de faciliter le lancement de nouveaux médicaments sur le marché, affirme CEO. Et l’activité des lobbyistes s’intensifie alors que l’Union européenne et les États-Unis négocient toujours un éventuel accord commercial – le traité transatlantique, ou TTIP.
Une cinquantaine de réunions depuis fin 2014
Les dizaines de firmes ayant des relais à Bruxelles déclarent officiellement un budget global de lobbying qui atteint 40 millions d’euros. Un montant sans doute inférieur à la réalité puisque certaines sociétés ne sont pas inscrites dans le registre officiel censé, depuis 2012, instaurer davantage de transparence, mais sont bel et bien clientes de sociétés de lobbying.
Ces 40 millions, un montant qui a crû de 700 % depuis 2012 et qui peut être mis en rapport avec les 2,3 millions déclarés par les organisations de consommateurs et des groupes actifs dans le domaine de la santé, servent notamment à rémunérer une armée de 176 lobbyistes liés à l’industrie du médicament.
En échange, ceux-ci décrochent des réunions avec les diverses directions générales de la Commission (santé, recherche et développement, commerce, croissance…). Une cinquantaine au total depuis la mise en place de la nouvelle Commission en novembre 2014, a recensé CEO : 15 pour GlaxoSmithKline, 8 pour Novartis, 6 pour Johnson & Johnson et pour Sanofi, 5 pour Eli Lilly et Pfizer, etc.
Textes taillés sur mesure
Dans le registre officiel de 2014, qui recense les budgets consacrés au lobbying, c’est l’Allemand Bayer qui est au premier rang, avec 2,46 millions d’euros dépensés, devant GSK, Novartis et AstraZeneca, des entreprises dont les budgets oscillent entre 1,5 et 2 millions. La compagnie Rohde Public Policy dispose à elle seule des budgets de 19 sociétés pharmaceutiques, Burson-Marsteller en possède 18.
Le rapport détaille le rôle clé de la Fédération européenne des industries pharmaceutiques (EFPIA), la plus puissante des huit associations du secteur. Il affirme que divers textes ont été façonnés selon ses désirs, dans le domaine des essais cliniques ou des secrets d’affaires (avec la menace de sanctions en cas de divulgation), par exemple.
L’Innovative Medecines Initiative, un projet public-privé visant à accélérer le développement de nouvelles substances et doté de 3,3 milliards, aurait quant à lui été taillé sur mesure pour l’industrie, qui fait financer la recherche et conservera les bénéfices, dénonce l’étude.