Emeline, Maxime : L’optimiste peut amener à l’acceptation, l’égoïsme, et finalement l’immobilisme. Être mécontent, c’est aussi combattre, se battre pour ses idéaux, pour un monde meilleur. Selon vous, quelle est la limite de l’optimisme ?

Je n’emploierais pas le terme « combattre » qui nous replace dans la dualité, cette dualité qui n’existait pas avant que l’être humain n’advienne sur la terre. La dualité majeure de notre époque est celle qui oppose l’humain à la nature, à la vie, à sa vie. Aucun avenir ne pourra se construire sans sortir de cela, sans retrouver une coopération avec la vie, avec la Terre-mère. Notre mouvement Colibris réunit des milliers de citoyens animés par ces valeurs, qui ont décidé de ne pas se résigner et de faire leur part. Il ne s’agit pas de protester contre ceci ou cela sans rien changer en soi, mais plutôt d’incarner une sorte de protestation positive par nos actes quotidiens, de participer intimement au changement du monde par notre propre transformation. Avec amour et modestie, en assumant notre responsabilité, en choisissant de mettre en cohérence notre vie avec nos valeurs profondes, nous pouvons avoir une puissance immense.

Marie-Anne : Être ce que l’on veut sans ployer, être créatif, résister, n’est-ce pas moins frustrant qu’”être positif” face à la foule de solutions viables mais inappliquées que proposent les hommes et le monde ?

Il est vrai que cela est frustrant de voir la société civile si fertile expérimenter et valider des solutions de toutes sortes et, en face, les politiques faire de l’acharnement thérapeutique sur un système à l’agonie qui répond de moins en moins aux aspirations des citoyens. Peut-être faudrait-il organiser un grand forum civique national lors des prochaines échéances présidentielles ? Cela permettrait d’offrir un espace d’expression à la société civile pour valoriser à grande échelle toutes les initiatives qui ont fait leur preuve, comme véritables alternatives au modèle actuel.

Dorothée, Anabelle : Il existe de nombreuses solutions concrètes, positives, pour changer le monde et se changer soi-même. Comment faire comprendre ces changements à nos proches ?

Un adage dit : « On ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif ». Le témoignage par les actes, paisible, tranquille, déterminé me paraît plus efficace que la controverse, l’accusation, la critique, souvent stériles. Essayons d’incarner simplement nos convictions. Si nous sommes de plus en plus nombreux à prouver par nos pensées et nos actes qu’un changement positif peut avoir lieu, alors cela agira mieux que tout autre moyen.

Les paroles peuvent jouer un rôle à condition qu’elles soient cohérentes et bienveillantes : personnellement, j’essaie de dire ce que j’ai dans le cœur, dans mon âme, mais aussi et surtout ce que je fais, ce que j’ai expérimenté.

N’oublions pas que nos proches sont ce qu’ils sont, avec leurs propres histoires, souffrances, fragilités, et qu’ils sont en chemin comme chacun de nous. Sur ce chemin, même les erreurs peuvent être initiatiques. La posture du pèlerin qui marche, qui se trompe, qui souffre, mais qui se réjouit également et qui continue à avancer en acquérant la connaissance fondamentale me parle beaucoup…

Élise, Gaëlle, Pascal : Comment expliquez-vous que le concept de « non-violence » soit l’association de deux mots à connotation négative (non et violence) ?

Chacun de nous est appelé à reconnaître que la violence, qui est déjà en nous, peut prendre de multiples formes et est présente partout dans notre société. Elle se manifeste dans nos relations aux autres et à l’encontre de la nature. Le mouvement de la non-violence a souhaité souligner l’inanité de la violence en proposant son contraire. Il n’y a parfois pas d’alternative à manifester notre réprobation de cette manière. La protestation ferme et visible des citoyens demeure dans certains cas la seule solution pour faire pression sur des autorités et récuser leur gouvernance. Pour Gandhi, la non-violence fut une proposition stratégique et politique qui a su soulever les foules et porter ses fruits. L’idéal serait bien sûr un monde sans violence, mais nous en sommes encore loin. Espérons qu’un jour, en élevant nos enfants dans la bienveillance et la coopération, et non dans la compétitivité et la domination, nous dissiperons petit à petit les ferments de violence.

Françoise, Diane, Simon : On vous qualifie souvent d’utopiste. Pour vous, est-ce un qualificatif positif ou négatif ?

Je suis très flatté quand on me qualifie ainsi, car l’utopiste est celui qui n’a pas renoncé à ses rêves, à son imaginaire. L’utopie me plaît énormément. L’ « utopie » a comme signification étymologique « ce qui n’est en aucun lieu ». Cela ne veut pas dire que c’est impossible et c’est même grâce à cela que l’humanité a toujours évolué. Les grands inventeurs ont souvent été considérés de prime abord comme des fous et des rêveurs, avant d’être reconnus comme des génies. Notre époque pétrifiante et conformiste a besoin, plus que toute autre, de transgresseurs positifs pour cultiver autrement, soigner autrement, construire autrement, éduquer autrement…

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