Biotechnologie végétale : L’homme qui fertilise les déserts

Modernité, technique, et respect des plantes ? Oui, d’après cet horticulteur, c’est possible. Un entretien passionnant !
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Elles font rêver, les fabuleuses visions et découvertes de l’horticulteur Philippe Ouaki Di Giorno, qui a “compris le monde végétal depuis l’intérieur” et pourrait littéralement faire reverdir les déserts. Mais il refuse de céder ses extraordinaires inventions à la seule logique du profit. Rencontre avec un visionnaire concret.
philippe ouaki

On sait qu’“ avoir la main verte ” correspond à une réalité. Certaines personnes sentent le végétal avec suffisamment de finesse pour entrer en contact avec la vie des plantes et, pourrait-on dire, avec la logique chlorophyllienne elle-même. Chez Philippe Ouaki Di Giorno, cette affinité a atteint un stade tel qu’il a non seulement la main verte, mais tout le corps, et sans doute l’esprit, et peut-être même l’âme ! Cet homme comprend les processus végétaux “de l’intérieur” et, du coup, il réussit à modeler cet état de la matière comme un magicien. Avec lui, les plantes s’avèrent d’une plasticité étonnante, outrepassant toutes les formes que nous leur connaissons habituellement. Ce qui est drôle, c’est qu’au départ, Philippe Ouaki n’a vraiment ni le calme du jardinier, ni le look de l’horticulteur : c’est un électron fou, un inventeur-né, un bourreau de travail à la curiosité insatiable. Si nous l’avons rencontré, c’est qu’à son génie scrutateur et inventif, PODG (comme l’appellent ses amis et les businessmen) allie une terrible exigence éthique… qui lui vaut quelques problèmes.

Une exigence de Don Quichotte têtu, pensent certains, déçus et même parfois fâchés de constater qu’après des années de fignolage – et une réputation certes mondiale, mais ponctuelle -, ses produits ne soient pas encore massivement utilisés dans les zones arides, les déserts et toutes les régions de la planète où l’humus fait tragiquement défaut par manque d’eau. Au cours de sa trajectoire, PODG est en effet parvenu à mettre au point, entre autres inventions, un étonnant “hydrorétenteur/fertilisant” biophile, c’est-à-dire un produit retenant l’eau, par exemple dans des conditions climatiques arides, et qui non seulement ne fait pas pourrir les racines, mais décuple leur développement. Ce produit est déjà connu dans le monde entier : par exemple dans les jardins du Luxembourg, à Paris, sur les greens de golf des émirs d’Arabie, dans les jardins royaux du Maroc ou sur les balcons des jardiniers japonais.
Mais l’affaire reste artisanale. Philippe Ouaki continue à fabriquer son produit lui-même, secrètement, dans sa mini-usine, refusant de céder ses brevets aux grosses compagnies agroalimentaires dont certaines ont pourtant proposé des sommes considérables… Pourquoi ? C’est ce que nous sommes allés lui demander.

Nouvelles Clés : Comment tout cela a-t-il commencé ?

Philippe Ouaki Di Giorno : Je me suis toujours intéressé au végétal. C’est une passion que j’avais en naissant. Par ailleurs, j’ai toujours aimé inventer, ne pas m’arrêter à ce qui existe. À l’intersection de ces deux motivations, une frustration me poursuivait depuis longtemps : la mort des grands arbres. Un chêne millénaire que vous coupez, à échelle humaine c’est fini. Fini à jamais !

Le facteur temps nous écrase. Moi, très jeune, j’ai cherché comment faire pousser des géants, sans être contraint d’attendre que la nature fasse lentement son œuvre. Et j’y suis arrivé ! Ça a l’air orgueilleux de le dire comme ça, mais ce n’est pas si compliqué.
Ce sont les hommes qui sont compliqués.

Je suis un fan de science-fiction. Et mon métier de chercheur dans une industrie agroalimentaire spécialisée en horticulture m’a permis de faire toutes sortes d’expériences, où je passais de l’étude du fumier de bovins africains et de la méthanisation à des concepts comme l’empreinte moléculaire, l’amplification des éléments, l’homéopathie végétale, la photoluminescence… Un des concepts que je défends est celui de “potentiel génétique latent” : moi, je ne transforme pas le génétique, je l’optimalise, je transcende son potentiel qui, dans la majorité des cas, n’a pas dit le principal de ce qu’il a dans le ventre. D’une certaine façon tout existe déjà, il faut être humble, mais aussi avoir un œil différent des autres !

