Xyllela fastidiosa, la bactérie tueuse de vignes et d’oliviers..
La mondialisation, le transport mal contrôlé de terres provenant du bout du monde et abritant des espèces non adaptées chez nous, la malveillance – (pourquoi pas dans cette société où tous les coups, même les plus bas sont tolérés ?) – bouleversent rapidement les biotopes des espèces tant végétales, qu’animales de la planète, permettent à certaines familles d’insectes à peu près tenues en laisse localement jusqu’alors, de se répandre comme la peste pour attaquer et parasiter leurs hôtes jusqu’à leur mort.
« Xylella fastidiosa », accident industriel ?
Xylella fastidiosa : il va falloir retenir le nom de cette bestiole. Sur l’ensemble du pourtour méditerranéen, cette petite bactérie sème la ruine et la consternation dans les régions où elle frappe, et la terreur là où elle n’a pas encore frappé. Il y a quelques raisons à cela. Xylella fastidiosa s’attaque à une grande variété de plantes et d’arbres, dont certains revêtent pour l’homme une importance cardinale.
Elle sévit depuis longtemps en Amérique sur différentes cultures (amandiers, agrumes, vignes, caféiers, etc.) et a surgi en 2013 en Europe, peut-être avec l’importation de plants de caféiers du Costa Rica.
Elle a fait souche dans la région de Lecce, dans le sud de l’Italie, et y a jeté son dévolu sur les oliviers. Ils y meurent en masse. Dix pour cent d’entre eux, dans la province touchée, seraient déjà affectés.
En novembre 2013, l’Autorité européenne de sécurité des aliments estimait que 8 000 ha étaient touchés dans le talon de la Botte. Mais Fastidiosa, qui se transmet d’arbre en arbre par de petits insectes suceurs de sève – cicadelles et cercopidés – progresse vite et conquiert de nouveaux territoires. Aux dernières nouvelles, elle était signalée vers Brindisi, à une cinquantaine de kilomètres au nord de son foyer de Lecce.
Pour tout le Sud italien, dont l’économie dépend largement de l’olive, c’est un désastre. Aucun remède n’a jusqu’à présent été trouvé. Aucune solution technique indolore n’existe pour enrayer la propagation de Fastidiosa. La seule méthode consiste à arracher les arbres sur l’ensemble du périmètre touché, qu’ils présentent ou non les symptômes de l’infection.
Il y a plusieurs façons de considérer ce genre de calamité. La première, la plus répandue, consiste à n’y voir qu’une fatalité, un mauvais coup de la nature. C’est le simple bon sens. Après tout, Fastidiosa n’est pas sortie d’un laboratoire… Mais il est tout aussi légitime de penser ces fulgurantes maladies végétales émergentes comme des accidents industriels liés à la mondialisation des échanges et à la nature même de nos systèmes productifs.
Amplificateurs de pathogènes naturels
L’écologie de Fastidiosa est immensément complexe, et il n’est pas question de prétendre ici l’élucider. Elle est liée à la présence de réservoirs et de végétaux hôtes sur un territoire, mais aussi au comportement et à l’abondance des insectes-vecteurs, au climat, etc. Mais ce sont, à l’évidence, des modifications apportées par l’homme à l’environnement qui permettent à la bactérie de devenir subitement très virulente.
« Bien que Fastidiosa soit présente en Californie depuis plus de cent ans, seulement trois grandes épidémies se sont produites sur cette période, toutes associées à la vigne », écrit Rodrigo Almeida (université de Californie à Berkeley, Etats-Unis) dans un rapport publié en 2008 par l’Académie des sciences américaine sur les liens entre environnement et émergence des maladies vectorielles. La dernière épidémie en date, ajoute le biologiste, « a émergé après l’introduction d’un insecte-vecteur polyphage et invasif », à savoir la mouche pisseuse, plus présentable sous son nom savant d’Homalodisca vitripennis.
L’introduction, par l’homme, d’un petit insecte étranger à la région aurait donc suffi à déstabiliser suffisamment l’ensemble du système pour dévaster les vignes du sud de la Californie. Il n’est pas non plus anodin que ce soient les grandes exploitations viticoles – la vigne étant par nature génétiquement peu diversifiée – qui aient été le plus durement frappées.
C’est un autre aspect de l’accident en cours. Les vastes agrosystèmes – où les organismes mis en culture sont d’une grande homogénéité génétique – sont susceptibles d’agir comme des caisses de résonance, des amplificateurs de pathogènes naturels. Une bactérie trouvant un hôte végétal à son goût, et dont des quasi-clones sont cultivés sur des milliers d’hectares, va pouvoir croître, se multiplier, et l’augmentation de sa prévalence dans l’environnement fera grimper d’autant sa probabilité de mutation au contact des autres végétaux environnant. Ce qui n’était qu’un petit micro-organisme sans importance peut devenir un fléau polymorphe de grande ampleur.
De ce point de vue, il existe une claire analogie avec les risques présentés par les systèmes industriels de production animale, régulièrement rappelés par l’émergence de virus aviaires dans les grands élevages de volailles.
Meilleur rempart contre les bactéries
Jusqu’où tirer l’analogie ? Selon des travaux conduits par Guillaume Besnard (CNRS, université Toulouse-3) et publiés en février 2013 dans la revue Proceedings of the Royal Society B, le sud de l’Italie se trouve être l’une des zones du pourtour méditerranéen où l’olivier ne s’est réimplanté qu’après la dernière glaciation, il y a environ dix mille ans. Et les interactions entre l’arbre et son environnement (insectes, champignons, nématodes du sol, bactéries, etc.) y semblent moins complexes que dans les régions où il persiste depuis plus longtemps, comme le Levant, le Péloponnèse, le sud de l’Espagne et le Maroc.
Ces interactions de moindre complexité, ainsi qu’une diversité des oliviers sauvages relativement faible (étroitement liée à la diversité des oliviers cultivés), pourraient localement jouer un rôle dans la propagation de Fastidiosa.
Autre enseignement des travaux de M. Besnard et de ses coauteurs : considérée sur l’ensemble du bassin méditerranéen, la diversité génétique des oliviers sauvages et domestiques est encore importante. « Les oliviers cultivés et sauvages forment une sorte de continuum qui mériterait d’être préservé », précise Guillaume Besnard. De fait, c’est probablement le meilleur rempart contre la prolifération des maladies bactériennes, une sorte d’assurance contre des accidents industriels comme celui qui sévit, en ce moment, autour de Lecce.
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- Stéphane Foucart
Journaliste au Monde
Signalé par Jean-Michel