Lutte non violente : Leur mettre la honte ?, par Luc Baudoux

En politique, si le ridicule ne tue pas (certains seraient morts depuis longtemps), il peut s’avérer un outil redoutable et exercer une pression efficace. Exemple de Saul Alinsky le sociologue fouteur de m….e !  Je vous renvoie à sa profession de foi en fin d’article.

Généralement, les puissants ne rejettent pas la satire ou la caricature dont ils sont l’objet, car cela constitue aussi une mesure de leur popularité, surtout quand ils font de la politique.

Par contre, ils supportent nettement moins bien de faire l’objet de moqueries qui les ridiculisent.

En son temps, Saul Alinsky (Rules for Radicals, A Pragmatic Primer for Realistic Radicals, 1971) avait bien compris que le ridicule pouvait aussi constituer une arme de lutte.

Activiste américain des années 40 à 70, il est peut-être un peu moins connu aujourd’hui. Pourtant, il a été le mentor d’Obama au début des années ‘80, ce dernier ayant travaillé pendant trois ans dans une des organisations qui se réclamaient de lui à Chicago. Il risque d’être cité à nouveau dans les prochains mois, ne serait-que parce qu’il a été le sujet du mémoire de fin d’étude d’Hillary Clinton (There is only the fight. An analysis of Alinsky Model, 1969), ce que les adversaires républicains de la probable future candidate démocrate ne lui pardonnent toujours pas. En effet, Alinsky, sociologue de combat, était aussi un homme de gauche authentique, sans avoir pourtant jamais adhéré à une quelconque organisation politique.

Né en 1909, ayant grandi dans un quartier pauvre de Chicago, il termine ses études de criminologie par une thèse sur les gangs urbains de Chicago. Les résultats de sa recherche lui permettent de conclure que les causes principales de la criminalité trouvent leur origine dans le chômage, la précarité, la discrimination raciale, et, finalement, le capitalisme dans son mode d’organisation de la société.

Pour diminuer l’attrait des bandes mafieuses, Alinsky est convaincu qu’il faut avant tout lutter contre ce système profondément inégalitaire. Pendant ses premières années de lutte dans les bas-fonds de Chicago (notamment, à Back of the Yards), il affine ses méthodes d’organisation qu’il serait trop long de détailler ici. Il était en tout cas soucieux du moindre détail pour éviter l’échec susceptible de doucher l’enthousiasme et d’affaiblir l’engagement de ses militants. Pour lui, même une toute petite victoire symbolique vaudra toujours mieux qu’un échec.

Il était impertinent mais non-violent, provocateur, doué d’un sens tactique exceptionnel dans l’utilisation assumée du conflit, mais ce qui le distinguera notamment, c’est un sens de l’humour aiguisé qui pointe dès le début de ses activités.

Les actions menées par Alinsky font l’objet d’une préparation millimétrée et, ensuite, d’une fuite organisée vers la future victime qui s’empresse généralement de réagir pour éviter d’être l’objet de moquerie à la une des journaux. Il est donc rarement obligé de passer à l’action.

En 1964, année électorale aux Etats-Unis, il lui fallut s’attaquer au maire de Chicago, Richard J. Daley, qui avait réduit son aide à son organisation TWO. Plutôt que de l’affronter sur le terrain politique, il emprunta un chemin détourné. L’un des titres de gloire de Daley était l’aménagement de l’aéroport O’Hare. Il évalua donc les différents moyens de bloquer cet emblème de la réussite de l’homme politique.

Il choisit finalement d’occuper toutes les toilettes de l’aéroport. En effet, les voyageurs qui descendent d’un avion  n’ont rien de plus pressé que de s’y rendre, sans compter ceux qui attendent d’embarquer. Il étudia soigneusement les lieux et consulta un service juridique pour évaluer les risques juridiques, qui conclut positivement. Il disposait même des 2.500 personnes qui seraient contraintes de rester assises sur la cuvette pendant plusieurs heures. Bref, c’était le chaos assuré, bien plus efficace que des piquets de grève, qui se seraient retrouvés noyés dans la masse des voyageurs. Si Daley, après avoir appris le projet d’Alinsky, ne s’était pas rendu à ses demandes, aurait eu lieu le premier shit in (le jeu de mot est d’Alinsky) de l’histoire !

L’humour d’Alinsky est souvent scatologique, ce qui tend à accentuer le ridicule de la situation. Ainsi, en conflit avec Kodak à Rochester (« la seule action positive de Kodak en faveur des noirs (coloreds) a été l’invention du film couleur »), il menace de distribuer 100 places aux plus précarisés de la ville, afin de leur permettre d’assister à un concert de prestige organisé par la firme. Il se proposait de les nourrir au préalable de haricots rouges cuits, afin de provoquer les effets que l’on devine, qui plus est, dans une salle de concert remplie pour l’essentiel par les notables de la ville ! Là aussi, il n’a pas eu besoin de passer à l’action, Kodak ayant accédé à ses demandes avant l’événement.

Si sa créativité a souvent été saluée, ses détracteurs n’ont pas manqué de critiquer le côté puéril de certaine de ses actions, mais il rétorquait qu’il voyait mal un juge devoir se prononcer, par exemple, pour des faits de pétomanie… Il était convaincu que le ridicule était ce que redoutaient le plus les dirigeants. Les faits lui ont donné souvent raison. Un moment de honte est vite passé mais, par contre, si le ridicule ne tue pas, il est davantage redouté!

Le travail d’Alinsky ne se résume évidemment pas à son humour potache, mais celui-ci constitue néanmoins une bonne accroche pour le découvrir. Ses réalisations le prouvent : ce n’est pas un théoricien en chambre, comme le souligne adroitement Hillary Clinton dans sa thèse: « Those who build models frequently leave their obsolescent ruins behind them for others to play with while they begin building anew.” (Ceux qui construisent des modèles laissent fréquemment à d’autres le soin de mettre en œuvre des ruines obsolètes, tandis qu’ils recommencent à en élaborer d’autres). De plus, son discours est résolument radical. Un peu dans l’air du temps de ce blog, non ?

Peu avant son décès (1972), Alinsky confiait qu’il avait pour projet de réveiller et d’organiser la classe moyenne américaine. Dans une longue interview au magazine PlayBoy (mars 1972), il déclarait notamment :

« Quand une communauté, n’importe quelle communauté, est sans espoir et impuissante, il faut quelqu’un d’extérieur pour venir attiser les choses, c’est mon travail : les perturber, leur faire se poser des questions, leur apprendre à cesser de causer pour commencer à agir parce que les gros richards qui sont au pouvoir n’entendent jamais avec leurs oreilles mais avec leur arrière-train. Je ne dis pas que cela va être facile ; « thermopolitiquement », la classe moyenne est enracinée dans l’inertie, conditionnée à chercher la facilité et la sécurité, effrayée à secouer le bateau ».

http://www.pauljorion.com/blog/2015/04/28/leur-mettre-la-honte-par-luc-baudoux/#more-74986

 

Signalé par : Jean-Michel. Merci !