J’ai ainsi pu vérifier que le végétal était d’une malléabilité extraordinaire et qu’il savait prendre des tas de formes que nous ne connaissons pas. Le problème (que je n’avais pas prévu), c’est que mes congénères ont tendance à prendre peur devant toute forme nouvelle, qu’ils qualifient très facilement de “monstrueuses”. Il a donc fallu que je rabatte mes inventions vers les formes connues, notamment vers les arbres. J’ai appelé ma première invention plantoïde, en référence aux humanoïdes de la SF. C’est grâce à elle que j’ai pu “fabriquer” des arbres centenaires.

En fait, il s’agit d’une alliance entre matière de synthèse et matière organique. Je remplace le bois du tronc et des grosses branches par du polyuréthane, qui a la consistance et la masse du bois et qui reproduit le vrai bois des troncs (au micron près grâce à des mesures au laser). Tout le reste, c’est-à-dire les feuilles et les racines, est d’abord cultivé dans des serres, ou plus exactement dans des tubes et dans des micro-tubes, à partir de boutures ou de cultures cellulaires. L’une des particularités de ces tubes est leur longueur : un, deux, parfois trois mètres de long ! Je développe ainsi d’immenses racines qui sont introduites dans le corps artificiel de l’arbre.

N. C. : Ce sont donc de faux arbres.

P.O.D.G. : Mi-vrais, mi-faux, mais la symbiose entre l’artificiel et le naturel s’établit vite, et elle persiste à long terme. Mes plantoïdes peuvent vivre aussi longtemps que les vrais arbres, peut-être même plus ! C’est comme avec les matériaux bioniques utilisés dans le corps humain pour remplacer, par exemple, certains os : les tendons s’y agrippent ensuite et intègrent le matériau synthétique à tous leurs processus biologiques naturels. Les plantoïdes font la même chose : leurs faux troncs et leurs fausses branches sont bientôt pris dans la biomasse qui les intègre littéralement. Le faux arbre devient vrai – même des professionnels s’y laissent prendre !

N. C. : Avec du vrai bois qui prolonge le faux ?

P.O.D.G. : Absolument, le processus de production ligneuse (le bois) accepte de prendre le relais de notre fabrication synthétique de départ. Toute la question était de trouver comment suffisamment stimuler, au départ, les cultures de plantes in vitro pour démultiplier le développement de leurs racines – avec des racines trop courtes, les feuilles dépassant du tronc artificiel se retrouvaient en quelques sortes les pieds dans le vide et se desséchaient. J’ai donc réussi à mettre au point une méthode utilisant de très longs tubes très fins, et je suis parvenu à développer une masse racinaire vingt fois supérieure à la masse traditionnelle ! C’est à dire qu’en un mois j’obtiens par exemple un ficus développant un mètre de racines en tube ! (Quand plus tard, j’ai travaillé à l’application agricole de cette exubérance racinaire, j’ai dû mettre plusieurs bémol à la clé, pour ne multiplier cette croissance que par cinq, sinon j’aboutissais à des croissances absurdes et même néfastes du point de vue du rendement).

Les longs tubes sont en suites supprimés et on canalise les plantes dans le tronc final où, par un système de cautérisation, on crée des bourrelets au niveau de la masse ligneuse qui se développe et qui s’associe avec la partie synthétique en polyuréthane, ce qui conduit à une véritable association naturel/artificiel.

Le polyuréthane se lie aux bases solides et le développement végétal se poursuit sur lui et en lui. On obtient ainsi des arbres d’un genre radicalement nouveau, qui permettent évidemment d’aller très loin dans le délire !

N. C. : Quand cette invention de la plantoïde est sortie, vous avez eu droit à des articles dans beaucoup de revues professionnelles, en particulier dans Le Lien Horticole qui est la grande revue de votre corporation. Au salon de l’horticulture de 1991, on vous a d’ailleurs remis un prix “Coup de chapeau du jury”, que vous avez reçu des mains de madame Élisabeth Guigou…

P.O.D.G. : Mon truc décoiffait complètement. Je créais des plantes pour les siècles futurs !

