Numérique : Lettre d’un enseignant dématérialisé

à la ministre de l’Inculture et de la gesticulation numérique

Mme la ministre de l’Inculture et de la gesticulation numérique,

J’ai bien reçu votre avis m’annonçant ma dématérialisation à compter du 1er juillet prochain, dans le cadre du nouveau plan numérique.

J’attendais ce jour avec impatience et je me réjouis d’être enfin remplacé par une machine. Les progrès technologiques sont tels qu’aucun humain ne peut plus prétendre rivaliser avec les innovations modernes. Je m’incline, donc, avec un mélange de honte et de contrition.

En 33 ans de carrière, j’ai connu toutes les étapes me conduisant à cet épilogue. Dans mes premières années de vie professionnelle, j’ai eu l’effroyable mission de concevoir mes cours et de les faire vivre avec une autonomie et un enthousiasme exorbitants. J’ai applaudi des deux mains à l’arrivée des premiers écrans dans les salles informatiques. J’ai bêlé avec les technophiles du sans-fil, alors que les tablettes envahissaient les salles de classe. J’ai connu le plaisir d’être surveillé et contraint par les connexions permanentes, les puces RFID, les objets intelligents…

J’ai fermé mes yeux sur le gaspillage d’énergie et de ressources rares de l’hyper-connexion, j’ai calfeutré mon cœur sur le sort des empoisonnés des déchets numériques et des personnes électro-sensibles comparés, par vos services et par les chiens de garde médiatiques, à des phobiques relevant de la psychiatrie. J’ai renvoyé les esprits critiques à l’âge des cavernes et de la bougie.

Lorsque les ondes wifi et les écrans de distraction massive ont eu raison de la concentration et de la mémorisation de mes élèves, j’ai réclamé toujours plus d’informatique et de didacticiels intelligents. J’ai été gentiment irradié par les ondes du progrès. C’est vous dire si j’ai été un enseignant modèle connectable à merci.

Certes, ces outils m’ont permis d’être beaucoup plus disponible pour mes fonctions de larbin, entendez par là mes tâches de surveillance, d’intendance et de dépannage informatique. Grâce aux économies d’échelle, aux nouveaux modes de management et au tout numérique, nous sommes arrivés au terme de cette évolution : des classes sans professeur.

J’ai bien pensé postuler dans les écoles sans écran, où les cadres de la Silicon Valley envoient leurs enfants. Mais les places sont chères et, je vous l’avoue, je suis aujourd’hui dans l’incapacité d’exercer toute activité professionnelle.

Grâce à vos innovations rayonnantes, je suis devenu électro-hypersensible. Ma vie est un enfer.

Vous comprenez, j’imagine, ma joie d’être dématérialisé. C’est une reconnaissance de ma condition d’humain virtuel, de presque mort.

J’attends donc le versement d’une rente d’invalidité qui, je n’en doute pas, suivra ce courrier. Je recherche également une grotte dénuée de tout confort, à l’abri des ondes qui détruisent le peu qui reste de ma vie, ainsi qu’un stock de bougies, étant devenu intolérant au courant électrique grâce à vos gadgets de téléphonie morbide.

Voyez, l’âge des cavernes et des bougies, c’est vous qui m’y renvoyez. Vous et votre arsenal progressiste de destruction massive.

Merci à vous, vraiment, et à celles et ceux qui vous accompagnent dans votre œuvre d’insalubrité publique.

Frédéric Wolf

http://www.reporterre.net/Lettre-d-un-enseignant

A lire ou relire en complément : « Comment se protéger des ondes électro-magnétiques »

http://www.reporterre.net/Comment-se-proteger-des-ondes

ET SUR LES BRINS :

https://lesbrindherbes.org/2015/04/16/electrosensibilite-et-danger-des-ondes-mise-au-point/