« Les aliments doivent aider à élever aussi l’énergie spirituelle de l’homme « ,
Dans l’empire de l’agrobusiness, au Brésil, une entreprise bio défend une agriculture « spiritualiste »
Dans un pays dominé par l’agrobusiness, les pesticides et les OGM, l’entreprise Korin défend depuis vingt ans une agriculture biologique et naturelle. Elle s’inspire de la philosophie du japonais Mokiti Okada, fondateur de l’Eglise messianique mondiale. Une recherche du parfait équilibre entre la préservation et l’utilisation des ressources naturelles pour produire des aliments sains, tout en respectant le bien-être animal.
– Ipeúna (Brésil), reportage
C’est au milieu des champs de cannes à sucre, à 200 kilomètres de la mégalopole de São Paulo, que s’est implantée l’exploitation. Sur le même terrain, celle-ci côtoie les bâtiments de la Fondation Mokiti Okada. Bienvenu chez Korin, une des rares marques à s’être fait un nom sur le marché des produits biologiques au Brésil. Luiz Carlos Demattê Filho, directeur industriel et coordinateur de centre de recherches de la Fondation, nous reçoit. Korin est aujourd’hui une entreprise prospère (30 millions d’euros de chiffres d’affaires en 2014) mais qui continue à mener en parallèle un travail approfondi de réflexion méthodologique et de recherche technique.
Une agriculture naturelle et spiritualiste
L’histoire de ce producteur hors du commun commence dans les années 70, lorsque des membres de l’Eglise Messianique du Brésil, créée par des immigrants japonais, achètent un terrain sur la commune d’Ipeúna dans l’Etat de São Paulo afin de mettre en pratique les préceptes de l’« Agriculture naturelle » énoncés par Mokiti Okada (1882-1955). Connu aussi sous le nom de Meishu-Sama, ce penseur et leader spirituel natif de Tokyo est à l’origine d’une philosophie religieuse se basant sur les Lois de la Nature, dont les trois piliers sont la Vérité, le Bien et le Beau. Ses écrits abordent aussi bien la politique, l’éducation que la médecine.
Mais une importante partie de son travail touche à l’agriculture. Dès 1935, il dénonce l’utilisation grandissante de l’agrochimie et développe des méthodes de production sans fertilisants. « L’objectif de l’Agriculture naturelle est de produire des aliments de qualité, sans préjudices pour la santé de l’homme, consommateurs ou producteurs. Nous pensons que les aliments ont un bénéfice matériel, celui de nourrir le corps, mais aussi spirituel. D’après les Lois de la Nature, les aliments doivent aider à élever aussi l’énergie spirituelle de l’homme », explique Luiz Carlos Demattê.
- Luiz Carlos Demattê
Il a fallu plusieurs années de recherches au groupe de pionniers avant de pouvoir se lancer dans la commercialisation de leurs produits en 1994, année de lancement de l’entreprise. « Produire sans engrais, sans pesticides, sans antibiotiques pour les animaux, demande un long travail de sélection des espèces et de définition des bonnes pratiques. Au début nous avions 60 % de pertes sur nos poulets », raconte le coordinateur du centre de recherches.
C’est grâce au soutien financier de la communauté et de l’Eglise que l’entreprise a pu disposer du temps nécessaire pour mettre en place son système unique de production. Depuis 2007, Korin a atteint la viabilité économique et connaît un fulgurant taux de progression de son chiffre d’affaires, à 27 % par an. Sous la marque Korin sont aujourd’hui commercialisés des poulets (10 000 tonnes par an), des œufs (1,8 millions par mois), des légumes, mais aussi depuis peu de la viande bovine, du riz et du miel. Prochainement, seront lancés des produits dérivés, des plats préparés, du poisson et des pâtes distribués dans six magasins de la marque et dans de nombreux supermarchés.