Du coup, Eurodisney m’a demandé de participer le Festival des fleurs – où je me suis complètement éclaté, parce que là, il n’y avait pas de problème de budget, seulement des problèmes de technique et ça, je m’en chargeais. J’avais le sentiment de sentir la physiologie végétale jusqu’au bout de mes doigts ! J’ai ainsi pu produire en quelques mois des arbres que l’on met parfois trente ans à obtenir. Un palmier de quarante centimètres de diamètre, normalement, il faut quarante ans.

Quant aux taupières (les sortes de statues végétales, souvent en buis, que l’on voit dans les jardins des châteaux), qui exigent pour les plus belles d’entre elles entre trente et cinquante ans de travail, j’ai pu en créer de magnifiques en trois mois – par exemple une taupière de trois mètres et demi de long, en thuya, représentant un hippopotame en tutu, avec les oreilles, le nez, tout. En trois mois : chez Disney, ils n’en revenaient pas ! C’est ainsi que se sont joyeusement déroulés les festivals de 1997 et 1998.

N. C. : Au-delà du plaisir de créer de nouvelles formes, quels progrès offre cette première invention ?

P.O.D.G. : Outre la rapidité de sa croissance, la plantoïde a plusieurs avantages. Si elle aide à créer des plantes ex nihilo, elle permet aussi d’associer des plantes qui jusqu’ici ne pouvaient pas se greffer ensemble – je pense par exemple aux bocarnea à gros tronc…

Un autre avantage, qui me tient particulièrement à cœur, est que cette technique permet de ne plus prélever abusivement dans la nature sauvage.

Vous savez d’ailleurs que la convention de Washington (C.I.T.E.S.) interdit désormais de nombreux prélèvements d’espèces protégées, notamment sous les tropiques – c’est justement le cas du bocarnea du Costa-Rica. La plantoïde protège donc le patrimoine végétal et la biodiversité.

N. C. : Dans de nombreux domaines bioniques, c’est-à-dire ceux où la technologie imite et remplace la nature, on finit par découvrir qu’une harmonie subtile s’est brisée, par exemple la lumière n’y est plus déviée à gauche mais à droite, ou bien les suites mathématiques de Fibonnaci (équation de la fameuse spirale du tournesol ou du nautile ) n’y sont plus tout à fait respectées – c’est vrai semble-t-il dans certains organismes génétiquement modifiés.

Vos plantoïdes ne courent-elles pas ce risque ?

P.O.D.G. : Je ne pense pas. Nous jouons sur trois lois : celle de la gravité, celle du développement cellulaire, celle du tropisme photonique. Sans oublier cette règle fascinante du végétal : des plantes de même genre finissent par se souder au niveau de leurs racines. Vous mettez deux plantes sœurs côte à côte, au bout d’un moment, elles n’en forment plus qu’une, par les racines. Prenez une futaie d’ormes : vous croyez voir une vingtaine d’arbres indépendants, alors qu’en réalité, dans le sous-sol, toute cette futaie ne forme qu’un seul orme souterrain (qui, lorsqu’il pleut, se répartit l’eau de façon homogène).

Une forêt forme un seul être. C’est ce principe que j’ai utilisé pour les taupières d’Eurodisney. Pour comprendre la logique végétale, il faut souvent dépasser les apparences visuelles. Autre exemple : un tronc d’arbre vous paraît naturellement bien vivant ; en réalité l’essentiel de sa masse est morte ; seuls son limbe et son parenchyme vivent. Mes plantoïdes, avec leurs troncs synthétiques et leurs “ réseaux veineux ” vivants, ne font que reproduire cette loi de la nature. C’est du travail sérieux (rire), même si mes interlocuteurs ne s’en étaient pas tout de suite rendu compte quand j’ai exposé la première fois dans un salon, parce qu’un immense panneau surplombait mon stand, où j’avais écrit : “ Les extraterrestres existent, ils nous ont laissé plantoïde ! ”

Dès cette première fois pourtant, des Hollandais ont voulu m’acheter mon brevet.

N. C. : Est-ce pour vos plantoïdes que vous avez reçu la distinction “ Produit du 21ème siècle ” au salon de l’agriculture de Tunisie ?

P.O.D.G. : Non, ça c’était pour l’hydrorétenteur / fertilisant que j’ai baptisé Polyter. Mais tout est lié. Pour faire correctement pousser mes plantoïdes, j’ai eu rapidement besoin d’un bon hydrorétenteur, c’est-à-dire d’une matière capable de retenir suffisamment d’eau à n’importe quelle hauteur, dans n’importe quelle situation, pour que les plantes puissent boire.

Le problème de la plupart des hydrorétenteurs que vous trouvez dans le commerce, c’est qu’ils offrent au végétal une interface léthale : les racines s’y enroulent pour y trouver de l’eau, mais celle-ci, directement en contact avec les cellules végétales, les fait pourrir. Cette caractéristique n’a aucune importance pour l’un des plus gros marchés actuels d’hydrorétenteurs, celui des “polymères santé” : les couches-culottes ! Mais pour mes plantoïdes, ça n’allait pas du tout. C’est alors que j’ai découvert un procédé nouveau pour polymériser (= créer des molécules géantes, en chaîne) la cellulose. Le produit ainsi obtenu s’est avéré miraculeux. C’est lui que j’ai baptisé Polyter. Presque trop beau pour être vrai !
Et pourtant, après dix années d’expériences sur tous les continents et sous toutes les latitudes, je peux vous affirmer que ça marche !

N. C. : C’est la rumeur de l’existence de ce polymère de cellulose qui nous a fait venir jusqu’à vous. On dit que vous refusez obstinément de le vendre à une industrie capable de le répandre sur toute la planète, alors qu’il semble pouvoir rendre d’immenses services. Expliquez-nous…

P.O.D.G. : Laissez-moi d’abord vous décrire la chose. Du point de vue de sa fabrication, je ne peux vous dire grand chose : c’est un peu comme le fameux secret de Michelin en matière de vulcanisation sauf que là, il s’agit de mettre en œuvre une polymérisation associée à une matière active, grâce à un nouveau concept qui décoiffe et qui ne peut pas être compris de la plupart des grands groupes. Parlons plutôt des propriétés du produit que l’on obtient ainsi. D’abord cet hydrorétenteur/fertilisant est biodégradable (ce qui est loin d’être le cas de la plupart des polymères basiques). Ensuite, il se trouve qu’il réussit à établir entre l’eau et les racines le même rapport que l’humus ou que la terre arable : ce n’est pas un contact direct (qui pourrirait le végétal), mais un rapport osmotique. Entre l’eau et la cellule se dresse comme une membrane de cellulose, qui rend l’irrigation optimale. Les racines le sentent bien : elles raffolent de ces nodules et viennent se lover à eux de manière quasiment frénétique. C’est de cette façon-là, en particulier, que j’ai réussi à démultiplier par vingt la croissance racinaire des plantoïdes.

Au départ, ça se présente comme des sortes de petits cristaux translucides. Jetez-les dans la flotte, ils accueilliront jusqu’à cinq cent fois leur masse en eau et la conserveront dans leurs filets de cellulose, quasiment sous tous les climats et à toutes les profondeurs de sol. Quelques grammes de ce produit, semés en même temps que la graine ou que le plant, vous permettront d’économiser d’immenses quantités d’eau, vous le comprenez bien – en particulier, dans les zones arides. En associant cet hydrorétenteur à une irrigation au goutte-à-goutte, à la limite, on pourrait ne plus perdre un seul gramme d’H2O !
Cela dit, jusque-là, j’avais à peu près calculé mon coup et visualisé à l’avance les caractéristiques de cet hydrorétenteur. Ce que je n’avais pas prévu et qui s’est présenté à moi comme vraiment “ miraculeux ”, c’est que les nodules de Polyter ont révélé bien d’autres qualités. Par exemple, ils maintiennent l’eau à une température plus basse que le milieu (particularité du polyter est que plus on le met au chaud plus c’est frais : c’est le principe dit de l’osmose inverse), ce qui est excellent pour “déstresser” les plantes. Voilà une notion essentielle en agronomie du 21ème siècle : le végétal peut souffrir de stress par manque d’eau, par …/…

SUITE ET FIN DE L’ARTICLE :