Une entreprise bio dans un océan d’agrobusiness
Plusieurs facteurs expliquent le succès des produits Korin. La plupart des consommateurs ignorent tout de la philosophie qui imprègne le processus de production – que l’entreprise met d’ailleurs assez peu en avant. La force de Korin réside dans son image et notamment celle que lui donnent les trois certifications dont elle bénéficie pour la viande et les œufs :
produit biologique (label brésilien « Produto orgânico »)
sans antibiotiques (label américain « AF-antiobiotic free »)
respect du bien-être animal (label « Certified Humane » de HFAC-Humane Farm Animal Care)
Le contexte brésilien joue aussi pour beaucoup : le pays est connu comme étant l’un des plus ouverts aux OGM (second producteur mondial de produits transgéniques). Il est également champion de la consommation de pesticides (une récente étude de l’association brésilienne de la Santé collective a montré que 70 % des aliments consommés portent des traces de produits toxiques, tandis que l’Institut National du Cancer estime que chaque brésilien consommerait 7,3 litres par an de ces mêmes produits).
Face au poids de l’agrobusiness, le marché des produits biologiques est proportionnellement encore embryonnaire. La certification nationale « produto orgânico » est née seulement en 2011 ! Ainsi la marque Korin s’est-elle rapidement fait un nom et une réputation, notamment auprès des pédiatres et des nutritionnistes qui la recommandent aux mères qui allaitent et aux personnes soucieuses d’éliminer les biocides de leur nourriture.
« L’obtention des labels s’est faite très facilement, puisque que nous remplissions déjà tous les critères », explique Luiz Carlos Demattê en nous faisant visiter ses poulaillers. « Notre méthode s’appuie avant tout sur le bon sens. Pour avoir un animal en bonne santé, il faut lui éviter le stress qui diminue ses défenses immunitaires en lui donnant de l’espace. Ainsi on n’a pas besoin de leur donner d’antibiotiques. On les laisse également dormir, ce que ne font pas les élevages intensifs qui leur imposent la lumière nuit et jour pour que l’animal mange et grossisse plus rapidement. »
La philosophie adoptée par Korin mélange en effet un pragmatisme basé sur l’observation empirique de la nature et des croyances reposant sur la notion d’équilibre. Ainsi le mot « Korin » signifie en japonais « anneaux de lumière » qu’on retrouve dans le logo de l’entreprise composé de trois cercles convergents représentants les forces et les éléments de la nature : le soleil (le feu), la lune (l’eau) et la terre (le sol).
Servir de modèle
Pour Luiz Carlos Demattê, qui est également ministre de l’Eglise, il y a une différence dans l’assiette entre ses produits et d’autres issus de l’agriculture biologique, différence qui, si elle n’est pas perceptible au goût, peut l’être par l’esprit. « Il s’agit pour nous de transformer l’Esprit, c’est-à-dire l’Idée, en quelque chose de matériel tout en estimant que chaque chose de la nature a une mission. C’est pourquoi je parlerais d’une écologie spiritualiste plutôt que spirituelle. »
Ainsi une fois par an, les membres de l’Eglise messianique, et les employés qui le souhaitent, organisent une prière pour l’âme des animaux tués et pour remercier Dieu dans la petite chapelle installée près des bâtiments administratifs. « C’est une manière de se rappeler notre place à chacun dans cet équilibre. »
- La chapelle
Dans la pensée de Meishu-Sama, le développement durable et la préservation de l’environnement sont les moyens d’atteindre le Paradis terrestre dans lequel « prédominent la santé, la paix et la prospérité ». Le rôle de la fondation est aussi de faire connaître et promouvoir l’« Agriculture naturelle ». Luiz Carlos Demattê en a d’ailleurs fait l’objet de sa thèse présentée en 2014 à l’université de São Paulo. Il a par ailleurs travaillé avec le ministère de l’Agriculture et la commission d’experts chargée de définir les critères d’homologation des produits biologiques, contribuant ainsi à défricher à la fois la recherche et la législation brésilienne. Korin cherche aussi à intégrer de nouveaux producteurs afin de disséminer ses conceptions. « Nous voulons rendre conscients nos partenaires de leur rôle dans la production d’aliments sains. Nous voulons servir de modèle. »
Encore peu connue et peu répandue, cette philosophie démontre qu’il existe d’autres façons de penser les pratiques écologiques. En-dehors du Brésil, elle est présente surtout au Japon et en Corée de Sud, mais aussi en France où une modeste exploitation a vu le jour à Soissy-sur-Ecole près de Melun. L’entreprise Korin est l’exemple en tout cas que l’« Agriculture naturelle » est une méthode qui réussi à allier croyances profondes et réussite économique.
Source et photos : Mathilde Dorcadie pour Reporterre
Signalé par Jean-Michel 🙂